L’évolution des droits de l’enfant a-t-elle été sacrifiée aux calculs politiques ? Après l’annonce, au lendemain des « Manifs pour tous », d’un report à 2015 de la présentation du projet de loi sur la famille (voir ce numéro, page 6), les acteurs de la protection de l’enfance et les associations familiales s’indignent, peu convaincus par les arguments du gouvernement qui prétexte un texte non finalisé, un calendrier parlementaire chargé et la volonté de « créer les conditions de sérénité et de concertation indispensables ». Alors qu’enflaient les protestations des partisans du modèle « traditionnel » de la famille, ravivées par le prétendu enseignement de la « théorie du genre » à l’école et la crainte de voir apparaître dans le texte la procréation médicalement assistée pour les couples de femmes, le projet de loi devait aborder des questions cruciales pour l’intérêt de l’enfant, rappelle la CNAPE (Convention nationale des associations de protection de l’enfant). Des sujets « bien loin de tout positionnement idéologique, qui méritent des évolutions législatives ». De fait, les quatre rapports préparatoires demandés par la ministre – sur la médiation familiale et la coparentalité, sur le statut personnel de l’enfant et ses droits, sur la protection de l’enfance et l’adoption, sur les droits et devoirs des beaux-parents – semblent remisés dans les cartons. « Dommage », abonde l’association Enfance et familles d’adoption, « alors que les réflexions de ces derniers mois faisaient naître l’espoir d’avancées trop souvent reportées dans le domaine des droits des enfants ».
La CNAPE précise que le projet de loi devait notamment porter les ajustements législatifs nécessaires à l’« application pleine et entière » de la réforme du 5 mars 2007 de la protection de l’enfance. Autre enjeu important: le développement de l’adoption simple, qui aurait, « sous réserve de quelques aménagements, le mérite d’apporter des solutions à certaines situations complexes ou lorsque subsistent des liens familiaux distendus ». Ou encore la prise en compte des droits de l’enfant, « trop peu intégrés dans les décisions et l’accompagnement des enfants ».
« Quel gâchis ! », s’énerve également Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny (1), responsable du groupe de travail intitulé « De nouveaux droits pour les enfants ». « Plus d’un million d’enfants vivent avec un seul de leurs géniteurs: quels sont les rôles respectifs du père et du beau-père, de la mère et de la belle-mère ? Nous proposions des solutions concrètes, pragmatiques, de nature à rassurer les adultes comme les enfants. Depuis 15 ans cette adaptation s’impose. Tout est bon pour l’empêcher. » Permettre aux enfants de voir respectées leurs différentes affiliations, faire évoluer le statut civil de l’enfant en lui reconnaissant « des droits à la hauteur des devoirs »… Autant de pistes qui sont mises « au placard », craint le magistrat.
Certes, les députés socialistes et EELV annoncent des propositions de loi pour faire revenir par la fenêtre parlementaire les principaux volets du texte. Mais avec quelle cohérence et selon quelles bases ? Les rapports seront-ils pris en compte ? Sans compter que, aux yeux des professionnels concernés, la lisibilité de la politique de l’enfance et de la famille du gouvernement ne sort pas indemne de ce recul. Le Syndicat de la magistrature enjoint ainsi le chef de l’Etat de « respecter ses engagements », tandis que la Voix de l’enfant demande l’organisation d’une « conférence de consensus sur l’enfance » pour aboutir à une loi d’orientation.
(1) Sur