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« Il faudrait faire davantage confiance aux professionnels de l’insertion »

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La lutte contre le chômage des jeunes est affichée comme une priorité depuis près de quarante ans. Pourtant, les jeunes non qualifiés sont toujours aussi nombreux à être sans emploi. Cela ne signifie pas pour autant que les dispositifs d’insertion sont inutiles, affirme le sociologue Xavier Zunigo, qui a mené une longue enquête dans une ville défavorisée de la grande banlieue parisienne.
Les dispositifs d’insertion des jeunes en difficulté sont-ils efficaces ?

Pour résoudre le problème de l’emploi, il faut d’abord des emplois. Autrement, le problème est insoluble. Néanmoins, certains dispositifs, tels que des plateformes de mobilisation ou des formations préqualifiantes, peuvent favoriser l’accès de certains jeunes à des stages ou même à l’emploi en jouant un rôle de garant moral. Mais ils ne peuvent faire en sorte que tous les jeunes accueillis sortent avec un travail. L’espace de gestion du chômage des jeunes est plutôt un filet de sécurité. « Je suis mis à la porte de chez moi, je n’ai pas de travail, j’ai besoin d’un logement d’urgence… » Voilà le type de problème auquel les professionnels ont à faire face. Les pouvoirs publics attendent des résultats concrets en termes d’emploi ou, au moins, de baisse des chiffres du chômage. Mais ces résultats ne peuvent être obtenus sans un réel travail d’accompagnement social.

L’action des professionnels de l’insertion se rapproche donc du travail social classique ?

C’est le cas dans la mesure où les publics sont souvent les mêmes. Le dispositif d’insertion des jeunes est conçu de façon étagée selon la proximité plus ou moins grande des personnes avec l’emploi. Plus on est éloigné, plus on se rapproche des modalités classiques de l’accompagnement social des populations en difficulté. Je pense, par exemple, aux espaces de socialisation qui sont extrêmement proches du travail social. A l’inverse, plus on est en proximité de l’emploi, plus on s’éloigne du travail social. Néanmoins, il existe toujours une dimension pédagogique dans ces dispositifs qui ont une mission d’étayage des individus.

Votre ouvrage s’appuie sur une enquête de terrain menée de 2002 à 2007. Quels étaient sa méthodologie et ses objectifs ?

J’avais déjà travaillé avec Robert Castel sur le thème des dispositifs d’insertion dans les années 1990, et je m’étais rendu compte que les sociologues n’y entraient que par le biais d’institutions précises. Or il me semblait qu’il fallait étendre l’enquête à l’ensemble de l’espace de gestion du chômage des jeunes, notamment pour mieux comprendre la division du travail entre les institutions concernées. Il me semblait également important de m’intéresser au regard que portent les bénéficiaires des dispositifs d’insertion sur leur action. Les trois variables que je recherchais étaient une situation de l’emploi dégradée, une population difficile à insérer professionnellement et un lieu relativement isolé. Pour cela, j’ai mené une observation ethnographique au long cours dans une commune d’Ile-de-France située à la limite de l’urbain et du rural, en focalisant ma recherche sur la mission locale, une plate-forme de mobilisation, une passerelle-entreprise et deux autres dispositifs.

Quel est le profil des professionnels de l’insertion que vous avez rencontrés ?

Comme pour tous les métiers du social, il est assez protéiforme car les compétences mobilisées ne sont pas au sens strict techniques mais surtout relationnelles. J’ai néanmoins repéré trois profils types. Le premier regroupe des personnes ayant travaillé en entreprise et qui trouvent dans le travail d’insertion un espace de reconversion. Le deuxième profil concerne des travailleurs sociaux qui pensent que, dans le monde de l’insertion professionnelle, la gestion des rapports interpersonnels sera un peu moins rude que dans le travail social classique. Enfin, le troisième profil est celui de jeunes professionnels ayant bénéficié des formations spécifiques et qui sont dotés de méthodologies nouvelles. Ce qui crée d’ailleurs certaines tensions entre les générations anciennes, un peu plus militantes, et les nouveaux arrivants, dont l’approche est plus « technicienne ». Globalement, en termes d’origine sociale, ces professionnels se situent dans le haut des classes populaires ou le bas des classes moyennes.

Leur rôle est notamment de faire accepter aux jeunes une réduction du champ des possibles quant à leur avenir professionnel. N’est-ce pas un peu désespérant ?

