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« Changer le pansement ? »

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Robert Lafore. Professeur de droit public à l’université de Bordeaux-Institut d’études politiques.

« Mieux vaut penser le changement que changer de pansement. » Chacun connaît la formule de l’humoriste Pierre Dac, et l’on s’accordera probablement à reconnaître qu’elle constitue un aphorisme applicable à bien des situations de notre vie politique.

Prenons, à tout hasard, le chantier de l’Acte III de la décentralisation, dont le premier volet vient d’être validé par le Conseil constitutionnel (voir ce numéro, page 36). Cette loi « de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles » a voulu se frayer un chemin entre deux contraintes : d’un côté, maintenir le statu quo en matière d’organisation décentralisée, ce à quoi tiennent un grand nombre d’élus locaux et peut-être de citoyens ; de l’autre, adapter ce système devenu contre­productif car d’une complexité et d’une lourdeur défiant la simple rationalité. Autrement dit, ne rien changer tout en changeant quelque chose…

Pour ne rien changer, il a suffi de se garder de remettre en cause le dispositif à cinq niveaux hérité du passé, où se superposent l’héritage républicain qui a longtemps fait ses preuves – commune-département-Etat – et les adjonctions qui lui ont été apportées pour faire face aux transformations économiques et sociales – intercommunalité-région. La loi y ajoute même un élément de perturbation supplémentaire en créant une nouvelle forme d’intercommunalité bien plus puissante – la métropole – qui vient s’intercaler entre la commune et le département et qui pourrait bien avaler l’une et l’autre.

Mais parler de « perturbation », c’est justement ouvrir le chapitre des changements car, pour faire bouger un ensemble que l’on ne peut modifier, les seules ressources disponibles sont le contournement et la déstabilisation. Déjà, la métropole comporte un potentiel perturbateur en s’affirmant, d’une part, comme un niveau d’intégration des communes qui la composent et donc comme un facteur de leur effacement à terme, et en visant, d’autre part, l’évidement du département et son affaiblissement probable. De fait, dans les territoires comprenant une ou plusieurs métropoles, que deviendra le département, renvoyé à la gestion des seuls espaces ruraux ?

De plus, certes fortement édulcorée par les parlementaires, l’idée du gouvernement d’instituer une « conférence territoriale de l’action publique » (CTAP) présidée par la région a été sauvée. Cette structure pourra essentiellement favoriser la conclusion de conventions territoriales d’exercice concerté des compétences, l’instrument n’ayant cependant pas de caractère contraignant. Voilà donc le « graal », l’instrument décisif de la mise en ordre rationnelle des attributions dans un système polyarchique et multiniveaux : inciter les acteurs à coordonner leurs activités.

En soubassement des deux novations précédentes, deux autres séries de dispositions se révèlent particulièrement ambiguës. D’abord, faisant droit au lieu commun habituel de la « nécessaire clarification », la loi comportera désormais officiellement la désignation des « chefs de file ». Ce qui conduit à solidifier des partages que l’on sait irréalistes – notamment entre la région, en charge de l’économie et de la formation, et le département, en charge des dégâts sociaux qui en résultent. Chaque niveau se trouve donc conforté, et comme ils restent aussi nombreux, on devra s’en remettre à la conclusion de conventions partenariales via la CTAP. Ensuite, on rétablit pour la région et le département la « clause de compétence générale », qui leur permet de sortir de leurs domaines d’attributions, ce qui, à l’expérience, brouillera ce que par ailleurs on entend distinguer clairement. Et, pour finir de compliquer les choses, Jean-Marc Ayrault vient de déclarer qu’il souhaitait réserver cette clause à l’Etat et aux communes…

Au moment même où l’on adoptait ce texte, les plus hautes autorités de l’Etat évoquaient à nouveau des perspectives plus radicales, comme le regroupement de régions, quand des voix de plus en plus nombreuses mettaient en cause la pertinence du département… Petite musique curieuse, certes, mais révélatrice, comme si les solutions apportées par la loi n’étaient que de bien timides adaptations face à des nécessités qui semblent s’imposer : trop de niveaux d’administration ; des partages d’attributions construits sur les anciens découpages, dorénavant inadaptés, de l’action publique ; des distorsions entre les lieux construits sur la légitimité démocratique et les niveaux d’action pertinents ; bref, un système politico-administratif de type bureaucratique, vertical/sectoriel, désarticulé et devenu fortement entropique. Pour revenir à Pierre Dac, on peut se demander si nous pourrons longtemps encore nous contenter de changer les pansements…

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