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Un cocon de dignité

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Structure extrahospitalière, la maison d’accueil de jour La Chrysalide, près de Blois, reçoit des personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer. Récompensé par le « Prix européen Alzheimer » 2009, ce lieu place l’appui aux aidants au cœur de son travail.

Il est 10 heures, et les premiers usagers arrivent à la maison d’accueil de jour La Chrysalide (1). Situé à Vineuil, une commune de la périphérie de Blois, cet établissement extrahospitalier – créé par le centre intercommunal d’action sociale (CIAS) du Blaisois – a ouvert ses portes en novembre 2008. Mitoyen d’un centre social, il accueille chaque jour une douzaine de personnes âgées de 60 à 95 ans atteintes par la maladie d’Alzheimer ou par des formes de démence apparentées.

« Le lieu est fréquenté régulièrement par 35 personnes, note Marilyne Pecnard, l’infirmière coordinatrice du lieu. Si rien ne s’oppose à ce qu’elles s’y rendent tous les jours de la semaine, elles y passent en moyenne deux ou trois journées. Venir tous les jours serait trop fatigant pour elles. » Certaines sont accompagnées par un conjoint ou un enfant, mais la plupart bénéficient d’un transport organisé par l’établissement. Matin et soir, Catherine Macaire, chauffeuse en contrat aidé, parcourt ainsi plusieurs dizaines de kilomètres pour aller les chercher. Sa collègue étant en arrêt maladie de longue durée, ce sont les deux aides-soignantes et l’aide médico-psychologique (AMP) qui se relaient trois fois par semaine, le matin ou le soir, pour assurer les autres transports. Parfois aussi, les salariés du service inter­communal d’aide à domicile (SIAD) qui interviennent chez les malades les conduisent à La Chrysalide.

Pendant une demi-heure, les arrivées s’échelonnent. Chacun tient un petit sac contenant un change pour pallier d’éventuels « accidents » et un carnet de liaison avec la famille. Peu à peu, dix personnes prennent place dans le petit salon clair où des canapés classiques côtoient quelques fauteuils médicalisés. Certaines lisent le journal, d’autres entament une conversation ou semblent plongées dans leurs pensées.

GARDER LA PERSONNE ACTRICE DE SA VIE

Une fois tout le monde installé, Martine Volant et Sylvie Flamand, les deux aides-soignantes, et Nina Jacob, stagiaire en terminale professionnelle « accompagnement et services à la personne », proposent du thé ou du café. « Même si, à force, nous savons ce que chacun prend, il nous semble important de systématiquement le redemander. C’est une manière de garder, par le biais de ces petits choix, la personne actrice de sa vie », commente Sylvie Flamand. Vient ensuite le temps de l’activité matinale. L’aide-soignante commence par faire deviner la date. Le jour et le mois sont trouvés par l’assistance, mais c’est la professionnelle qui précise l’année. S’enchaîne un tour de table où chacun se présente, en indiquant son nom, son ancienne profession et son lieu de résidence. Cet échange est l’occasion pour certains d’évoquer leur passé professionnel : un vieil homme, ancien couvreur, qui a fait toute sa carrière dans la même entreprise, raconte quand celle-ci a été chargée de refaire une partie de la toiture du château de Chambord. « C’est important de rattacher la personne à son histoire, insiste Marilyne Pecnard. Elle n’est pas que “malade d’Alzheimer”", elle est aussi une personne qui a eu des enfants, un travail… »

SOLLICITER LE PASSÉ POUR COMPRENDRE LE PRÉSENT

Le travail sur la mémoire prend des formes variées. Deux matinées par mois, une psychologue anime des ateliers « mémoire » autour de charades et de devinettes, tenus en son absence par l’équipe. D’autres ateliers, baptisés « réminiscence », sont organisés autour d’objets qui évoquent un thème. Ces moments favorisent l’émergence de souvenirs et leur partage avec le groupe – « même si la personne, du fait de son aphasie, ne peut nommer certains objets qu’elle voit, ils susciteront un autre type de paroles », explique Marilyne Pecnard. A travers ces évocations de la vie quotidienne, ce sont des pans entiers du passé des usagers qui ressurgissent.

