« Les intentions sont bonnes, le discours a changé, mais les avancées sont lentes et les moyens trop faibles. Il y a un décalage entre l’urgence des besoins, d’une part, et, d’autre part, le temps de mise en œuvre et l’articulation des dispositifs sociaux qui peuvent produire du changement. » Le constat de Bernard Schricke, directeur de l’action France et Europe du Secours catholique, résume le sentiment mitigé des acteurs de la lutte contre l’exclusion à l’issue du discours du Premier ministre, le 24 janvier, sur le bilan de l’an I du plan pluriannuel contre la pauvreté et la « feuille de route » 2014 (voir ce numéro, page 5).
Un sentiment sans doute nourri par la confusion qu’a engendré un changement de programme tardif. Alors que les associations s’attendaient, comme annoncé et prévu par le plan, à la tenue d’un comité interministériel de lutte contre les exclusions, Jean-Marc Ayrault a préféré formuler ses annonces lors d’un déplacement à Cergy-le Haut (Val-d’Oise). A Matignon, on défend que, la « feuille de route » étant le fruit d’un travail interministériel, l’idée a prévalu de privilégier un déplacement devant les acteurs concernés, « dans un esprit de mobilisation générale ». Le terrain plutôt qu’une grand-messe qui n’aurait rien changé au résultat. Mais les associations n’y voient pas le même symbole. « Nous sommes très déçus, tempêtait Bruno Grouès, responsable du pôle « Lutte contre les exclusions » de l’Uniopss et coordinateur du collectif Alerte, à l’issue du discours de Jean-Marc Ayrault. Nous le recevons comme un mauvais signal, comme s’il n’y avait pas besoin de réunir tous les ministres sur la question. D’ailleurs, il n’y a aucune mesure nouvelle ! Sachant qu’il faudra économiser 50 milliards d’euros et qu’il n’y a pas de programmation financière du plan, nous sommes très inquiets, particulièrement pour 2015. »
Que les acteurs aient dû se plonger dans les 37 pages du dossier de presse pour prendre la mesure de la « feuille de route », après un discours ayant privilégié l’esprit des réformes plutôt que le détail des actions, n’a pas non plus favorisé sa lisibilité. Peut-être une faille, alors que François Chérèque s’inquiète justement, dans son rapport d’évaluation, d’un déficit de communication sur le plan. Certes, les objectifs 2014 consistent pour l’essentiel à poursuivre la mise en œuvre de mesures engagées, hormis quelques décisions comme la reconduction automatique de la complémentaire santé pour les bénéficiaires du minimum vieillesse. Mais ils ont aussi le mérite d’accélérer ou de renforcer des mesures encore en souffrance. « Que les rendez-vous pris soient respectés est déjà important », reconnaît Pierre-Yves Madignier, président d’ATD quart monde. Les associations, qui partagent l’essentiel du rapport d’évaluation de François Chérèque, se réjouissent ainsi de l’annonce de la nomination de « référents du plan » pour améliorer son pilotage dans les territoires. Ou encore de l’organisation d’une nouvelle conférence nationale contre la pauvreté en 2015. « A condition qu’elle permette d’aller au-delà des 61 mesures initiales », prévient Bruno Grouès.
Les associations souhaitaient, néanmoins, des engagements qu’elles n’ont pas obtenus. Le Premier ministre a promis que la réforme du RSA activité aurait lieu dans le cadre de la réforme fiscale, mais ses modalités sont loin d’être arbitrées. « Lutter contre le non-recours, cela coûte cher », craint Bruno Grouès, qui s’attend à devoir batailler dur pour défendre le dispositif proposé par le député (PS) Christophe Sirugue. « On demandait en attendant un dégel de la prime pour l’emploi, ajoute Florent Guéguen, directeur général de la FNARS (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale). Environ 300 millions d’euros sont perdus chaque année pour les travailleurs pauvres, et comme la réforme doit se faire à coût constant, attendre l’obère un peu plus. » Les associations estiment également la « garantie jeunes » « sous-dimensionnée » au regard de la massification de la pauvreté au sein de cette population. Sur ce point néanmoins, François Chérèque insiste sur sa divergence avec elles : « Il faut expérimenter avant de généraliser, sinon cela donne le RSA activité, un dispositif mal ficelé et 68 % de non-recours », tacle l’inspecteur général des affaires sociales.
En revanche, que la « feuille de route » de Matignon rappelle à l’ordre les bailleurs et les préfets pour reloger les ménages prioritaires au titre du DALO (droit au logement opposable) est « un signal positif », se réjouit Florent Guéguen. Même si, ajoute-t-il, les objectifs de production de logement très social restent très faibles et le contingent municipal « n’est toujours pas mobilisé ». Quant aux bidonvilles, regrette-t-il encore, le dossier insiste sur la scolarisation des enfants, sans dire mot des défauts d’application de la circulaire du 26 août de 2012 sur l’accompagnement des évacuations.
Lors des réunions territoriales qu’il a animées, « les mondes de l’entreprise et de la lutte contre l’exclusion se sont peu rencontrés » avait, pour sa part, regretté François Chérèque lors de la présentation de son rapport. Au moment où le chef de l’Etat prépare une politique de relance de la croissance, les associations espèrent aussi une cohérence. La mobilisation des partenaires sociaux est attendue. « Pour l’instant, le “pacte de responsabilité” est déséquilibré », déplore Florent Guéguen. La FNARS demande des contreparties en termes de pouvoir d’achat des ménages et d’embauche des personnes en insertion. »
Pour Etienne Pinte, président du CNLE (Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale), « le gouvernement marque la volonté d’avancer malgré la crise. C’est très important, même si c’est insuffisant. » Geste remarqué, le Premier ministre a remercié les membres du « huitième » collège qui représentaient les personnes en situation de pauvreté au conseil jusqu’à fin décembre. Arrivés en fin de mandat, comme tous les autres membres, ils ont été invités à la tribune avant le discours officiel. « Nous aimerions qu’un autre pas soit franchi avec l’inscription de l’interdiction de la discrimination sociale dans le code pénal », revendique néanmoins Pierre-Yves Madignier.