Lors d’un déplacement à Cergy (Val-d’Oise), le 24 janvier, pour marquer la première année de mise en œuvre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale (1), le Premier ministre a décliné les axes de travail du gouvernement pour 2014. Cette présentation (qui n’a pas enthousiasmé les associations, voir ce numéro, page 15) s’est faite au lendemain de la remise du rapport d’évaluation du plan des inspecteurs généraux des affaires sociales (IGAS) Simon Vanackère et François Chérèque (2), dont la mission se poursuivra cette année. Pour eux, la mise en œuvre du plan « a fait, en 2013, l’objet d’une mobilisation importante et dans l’ensemble satisfaisante ». Toutefois, ils regrettent, d’une part, « l’absence assez fréquente d’objectifs chiffrés pour les mesures qui auraient pu le justifier », telles que les mesures relatives au non-recours, et, d’autre part, le « morcellement dans la mise en œuvre du plan », reflet du cloisonnement persistant des administrations, et un « déficit de communication générale sur le plan ». Un point sur lequel l’ancien secrétaire général de la CFDT a été entendu puisque des « référents du plan » seront désignés par les préfets de département au sein des services déconcentrés de l’Etat, des caisses de sécurité sociale et du réseau de Pôle emploi.
Prochaine échéance pour le gouvernement : la tenue d’une conférence nationale contre la pauvreté « au début de l’année 2015 » pour échanger et débattre autour des deux premières années de mise en œuvre du plan et, si nécessaire, effectuer des ajustements.
Afin de soutenir les retraités modestes, l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) sera revalorisée deux fois cette année, en avril (sans changement) et en octobre prochains (3), a rappelé le chef du gouvernement, précisant que « cette double revalorisation permettra de porter l’ASPA à plus de 800 € mensuels » (4). En outre, a-t-il ajouté, « le gouvernement autorisera par décret les bénéficiaires de l’ASPA à cumuler partiellement, dans la limite d’un plafond, ASPA et revenus d’activité ». Enfin, Jean-Marc Ayrault a indiqué que l’article 58 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, qui a été censuré par le Conseil constitutionnel et qui permettait le renouvellement automatique de l’aide à l’acquisition d’une couverture complémentaire santé pour les titulaires de l’ASPA, serait repris dans la future loi de santé publique.
Par ailleurs, alors qu’il avait prévu de réformer cette année le revenu de solidarité active (RSA) « activité » et la prime pour l’emploi (PPE), le gouvernement a finalement repoussé cette mesure, sans donner de visibilité sur sa mise en œuvre effective. Toutefois – François Hollande l’a assuré lors de sa conférence de presse semestrielle du 14 janvier (5) –, il y aura bien une réforme qui interviendra dans le cadre de la réforme de la fiscalité. Un groupe de travail sur la fiscalité des ménages, installé par le Premier ministre, sera chargé de « formuler des propositions applicables dès 2015 », sur la base notamment du rapport « Sirugue » (6). Ces déclarations sont censées apaiser les « inquiétudes fortes chez les acteurs qui craignent que des considérations budgétaires ne sous-tendent cette décision », inquiétudes relevées par François Chérèque et Simon Vanackère dans leur rapport. La lettre de mission de Christophe Sirugue, rappellent-ils, faisait mention d’une réforme à coût constant. Or, pointent les inspecteurs généraux des affaires sociales, « engager une réforme dont l’objet est de faire augmenter le taux de recours en conservant un budget constant conduit mathématiquement à un montant moyen distribué plus faible ». Aussi pressent-ils le gouvernement de « prendre position sur la réforme du RSA activité » et de « définir un calendrier d’actions précis ainsi que les moyens nécessaires à une réforme efficace ».
Pour les auteurs du rapport d’évaluation du plan « pauvreté », les principales mesures du paquet « emploi » ont été amorcées (garantie jeunes, allongement de la durée des contrats aidés…). Dès lors, le gouvernement entend cette année poursuivre la mise en œuvre des emplois d’avenir : en 2013, près de 100 000 jeunes sans qualification ou peu qualifiés en ont bénéficié, auxquels s’ajouteront 50 000 autres jeunes en 2014. Par ailleurs, Jean-Marc Ayrault a indiqué que l’expérimentation de parcours d’insertion autour des emplois d’avenir pour les jeunes les plus fragiles – prévue par le plan « pauvreté » mais pas encore mise en route – sera intégrée en 2014 au programme d’expérimentation plus vaste lancé autour de l’accompagnement des jeunes sous main de justice et des jeunes sortant de l’aide sociale à l’enfance (7).
