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« La protection juridique ne se substitue pas à l’action sociale »

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Imprécis et surestimé par certains, le périmètre des missions et des responsabilités des mandataires judiciaires à la protection des majeurs mériterait d’être plus clairement circonscrit, plaide Philippe Morin, directeur du service de protection juridique et des services d’accompagnement social à l’APASE (Association pour l’action sociale et éducative) en Ille-et-Vilaine.

« La notion de protection de la personne, bien que consacrée par la réforme de 2007 sur la protection juridique des majeurs, demeure peu précise dans le code civil (articles 457-1 à 463). Aussi la jurisprudence est-elle venue en préciser les contours, par l’arrêt n° 160 du 27 février 2013 de la Cour de cassation (1)… qui n’est pas sans soulever des interrogations, voire inquiéter bon nombre de directions de services…

Rappelons les faits. Une association chargée d’une mesure de tutelle fait remplacer, dans le logement qu’occupe une personne protégée, un dispositif de cuisson alimenté par le gaz par un autre dispositif ­utilisant de l’électricité. Peu après les travaux, le logement prend feu, l’incendie étant dû au contact entre une flamme et le gaz après ouverture du robinet dont l’arrivée n’a pas été neutralisée. L’assureur subrogé dans les droits de l’assurée décédée assigne l’Etat et l’association tutélaire en remboursement des indemnités versées aux héritiers. Pour la Cour de cassation, comme pour la cour d’appel avant elle, la faute de l’association tutélaire est caractérisée par le fait que, devant veiller “au bien-être et à la sécurité de l’incapable”, elle avait pour obligation de s’assurer que l’intervenant “avait supprimé tout risque pour une personne dont les facultés de discernement étaient altérées, une telle vérification ne nécessitant pas de connaissances techniques particulières”. La Haute Juridiction a donc condamné l’Etat à indemniser l’assureur de la victime. Ces notions de “bien-être” et de “sécurité” ne sont pas définies dans le code civil. Quoi qu’il en soit, avec cette jurisprudence, il suffira d’établir qu’une association n’a pas “veillé au bien-être et à la sécurité” d’une personne faisant l’objet d’une mesure de protection juridique pour caractériser une faute.

Depuis de nombreuses années, une partie des acteurs du monde tutélaire (associations, fédérations, mandataires, juges des tutelles, représentants des usagers…) défend l’idée d’une protection totale et entière des personnes placées sous mesures de protection juridique, sur fond de protection assurantielle et d’accompagnement social. Le terme “juridique” se trouve au passage occulté. Cette lecture des textes renvoie à un tuteur protecteur, sauveur, rien ne devant arriver à son protégé, et ce, dans l’ensemble des situations de la vie quotidienne, ses missions n’étant plus circonscrites à certains actes de la vie civile.

Les mandataires, les associations et plus lar­gement des fédérations, des juges parfois, peu­vent être en quête de valorisation, de légitimité aussi, via cette mission de secours à l’égard des vulnérables. Beaucoup de services tutélaires se sont construits et développés sur cette protection-accompagnement social, par le biais notamment des tutelles aux prestations sociales adultes (TPSA), accolées aux curatelles. Focalisés sur la noble et respectable action sociale, les projecteurs laissent dans l’ombre la protection juridique et le mécanisme d’incapacité civile. “Nous ne sommes pas des comptables ou des gestionnaires, notre travail est d’abord de prendre en compte la personne en faisant de l’accompagnement social. Nous sommes là pour les protéger” : ce type de discours s’est répandu parmi les mandataires, mais aussi les chefs de service et les directeurs.

L’illusion d’un monde « sous cloche »

La disparition des TPSA et certaines émissions télévisées sur les mandataires judiciaires à la protection des majeurs (MJPM) ont participé, ces dernières années, à la détérioration de cette image gratifiante de la protection juridique. En épinglant quelques situations malheureuses toujours trop nombreuses et que nous devons combattre vigoureusement, les médias participent largement à une image délétère de la profession, difficile à vivre par les intéressés. Pour tenter de la corriger, mais aussi par habitude et/ou idéologie, par loyauté à sa propre identité professionnelle, une partie du secteur tutélaire continue d’appréhender la protection juridique sous l’angle presque exclusif d’une action sociale compassionnelle, mettant au second plan, les omettant parfois, les logiques et mécanismes juridiques qui la sous-tendent. C’est ainsi que la finalité de la protection des personnes vulnérables tend à supplanter la protection juridique des majeurs. Cette approche correspond d’ailleurs à la commande d’une société en quête de protection parfaite, d’un monde dans lequel il n’arriverait rien à personne… et qui n’est pas la vie. Ce mythe d’un monde mis sous cloche, où plus aucun risque ne serait acceptable, nous semble constituer une voie sans issue, et la source perpétuelle de revendications toujours insatisfaites. Aucun moyen (par exemple financier…) ne saurait répondre à cette logique d’extension de la protection, qui en outre ne pourra combler tous les manques, ne permettra pas que l’on soit au chevet de chacun, et ne pourra répondre à cette commande sociale qu’est le bien-être.

