Depuis 2009, l’écrivain Eric Bonneau et le photographe Christophe Goussard rencontrent des migrants installés à Cenon, dans la banlieue bordelaise. L’un les interviewe afin d’écrire leurs portraits, tandis que l’autre les photographie dans leur intimité, dans des lieux qu’ils affectionnent et devant des objets qui témoignent de leur histoire passée et présente. Rassemblés dans le livre Les jours d’après, ces travaux relatent des trajectoires de vie, les chemins de l’exil, les joies et les peines du quotidien.
Il y a Boutsady Sananikone, arrivée du Laos en 1975. Là-bas, cette fille d’ambassadeur mariée à un diplomate vivait dans une belle maison sous les frangipaniers. Quand la guerre éclate et qu’une partie de sa famille est fusillée, elle part pour Limoges où, logée dans un foyer Sonacotra, elle vit un temps de ménages. Depuis, elle a obtenu l’asile politique, s’est installée à Cenon et s’implique comme traductrice et aide administrative auprès des réfugiés laotiens et vietnamiens. Surtout, elle s’est tournée vers le bouddhisme. Devant les auteurs venus l’immortaliser, elle a égrené l’album de ses souvenirs, a parlé de sa nostalgie du Mékong. La plus anglaise des Cenonnaises, Brenda Joffre, 80 ans, a reçu quant à elle les deux hommes dans son salon, pendant les cours de soutien scolaire qu’elle propose aux jeunes de la ville. Brenda a épousé un Français en 1955 et s’est intégrée dans la région sans problème, même si, admet-elle, l’éloignement de sa famille lui a parfois pesé. Depuis cinquante ans, la francophile accompagne au quotidien Carole, sa fille handicapée. Elle est facile et souriante, mais ne bouge ni ne parle. Brenda se demande ce que Carole deviendra quand elle-même ne sera plus là…
La famille Khayat a un profil très différent. Sany, Zeina, Chadi et Hadi ont quitté le Liban en 2009, emportant juste quelques habits et des photos. Dans leur foyer, ils accueillent le photographe et le journaliste autour d’une table de mets traditionnels. Ils gardent le sourire alors qu’ils racontent leur triste histoire : chaque membre de la famille a été confronté à des attentats et a échappé de justesse à la mort. La mère de Sany était vosgienne, la culture française a baigné son enfance. Il a emmené femme et enfants se réfugier en Aquitaine, où ils se sentent « en sécurité ». Chaque semaine, Zeina anime un groupe de rencontre entre femmes au centre social et culturel du quartier. Parmi les autres portraits, celui de Mercedes Echeverry. Cette Colombienne est arrivée en France en 2003 avec ses deux enfants. Elle ne voulait pas venir, mais son mari avait obtenu de poursuivre sa thèse à Bordeaux. Pendant quelques années, elle apprend le français, enseigne l’espagnol à l’université et commence un doctorat. Mais quand son mari la quitte et repart vivre au pays, elle reste là, en panne d’énergie. Sans doute en raison du choc psychologique, elle oublie le français. Elle, la lettrée, ne supporte pas les fautes qu’elle fait désormais, les mots qu’elle cherche. Mais elle n’a pas rendu les armes.
Les jours d’après. Portraits de migrants à Cenon
Christophe Goussard et Eric Bonneau – Ed.Filigranes – 18 €