L’expression « faire accepter » comporte une intentionnalité, alors qu’il ne s’agit pas d’une volonté exprimée en tant que telle. En outre, faire croire à un jeune qu’il peut devenir employé de banque alors qu’il ne sait pas écrire correctement en français me semble plus dommageable que de lui faire comprendre les réalités qui sont les siennes en l’exposant, si nécessaire, aux sanctions du marché de la formation et de l’emploi. D’ailleurs, ces jeunes sont bien conscients des possibilités qui leur sont ouvertes ou non. Je me souviens d’un groupe d’élèves de troisième auquel on avait demandé d’inscrire sur des cartes les métiers qu’ils souhaitaient faire. A 95 %, il s’agissait de métiers accessibles d’ouvriers ou d’employés… Ils s’ajustent à ce qui leur paraît réaliste, tout en cherchant à éviter ce qu’ont connu leurs parents, à savoir des emplois d’exécution dans des conditions de travail très dures. Quoi qu’il en soit, la vie ne s’arrête pas à 25?ans avec la sortie des dispositifs d’insertion des jeunes. Même limitées, des stratégies d’évolution professionnelle restent possibles.

Vous écrivez que le travail des professionnels de l’insertion est essentiellement de nature morale. C’est-à-dire ?

Cela signifie qu’il porte avant tout sur des savoir-être. Lors des entretiens d’embauche, tout se joue dans les premières secondes, sur la façon de se tenir, l’attitude corporelle, l’impression générale… Ce que j’appelle la dimension morale du travail d’insertion est donc tout ce qui touche aux attitudes, aux comportements, à la façon de parler… Le but est de permettre aux jeunes d’intégrer le répertoire d’action légitime en entreprise pour qu’ils puissent s’insérer dans le monde du travail. Car, au bout du compte, le seul juge, c’est l’employeur. Il faut faire intégrer ces normes à des jeunes qui, pour beaucoup, évoluent plutôt dans une culture de rue.

De leur côté, comment les jeunes perçoivent-ils les dispositifs d’insertion ?

Dans le discours des professionnels de l’insertion, le travail de socialisation est souvent mis au premier plan. Mais lorsqu’on interroge les jeunes, on s’aperçoit que ces intentions socialisatrices sont pour eux secondaires. Elles leur échappent car elles ne font pas partie de leurs attentes. De leur point de vue, ils sont là pour obtenir des réponses concrètes à des problèmes concrets : une formation, un travail, un logement. Ils sont focalisés sur ces enjeux pragmatiques et mettent en œuvre un ensemble de stratégies, parmi lesquelles la bonne volonté à l’égard des dispositifs d’insertion. Néanmoins, cela ne signifie pas que le travail de socialisation reste sans effet. Ne serait-ce que parce que ces institutions font partie d’un ensemble de structures qui rappellent en permanence les règles du monde social. Tout cela finit par avoir une certaine efficacité.

Comment améliorer le système d’insertion des jeunes les moins qualifiés ?

Il faudrait d’abord régler le problème macroéconomique global, faute de quoi les solutions proposées ne changeront pas grand-chose. En période de croissance, les problèmes d’insertion passent au second plan. Lorsque les grandes entreprises ont besoin d’embaucher, elles prennent les jeunes comme ils sont. Un autre point d’évolution est l’excès de contrôle et d’administration dont souffrent les dispositifs d’insertion. Les professionnels passent leur vie à justifier leur action, non pour les besoins du terrain mais pour des enjeux internes aux institutions qui les financent. Il faudrait revoir les critères d’évaluation et faire davantage confiance aux professionnels qui sont, pour la grande majorité, des gens sérieux. Il me paraît en outre urgent d’augmenter les crédits consacrés aux politiques d’insertion des jeunes. Les salaires dans ces métiers sont très peu élevés et les professionnels pas assez nombreux, compte tenu des problématiques lourdes qu’ils rencontrent. Enfin, il serait nécessaire d’engager un véritable travail de déstigmatisation des jeunes des classes populaires issus de l’immigration, qui sont victimes d’une très forte discrimination sur le marché du travail.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Le sociologue Xavier Zunigo est spécialiste des politiques publiques. Il enseigne notamment à l’Ecole normale supérieure et à l’université Paris-Dauphine. Il est également le fondateur de l’agence de recherche Aristat. Il publie La prise en charge du chômage des jeunes. Ethnographie d’un travail palliatif (Ed. du Croquant, 2013).

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