La Chrysalide a d’ailleurs répondu à un appel à témoins lancé par La nouvelle République sur les années 1940 et 1950. Un journaliste du quotidien régional s’est rendu sur place pour assister à l’un des ateliers. Un vieux transistor, un combiné de téléphone, des photos d’acteurs ou de mobilier d’époque, et deux décennies refont surface : les aliments conservés dans le sel, la télévision achetée au prix de un an de privation de cigarettes… L’évocation de tels souvenirs avec la personne et sa famille aide à mieux saisir certains comportements en apparence insensés. Comme les crises d’angoisse en voiture de cette vieille dame qui a perdu deux filles dans un accident automobile…

Plus tard, deux activités sont proposées : un jeu de mémoire, pour lequel les participants sont invités à nommer des chanteurs dont le nom commence par une lettre, et la préparation d’une galette des rois. Trois vieilles dames, bientôt rejointes par une quatrième, vont préparer les gâteaux. Chacune d’elles est assistée par une professionnelle, même si, en mesurant les ingrédients, en les mélangeant, elles renouent rapidement avec des gestes connus.

Avant le repas, il est proposé à chacun d’aller aux toilettes. Ce qui implique parfois d’accompagner la personne dans les lieux, car, pour certains, les mots « WC » ou « toilettes » ne signifient plus rien. « Nous essayons au maximum d’anticiper et d’éviter les “accidents”, confie Martine Voland. Dans le cas contraire, la personne est amenée le plus discrètement possible aux toilettes, pour lui éviter tout sentiment de honte vis-à-vis des autres. »

Le temps du repas, entre autonomie et aide, est important dans la vie de la structure. A chaque table, une professionnelle au minimum partage le repas avec les usagers. Si certains mangent seuls, d’autres ont besoin d’être aidés. Ainsi, une vieille dame déchire sa serviette de papier en tout petits bouts, qu’elle se prépare à mettre dans sa bouche. Tranquillement, Aurélie Bottier, AMP stagiaire, lui rappelle : « Ce n’est pas bon, le papier. Le yaourt, c’est meilleur », et l’invite à reprendre sa cuillère. Après le repas, se décline un temps calme : dans le petit salon, certains s’assoupissent, d’autres regardent la télévision. Pendant une petite demi-heure, l’équipe se réunit afin de remplir les cahiers de liaison avec les familles, mais aussi de partager les observations sur l’évolution des comportements des personnes accueillies. La semaine passée, deux nouveaux ont effectué un « essai » sur une journée. L’échange porte sur la manière dont ils ont vécu ce premier temps dans la structure et sur les activités à leur proposer. L’un des deux, ancien médecin spécialiste, s’est défini lui-même comme « pas communautaire ». Resté sur la réserve, il a toutefois participé à un jeu de société et a montré de l’intérêt pour la bibliothèque. Il a aussi semblé intéressé à l’évocation du jardinage. C’est un travailleur social du CIAS qui, face à la détresse de sa femme en grande souffrance, a proposé qu’il vienne à l’accueil de jour.

La volonté de venir en appui aux aidants a été à l’origine de la création de La Chrysalide. « En charge du SIAD, nous étions souvent confrontés à la même situation. Dans les couples où une personne était atteinte de la maladie d’Alzheimer, nous prenions celle-ci en charge, puis nous prenions en charge aussi son conjoint. Souvent, usé, celui-ci décédait le premier », raconte Nicole Brossard, responsable du service « retraités et personnes âgées » au CIAS du Blaisois. En 1991, lors d’un voyage d’études en Angleterre, elle découvre une structure qui suscite son intérêt, à mi-chemin entre le club de seniors et l’accueil pour personnes désorientées. Elle rêve alors de monter un tel lieu, novateur dans l’Hexagone. En 1998 est élaboré un premier projet, qui ne verra pas le jour, faute de financement. Il faudra attendre dix ans pour que La Chrysalide ouvre enfin ses portes.

