Marins en herbe

« Mal de mer, toilettes à pompe, fuite d’eau dans les chambres, manger du pain dur qui date de trois semaines, bruit de moteur, odeur de gazole, chaussettes trempées, jean trempé, humidité, vent, froid, pluie, pas de douche quand on veut et pas d’électricité toute la journée. Nous sommes dans un autre monde, loin de Facebook et d’Internet. Nous sommes loin de nos habitudes. On se demande parfois ce qu’on fait là… C’est sûr, le Bel Espoir, c’est pas La croisière s’amuse, on y travaille : hisser les voiles jusqu’à se faire des ampoules, affaler, tenir la barre, faire des nœuds… Mais le Bel Espoir pour nous c’est surtout ça : sourire, entraide, guitare, chants marins, éclats de rire, bonne humeur, rencontre, découverte de la mer, liberté, pieds nus, pêche… » Abdoulaye, Baptiste, Jennifer, Samir, Youssef et Yssa sont rentrés de leur séjour avec le mal de terre et la tête emplie de souvenirs, attristés de quitter le bateau et surtout de se séparer. Si certains d’entre eux n’ont qu’une envie, celle de retrouver leur lit douillet, d’autres ne rêvent plus que de retourner sur ce bateau. Et pourtant, ce n’était pas gagné pour ces jeunes venant aussi bien de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) que de l’aide sociale à l’enfance (ASE) ou du secteur du handicap. Ces équipiers novices ne se connaissaient pas avant de monter à bord du Bel Espoir, goélette faite de bric et de broc, propriété de l’association les Amis du Jeudi Dimanche, créée en 1951 par le père jésuite Michel Jaouen. Cela fait quarante ans que ce voilier embarque jeunes et moins jeunes des quatre coins de la France pour des séjours de rupture d’une semaine, afin de leur proposer une autre expérience de la vie collective et, à terme, de leur redonner confiance en eux.

Durant la saison 2011-2012, l’émission de télévision Thalassa a fait le tour des ports de France sur le Bel Espoir. Invité par le présentateur Georges Pernoud, Emmanuel Guiavarch, dessinateur et illustrateur, a suivi ce tour de France télévisé. De cette expérience le dessinateur-navigateur a tiré un ouvrage dense, où se mêlent son point de vue et ceux des stagiaires, des équipiers et des encadrants (« la mer houleuse à la sortie des ports gomme toute forme de hiérarchie »), ainsi que ces nombreux dessins aux styles éclectiques, entre le dessin de presse et la bande dessinée, tantôt des peintures sophistiquées, tantôt des crayonnés en noir et blanc. Drôle, émouvant, attachant, ce carnet de voyage illustré montre comme ce brassage de public a permis d’ouvrir l’horizon de chaque mousse. Il nous permet d’avoir un aperçu des moments partagés durant la navigation, des grands bonheurs aux petits accrochages, les inquiétudes et les enthousiasmes, les jours de beau temps comme ceux de pluie et de vent, l’envie d’apprendre et de comprendre, les énergies qui se fédèrent pour faire avancer le bateau. Bref, l’aventure !