Au-delà, « début 2014 », les ministères chargés des affaires sociales, de l’emploi et des transports missionneront l’IGAS et le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) afin d’« identifier à la fois les freins à la mobilité [des travailleurs modestes] et les pratiques nouvelles engagées sur les territoires ».
Signalons enfin que le gouvernement entend développer l’accès à la formation pour les personnes qui en ont le plus besoin, grâce au projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale présenté le 22 janvier en conseil des ministres (voir ce numéro, page 7).
Au-delà des actions engagées en 2013 et qui se poursuivront (construction de logements sociaux, ouverture de nouvelles places en centre d’accueil pour demandeurs d’asile…), l’année 2014 sera consacrée à la mise en œuvre des mesures prévues dans le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), actuellement examiné au Parlement. Selon le Premier ministre, la priorité sera notamment donnée au relogement des ménages prioritaires au titre du droit au logement opposable (DALO). Si le plan « pauvreté » prévoyait un plan d’urgence pour ces familles, celui-ci « n’a pu donner toute son ampleur dès la première année », a déploré Jean-Marc Ayrault. Aussi a-t-il demandé à la ministre de l’Egalité des territoires et du Logement de mettre en œuvre un « plan spécifique » en faveur de ces familles. Celui-ci consistera notamment à « mobiliser le contingent d’Action logement à hauteur de ce qui est prévu par la loi » : il s’agira de passer, sans attendre la publication de la loi ALUR qui les rendra obligatoires, des accords locaux avec les partenaires en fixant des objectifs chiffrés, dans la limite de ce qui est prévu par la loi. Ou encore à « mettre en place des dispositifs d’intermédiation locative de longue durée dans le parc privé par une déclinaison “pérenne” de Solibail », à « relancer le conventionnement très social »…
En outre, le gouvernement demandera, « fin janvier », aux inspections générales de l’administration, des affaires sociales et des services judiciaires ainsi qu’au CGEDD d’évaluer la politique de prévention des expulsions locatives (impact et coût des différents dispositifs, comparé au coût économique et social engendré par une expulsion). Objectifs, a expliqué Jean-Marc Ayrault : « faciliter la construction d’une vision collective des enjeux et des besoins des personnes menacées d’expulsion » ; « définir les marges de progression dans la coordination des actions afin d’obtenir une meilleure efficacité de la politique de prévention » ; « améliorer l’efficience de l’action publique en termes de prévention des expulsions ». Leurs conclusions devraient être rendues au mois de juin prochain.
Si le gouvernement a atteint ses objectifs en termes de création ou de pérennisation de places d’hébergement d’urgence et en centres d’accueil pour demandeurs d’asile, cela n’empêche pas la demande de continuer à augmenter, s’inquiète François Chérèque, qui invite donc le gouvernement à « amplifier les efforts déjà réalisés, en soulignant qu’une solution durable ne pourra faire l’économie [de réponses structurelles] sur la situation des demandeurs d’asile et des déboutés de la demande d’asile », qui contribuent à l’engorgement des structures d’hébergement d’urgence.
L’adoption du plan « pauvreté » a conduit à une forte mobilisation de l’ensemble des acteurs. « En 2014, il est absolument indispensable de transformer l’essai, en renforçant l’interministérialité de la mise en œuvre du plan et l’ancrage territorial de la politique d’inclusion sociale », a indiqué le Premier ministre. Sur ce dernier point, la récente loi de modernisation de l’action publique et d’affirmation des métropoles devrait clarifier et mieux articuler les compétences (voir ce numéro, page 36). Désigné comme chef de file des politiques de solidarité, le département devra « élaborer, en collaboration avec les autres collectivités de son territoire, des conventions d’exercice partagé des compétences. Les schémas médico-sociaux qu’ils ont l’obligation de réaliser vaudront convention territoriale », a expliqué Jean-Marc Ayrault. Soulignant que, dans le cadre d’un deuxième projet de loi de décentralisation (voir ce numéro, page 12), « le rôle du département en matière de solidarité sera renforcé, notamment en matière d’assistance technique aux communes et intercommunalités pour raison de solidarité et d’aménagement du territoire, notamment d’habitat ».