Les postes des salariés sont financés aux deux tiers par l’agence régionale de santé (ARS) et pour un tiers par le conseil général, via l’allocation personnalisée d’autonomie. Un prix de journée est déterminé en fonction du degré d’autonomie des personnes accueillies. De leur côté, les usagers règlent une participation fixe à l’hébergement. Quant au CIAS, il ne subventionne pas la maison d’accueil, mais assure sa gestion et prête les locaux. Le projet a été lauréat 2009 du « Prix européen Alzheimer », organisé par le réseau Elisan et la Fondation Médéric-Alzheimer.

TOUS LES PERSONNELS FORMÉS À « L’HUMANITUDE »

L’aménagement du lieu a été soigneusement réfléchi. La lumière naturelle est privilégiée grâce à un patio conçu comme un puits de lumière. L’accès aux terrasses extérieures est aisé, les couleurs du mobilier sont claires et apaisantes et des espaces de déambulation ont été aménagés autour des toilettes. Dans celles-ci, les miroirs ont été enlevés. « Certaines personnes ne se reconnaissent plus. Ce n’est pas la peine de les mettre en échec », souligne Amélie Régnier, AMP. Pour proposer un accompagnement respectueux de la personne, une sensibilisation de quatre jours à la « philosophie de l’Humanitude » (2) a été proposée à tous les personnels de la structure. Selon ses promoteurs, elle se définit comme « une réflexion sur les caractéristiques que les hommes possèdent et développent en lien les uns avec les autres, sur les éléments qui font que chaque homme peut reconnaître les autres hommes comme des semblables. » « Cette formation m’a offert un temps de recul sur ma pratique, affirme la professionnelle. Elle m’a confortée dans la notion d’accompagnement : tenir compte de l’ensemble des possibles des personnes accueillies et aller à leur rythme. » Cette approche se traduit dans de petits gestes. « Si je parle avec une personne assise, notamment parce qu’elle ne peut plus se lever, c’est à moi de me baisser pour capter son regard. » Ou encore, les professionnelles se placent systématiquement en face de la personne et non sur le côté, évitent de prendre les mains trop riches en capteurs sensoriels, mais préfèrent toucher les épaules… Les « crises » sont aussi pensées autrement. « Quand, par exemple, une personne refuse de manger, elle pose de cette façon un choix. C’est donc aussi à moi de réfléchir à ce qui, dans mon comportement, a pu provoquer ce refus… Ma voix est peut-être trop forte. C’est aussi accepter que l’on ne soit pas tout puissant et que l’autre est doté d’une volonté propre. » L’accompagnement de personnes malades d’Alzheimer nécessite aussi d’apprendre à réagir face à des sauts impromptus dans le passé. « Quand une personne replonge dans la Seconde Guerre mondiale et panique à l’idée d’être attrapée par des soldats allemands, il ne sert à rien de lui dire que nous sommes en 2014. Mieux vaut d’abord la réconforter en lui disant que les soldats sont partis et la ramener doucement dans le présent », détaille Marilyne Pecnard.

UNE ATTENTION PARTICULIÈRE AUX AIDANTS

Pour l’équipe de la maison d’accueil, le soutien aux aidants fait partie intégrante de ses missions. Il est en effet essentiel d’aider ceux-ci à comprendre la maladie et les effets qu’elle engendre. « Il importe de prendre conscience que ces comportements ne sont pas destinés à embêter l’entourage. La dame qui ne fait plus son lit le matin n’y met pas de la mauvaise volonté. Simplement, elle ne sait plus le faire », précise la responsable. « Nous nous sommes rendu compte que pour que les personnes accueillies soient bien, il fallait que leurs proches le soient aussi », insiste Sylvie Flamand. Cette attention aux aidants prend des formes variées. Cela commence par la simple observation, lorsque la professionnelle vient chercher ou ramène la personne accueillie à son domicile, ou que l’aidant se rend à La Chrysalide. « Le malaise peut s’exprimer de manière non verbale, par le fait qu’une femme qui avant se maquillait ne le fait plus, ne se coiffe plus », raconte Catherine Voland. « Il peut aussi s’exprimer de manière détournée, ajoute Amélie Régnier. L’aidant ne dit pas qu’il n’en peut plus, mais il insiste sur la dégradation de l’état de santé de la personne accueillie. » L’usure peut encore s’énoncer brutalement : « Un soir, à 17 heures, alors que j’étais seule dans la structure, un monsieur m’a dit : “Je vais me tuer, mais tout est en place pour ma femme”… » Depuis septembre 2013, un dispositif d’aide aux aidants a été mis en place. Non seulement ils peuvent rencontrer la psychologue lorsqu’elle est présente, mais un rendez-vous périodique est également organisé, au moins deux fois par an. En outre, chaque mois, la maison d’accueil est fermée durant une journée pour permettre de rencontrer les aidants. Pendant trois quarts d’heure, ceux-ci sont reçus par un binôme : la référente de la personne accueillie assistée d’une de ses collègues. L’histoire de la personne malade est alors retracée, ce qui facilite une meilleure appréhension de certains comportements. Grâce à cette proximité avec les aidants, il est possible d’aborder parfois des thèmes délicats. « Un homme accueilli posait la main sur les cuisses des femmes. Un jour, j’en ai parlé à son épouse en lui demandant comment il se comportait avec elle. Elle m’a raconté que, depuis qu’il était malade, elle ne supportait pas qu’il la touche. Il était important de lui expliquer que, même malade, il pouvait manifester un besoin d’affection, mais aussi de lui permettre de dire que, pour elle, ce n’était pas possible », raconte Amélie Régnier.