Cet arrêt de la Cour de cassation représente par ailleurs un pas de plus vers une extension de la protection de l’enfance aux personnes majeures, avec en particulier la notion de “garde” et l’alignement avec la responsabilité sans faute des parents qui le sous-tendent en filigrane (article 1384 alinéa 4 du code civil). Cette protection-là ne nous semble pas souhaitable, pour deux raisons principales : elle participe au fait que l’on perde de vue que ces personnes sont d’abord nos pairs, avant d’être étiquetées “vulnérables” ; elle fait peser la mission de l’attention à l’autre sur les épaules exclusives du MJPM, en bout de chaîne de la prise en charge de situations difficiles que tout le monde a désertées, avec tout ce que cela peut induire en termes d’isolement et de responsabilité professionnelle.

L’immense majorité des mandataires judiciaires et institutions tutélaires travaillent en ayant en permanence le souci de la personne et de son bien-être. Le métier fait appel à de nombreuses compétences, savoir faire, savoir être, et ce, bien au-delà des formations de base, qu’elles soient sociales ou juridiques. Mais si la protection juridique requiert la plus grande attention aux personnes, pour autant, elle ne se substitue pas à l’action sociale en tant que politique publique confiée au conseil général. Elle ne se substitue pas non plus au secteur sanitaire, à la famille, aux proches, qui trop souvent disparaissent parce qu’il y a un curateur ou un tuteur. Le mandataire judiciaire n’a pas l’exclusivité de la vigilance à l’autre dans le vivre-ensemble. Une telle vision du métier contribue à faire oublier que cette vigilance est du ressort du collectif, de la société tout entière, y compris pour une personne sous protection juridique.

Il ne s’agit pas d’échapper à nos responsabilités, mais de rappeler les limites de celles-ci, les missions de la protection juridique des majeurs, et les éventuelles dérives dont nous pouvons être les principaux acteurs si nous n’y prenons pas garde. Le mandataire accompagne les personnes dans l’exercice de leur capacité juridique dont elles sont partiellement privées, et ce, au sein d’un Etat de droit. Ces personnes peuvent ainsi utiliser les outils de droit commun par des actes civils sécurisés du fait de l’assistance ou la représentation juridique du curateur ou tuteur, condition indispensable pour demeurer citoyennes à part entière. Cette démarche consiste notamment à informer, conseiller, entendre la volonté de la personne, l’aider si besoin à faire surgir et triompher cette volonté (en fonction de ses aptitudes), mais aussi contrôler son consentement (est-il éclairé ? non vicié ? etc.). Cet accompagnement de la personne, partie intégrante de l’assistance juridique, peut aboutir à une cosignature de la personne et du curateur, rendant l’acte valable (contrat, convention…).

Sans perdre de vue que la théorie juridique de l’incapacité civile structure le “montage” des mesures de protection juridique, portons notre attention sur le fait que la loi de 2007 étend le champ de l’incapacité civile du domaine des droits patrimoniaux (“protection des biens”) aux droits personnels (“protection de la personne”). Dès lors, la protection de la personne prend un tout autre sens que celui d’une protection assurantielle. Elle vise la protection juridique des droits personnels (droit de circuler librement, droit à l’image, droit à la dignité, à la vie privée, au secret de la correspondance, etc.), par l’assistance ou la représentation juridique. Ce premier volet ne nous semble pas toujours bien repéré dans le cadre des pratiques professionnelles.

Devoir d’alerte

Par ailleurs, un second volet peut être dégagé, relatif cette fois-ci au danger encouru par une personne. Dans ce cadre, le MJPM n’est pas tenu, contrairement à ce qui lui est régulièrement renvoyé, de faire cesser le danger. Sans s’exclure de sa responsabilité à cet égard, il a en revanche un devoir d’alerte de la “communauté”, et peut exiger que des moyens soient mis en œuvre dans les plus brefs délais pour que la situation de la personne soit sécurisée. En conséquence, la protection juridique de la personne ne devrait donc pas tant être appréhendée comme une obligation – qui pèserait exclusivement sur la tête du MJPM – de prise en charge de l’insécurité, voire du danger, que comme un levier d’alerte et d’interpellation du réseau dans lequel s’inscrit la personne et des autorités publiques.

Il faut rompre avec cette idée que la personne est “réduite” à l’état de “vulnérable protégé” par son curateur ou son tuteur dans une sorte de sphère privée, au sein de laquelle le mandataire – considéré comme un proche – serait responsable du sort de la personne vulnérable tout comme le parent le serait de son enfant. Dans cette approche, la protection par un professionnel est un succédané de la protection domestique. L’arrêt de février 2013 va, hélas !, dans ce sens. Au-delà de pratiques professionnelles revendiquées par certains, jusqu’où les directions et fédérations pourront-elles promouvoir une telle conception de la protection juridique ? »

Contact : philippe.morin@apase.org

Notes

(1) Arrêt disponible sur http://goo.gl/KW8tJT.

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