Dans tous les cas, les auteurs du rapport d’évaluation du plan considèrent que le succès de la mise en œuvre du pilotage territorial « repose sur un équilibre entre une démarche descendante (du national vers les territoires) et une démarche ascendante (des territoires vers le national), ainsi que sur un partenariat effectif entre les différents acteurs ». Dans cette perspective, « il sera nécessaire de laisser des marges de manœuvre réelles aux acteurs dès lors qu’il s’agira de déterminer les modalités d’un pilotage opérationnel sur les territoires ». Et celles qui ont déjà été développées par certains territoires s’inscrivent dans cette lignée, observent Simon Vanackère et François Chérèque. Quoi qu’il en soit, il convient, pour eux, de s’assurer que deux niveaux – auxquels les associations et les représentants des bénéficiaires ont vocation à participer – soient distingués :
→ un niveau régional (pilotage stratégique). Les rencontres territoriales ont en effet démontré, « d’une part, que le niveau régional pouvait être adéquat pour des partages de bonnes pratiques et de l’échange entre acteurs, d’autre part qu’une approche régionale de certaines politiques sociales pouvait avoir du sens (par exemple du fait de déplacements de populations) ». Ici, estime-t-il, le « porteur naturel » du plan est le préfet de région ;
→ un niveau départemental (pilotage opérationnel). Pour l’IGAS, « il s’agit naturellement de l’échelon opérationnel de la mise en œuvre du plan, en pleine cohérence avec le chef de filat reconnu aux départements en matière d’action sociale] ». Il appartient ici au président du conseil général de mobiliser les acteurs autour du plan. L’inspection suggère dès lors que les présidents des conseils généraux soient parties prenantes au pilotage stratégique au niveau régional. Au niveau des départements, le pilotage opérationnel a vocation à être co-présidé par le président du conseil général et le préfet.
Conformément au plan « pauvreté », doivent se tenir en octobre prochain des « états généraux du travail social », qui seront « l’un des moments attendus de l’année 2014 » pour le secteur, souligne François Chérèque. Sur cette base, le Premier ministre a indiqué qu’il proposera, « d’ici la fin de l’année », une feuille de route comportant des propositions relatives à « l’amélioration de la qualité du service rendu à l’usager » (redéfinition des missions de l’intervention sociale, de la coordination des acteurs…), au « développement d’une politique de l’emploi offensive dans ce secteur » et à la « valorisation de ces métiers, pour redonner du sens au travail des professionnels ». Dans ce cadre, signalons qu’un bilan de la réingénierie des diplômes en travail social a été présenté lors de la commission professionnelle consultative du travail social et de l’intervention sociale du 20 décembre dernier, laquelle constituera un groupe de travail sur l’architecture des diplômes pour 2014. Un travail qui s’effectuera parallèlement au travail de fusion engagé pour les diplômes de niveau V.
(1) Voir ASH n° 2794 du 25-01-13, p. 39.
(2) Rapport disponible sur
(3) Rappelons que, conformément à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, la revalorisation des pensions de vieillesse – qui conditionne celle de l’ASPA – interviendra, chaque année, au mois d’octobre au lieu du mois d’avril.
(4) A l’heure actuelle, le montant maximal d’ASPA s’élève à 787,26 € par mois pour une personne seule ou lorsque seul un des conjoints, concubins ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité en bénéficie.
(5) Voir ASH n° 2843 du 17-01-14, p. 8.
(6) Voir ASH n° 2819 du 19-07-13, p. 5.
(7) Lancée en septembre dernier, cette expérimentation vise à améliorer l’accompagnement vers l’autonomie des jeunes, en5capitalisant les pratiques d’accompagnement et les modalités de partenariat développées dans ce cadre, et en promouvant leur déploiement.