Ces rencontres avec les aidants sont aussi l’occasion de faire le point sur les dispositifs d’aide et les évolutions à envisager dans la prise en charge des malades. Trop souvent culpabilisés, les aidants ne doivent pas se sentir jugés quand ils décident de placer la personne en institution. « Ces temps sont émotionnellement très forts, nous accompagnons le travail de deuil qu’ils doivent accomplir. La personne qu’ils ont connue est physiquement là, mais a disparu », exprime Marilyne Pecnard. Pour mieux leur venir en aide, les membres de l’équipe vont d’ailleurs suivre dans les prochains mois une formation consacrée à la relation d’aide.

L’aide aux aidants ne se limite pas à des rencontres individuelles. La structure essaie aussi de tisser des liens entre eux. Deux fois par an, un grand repas a lieu dans la salle du centre social voisin. Il rassemble les professionnels, les personnes accueillies et leurs familles. « Le plan de table permet de rapprocher des aidants aux problématiques similaires, indique l’infirmière coordinatrice. Nous aimerions pouvoir bientôt organiser des groupes thématiques. » Reste que, si la volonté de développer l’appui aux aidants est forte, le temps manque pour cette petite équipe. En effet, les financements actuels ne permettent d’employer les professionnels qu’à 80 %.

SNOEZELEN
Apaiser en stimulant les sens

Ouvert en 2009, l’espace Snoezelen de La Chrysalide a été intégralement financé par le Groupe Réunica. Originalité du lieu, il n’est pas situé dans une institution spécialisée et est accessible à toute personne qui en fait la demande, à condition d’être accompagnée par une personne formée à l’utilisation de cet espace. Totalement hermétique à la lumière du jour, cette pièce propose des stimulations des cinq sens : matelas à eau qui permet des massages, colonnes lumineuses, musique douce ou rythmée, aromathérapie… Les personnes accueillies à La Chrysalide peuvent en bénéficier lorsqu’elle n’est pas réservée par une autre structure. « Nous l’utilisons parfois pour relaxer une personne très angoissée, explique Maryline Pecnard. Cela reste malheureusement rare car il s’agit d’une relation duale et, compte tenu de la faiblesse de notre équipe, il est difficile de mobiliser longuement une professionnelle pour une seule personne. »

Notes

(1) La Chrysalide : 13, rue des Ecoles – 41350 Vineuil – Tél. 02 54 45 54 60.

(2) Développée il y a trente ans par Yves Gineste et Rosette Marescotti, la « philosophie de l’Humanitude » vise à restituer à la personne sa dignité d’être humain et s’inscrit ainsi dans une démarche de bientraitance. Elle repose sur quatre piliers : la parole, le regard, le toucher et la verticalité. Cette méthode de soins postule que l’être humain, même atteint par la maladie d’Alzheimer, reste doué de désir et capable de lutter pour maintenir ou retrouver son autonomie autant que possible et que l’aide se situe dans le cadre d’une relation entre deux personnes, chacune douée de sensibilité.

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