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Emploi et logement : deux politiques qui doivent converger, selon la Fondation Abbé-Pierre

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Dans son 19e rapport annuel, la fondation décrypte les interactions entre ces deux facteurs de précarisation. Et appelle à considérer le logement comme un vecteur de développement économique.

Beaucoup a déjà été dit sur les conséquences de la dégradation du pouvoir d’achat sur les parcours résidentiels. Dans son 19e rapport annuel, la Fondation Abbé-Pierre propose une analyse nouvelle des liens qui unissent l’emploi et le logement : l’absence ou la précarité du travail fragilise la capacité à se loger, mais la réciproque se vérifie aussi. Et le logement peut être considéré comme un facteur de développement économique dès lors qu’il favorise le maintien de l’activité dans les territoires.

Si, en effet, les constats sur la dégradation de l’emploi ne sont pas nouveaux, la fondation observe, sur le terrain, comment elle se traduit, avec un effet retard, sur la situation des ménages. « Les personnes licenciées, on les voit une, parfois deux années plus tard, quand elles n’ont pas retrouvé de travail, qu’elles ont perdu leurs droits au chômage et qu’elles n’ont plus d’économies. Alors elles viennent chez nous pour des problèmes d’impayés de loyer ou d’électricité », témoignent les personnels des centres communaux d’action sociale de Forbach et Hayange, en Lorraine, région touchée par la fer­meture de sites industriels. Parmi ceux qui ont un emploi, les travailleurs saisonniers, les salariés « détachés », les travailleurs indépendants et ceux qui enchaînent les contrats à durée déterminée (86 % des recrutements au premier trimestre 2013) sont les publics les plus exposés aux difficultés de logement.

Frein à l’insertion

Facteur aggravant de la crise économique pour les ménages (selon le Crédoc, 44 % de ceux qui supportent de lourdes charges de logement déclarent devoir limiter leurs frais d’alimentation), le logement peut, de surcroît, être un obstacle à l’emploi. En raison du phénomène de ségrégation spatiale connu par les habitants de quartiers sensibles, mais pas seulement. « Quand les ménages actifs sont obligés de s’éloigner toujours plus des bassins d’emploi pour pouvoir se loger à un coût supportable », le coût de la recherche d’emploi et des trajets journaliers augmente, jusqu’à devenir un frein à l’insertion. En Ile-de-France, « un ouvrier résidant en seconde couronne n’a accès qu’à 27 % des emplois de la région en soixante minutes, contre 58 % s’il habitait au centre », illustre la fondation. La proximité du domicile, qui évite un investissement monétaire et social (qualité de vie, obligations familiales) est parfois privilégiée à un poste mieux rémunéré, comme le démontre une étude IFOP réalisée en novembre 2013 : « 66 % des jeunes interrogés déclarent pouvoir renoncer à un poste en raison de son éloignement, dont 21 % qui ont déjà été amenés à le faire. » Le rapport enfonce le clou en pointant la situation des personnels de la fonction publique hospitalière relevant de la catégorie C : « Un de nos agents hospitaliers était en arrêt maladie à chaque fin de mois, raconte un membre de la CGT Action sociale. En l’interrogeant, on a compris qu’il faisait 150 kilomètres pour venir au travail et qu’il ne lui restait plus un sou après trois semaines. » Dans ce contexte, les entreprises, qui dans l’histoire se sont déjà mobilisées pour l’accès au logement, comme au cours des trente glorieuses, affichent un regain d’intérêt pour la question. Selon une étude du Crédoc pour le Medef publiée en avril 2012, « 40 % des établissements sont affectés par les problèmes de logement de leurs salariés », en premier lieu les jeunes, les intérimaires et les familles monoparentales. Le logement est un frein au recrutement : toujours selon le Crédoc, deux millions de personnes ont refusé un emploi au cours des cinq dernières années « parce que cela les aurait obligées à déménager en occasionnant un surcoût financier ». Au final, quatre entreprises sur dix sont confrontées à ces difficultés, qui entravent la gestion des ressources humaines, l’activité, ou ont une incidence sur le climat social. Certaines se sont donc résolues à intervenir en proposant des aides à la mobilité, notamment via Action logement pour les plus grandes, en mobilisant des logements pour leurs salariés ou, tout simplement, en tenant compte des moyens de transport dans la localisation de leurs établissements.

Décloisonner les interventions

In fine, dans les territoires attractifs où le marché est tendu, « le logement (ou plutôt le logement trop cher) joue contre l’emploi », notamment des personnes qui travaillent dans les services de proximité, de santé ou d’aide à la personne. Et dans ceux en déclin, « l’emploi (ou plutôt son absence) joue contre le logement ». Une équation impossible ? Faire converger les actions dans les domaines du logement et de l’emploi est, au contraire, « un enjeu majeur, conclut la Fondation Abbé-Pierre, tant pour mieux protéger les personnes déstabilisées par l’évolution de l’emploi et la transformation du rapport au travail que pour favoriser le développement économique et territorial ». Sans compter que le coût élevé du logement a des incidences sur la consommation et que le bâtiment représente 12 % des actifs.

La fondation appelle donc à un décloisonnement des interventions, y compris par les travailleurs sociaux, et réitère son vœu de voir renforcer l’« impact solvabilisateur » de l’aide personnalisée au logement, partiellement gelée en 2014. Alors qu’Action logement réfléchit au moyen de mieux prendre en compte les besoins des salariés dans le cadre des politiques locales de l’habitat, la fondation souhaite que les partenaires sociaux soient davantage sensibilisés aux effets de la fragilisation du travail ou de l’externalisation des services. « Si, depuis plusieurs années, on a perdu la bataille de l’emploi, il ne faut pas perdre celle du logement, qui peut aussi jouer un rôle dans la dégradation de la situation économique », conclut Christophe Robert, délégué général adjoint de la Fondation Abbé-Pierre. Et de rappeler, alors que les associations célèbrent le soixantième anniversaire de l’appel de l’abbé Pierre, que les efforts de construction en 2013, en deçà des objectifs, ainsi que les avancées législatives en cours, ne suffiront pas à apporter des réponses à court terme pour les plus fragiles.

ZOOM SUR LES COPROPRIÉTÉS DÉGRADÉES

Sur les 6,6 millions de logements en copropriété, un million se situent dans un patrimoine potentiellement dégradé. C’est ce que rappelle la Fondation Abbé-Pierre, qui consacre un volet de son rapport à ces situations peu connues et propose d’améliorer l’observation en la matière. « On traite souvent ces questions sous l’angle de la gestion, des travaux, moins sous l’angle des habitants », souligne Patrick Doutreligne, délégué général de la fondation. Les copropriétés remplissent plusieurs fonctions sociales – lieu d’accession à la propriété pour les ménages modestes (17 % parmi les propriétaires occupants) ou « parc social de fait » (17 % de locataires sous le seuil de pauvreté), elles cachent souvent des situations de mal-logement qualifiées dans le rapport de « bombes à retardement ». Les charges financières trop lourdes (jusqu’à 60 % des revenus des occupants pauvres) entraînent pour les accédants un processus de dégradation qui pénalise aussi les locataires, souvent sans autre perspective résidentielle. « La copropriété qui était apparue comme une opportunité pour des ménages modestes se referme sur eux comme un piège. »

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