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La PJJ a un avenir si…

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Le sénateur (PS) Jean-Pierre Michel, missionné par le Premier ministre pour formuler des préconisations sur la stratégie et les moyens de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) (1), devrait rendre son rapport en ce début d’année. Le président du tribunal pour enfants de Bobigny, Jean-Pierre Rosenczveig, expose ici les leviers sur lesquels il est, selon lui, possible d’agir pour assurer un avenir à cette institution en proie aux critiques et aux doutes. Des pistes qu’il a présentées au parlementaire en novembre dernier.

« La protection judiciaire de la jeunesse affiche deux objectifs : la réécriture de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante et le doublement des centres éducatifs fermés [CEF]. On peut s’interroger sur l’enjeu de ces objectifs et avancer des pistes plus en phase avec les besoins réels des juridictions et des jeunes.

Admettons la nécessité de toiletter et de moderniser une ordonnance tenue pour obsolète et inadaptée au seul prétexte qu’elle date de 1945. Plusieurs années de pilonnage politique et médiatique ont contribué à lui donner cette image alors même qu’elle a été revue et complétée régulièrement, encore dix fois depuis 2002. Condamne-t-on le code civil au seul prétexte de sa publication en 1804 ? Cette ordonnance est-elle inappropriée aux besoins ? Elle permet tout. Veut-on revenir sur l’exigence d’un droit pénal spécialisé et des institutions judiciaires dédiées aux mineurs ? Non. Sur la priorité éducative pour répondre à une carence éducative de base ? Non. Qui contestera que le mineur doive être confronté à une peine, disposition d’ordre public certes, mais qui ait aussi une dimension éducative ? Personne. En forçant le trait, on changera la datation et les formulations – “avertissement” remplacera “admonestation” – avec une référence à la convention des droits de l’enfant, mais on n’ira pas au-delà.

Doubler les CEF ? On n’a pas encore évalué d’une manière rigoureuse et scientifique leur efficacité. On s’est contenté d’analyser les cadres institutionnels et administratifs de leurs (dys)fonctionnements par une approche technocratique (2). La vraie question n’a pas été posée publiquement : quelle place donner à la contrainte éducative dans la prise en charge des jeunes en grande difficulté qu’on ne détachera pas de la délinquance en quelques mois ? Les CEF, comme la prison, ne sont pas une fin en soi, mais un élément d’une stratégie inscrite dans la durée et la cohérence et qui intègre la nécessité du sur mesure, quand, pour certains, il suffit de placer un jeune dans une structure coercitive éloignée pour résoudre ses problèmes et… les nôtres ! Le mythe des murs, toujours et encore ! Cette erreur a déjà été commise dans les champs médical, psy­chiatrique ou social. Les structures ne font pas une prise en charge ; elles sont au service de l’accom­pagnement humain.

On reste toujours aussi incapable de valoriser aux yeux de l’opinion publique et des politiques le travail quotidien des juridictions et des services éducatifs, publics comme privés, au service de la prévention de la récidive. 86 % des jeunes suivis comme mineurs par ce dispositif ne se retrouvent pas délinquants une fois majeurs (3). On peut et on doit faire mieux, mais la marge de progression est étroite.

Dans ce contexte, que peut-on avancer pour cette administration d’une taille modeste, dotée d’un petit budget (4), de peu d’agents (5), mais qui peut s’appuyer sur un réseau privé habilité conséquent ? Après trois décennies d’interpellations et de doutes, elle a un avenir si, pour repérer les marges de progression, elle entend les reproches, plus ou moins fondés, qui lui sont adressés.

Oui, l’institution de la PJJ publique et ses agents ont une mauvaise image. Son manque de disponibilité, par exemple, est pointé. Elle avance le manque de moyens, mais il arrive qu’elle s’oppose carrément à certaines évolutions. Ainsi, elle a longtemps refusé d’admettre que certaines mesures modernes ordonnées dans le cadre pénal ne s’inscrivaient pas dans un registre répressif mais étaient porteuses d’une dimension éducative : je pense aux travaux d’intérêt général (TIG) et à la réparation. Pas question d’y participer ! Avant d’y être conduite devant la concurrence privée. Et que dire du refus, vers 2002, des (anciens) éducateurs PJJ de s’installer en prison alors même que s’y trouvent les mineurs les plus en difficulté ? Ses résistances au nom de l’esprit de 1912 (6) et de 1945 n’étaient pas toujours mal fondées : les enfants délinquants ne sont pas des délinquants comme les autres.

Constatons qu’elle s’est autoanesthésiée. Où est la dimension éducative de la gestion du bracelet électronique que portent certains jeunes ? Est-ce la mission de la PJJ ? Il y a 20 ans, les personnels seraient descendus dans la rue contre un tel projet. Encore groggy debout, l’institution a digéré.

Ajoutons un mode de gestion catastrophique au regard des enjeux : les mutations erratiques de ses agents en fonction de l’intérêt des personnels et non pas du service font que, souvent, des mesures ne sont pas exercées ou s’effondrent, et que les équipes sont régulièrement démantelées. On cherche souvent la cohérence éducative dans la durée, alors que ces jeunes en sont initialement privés par une déshérence parentale.

Plus grave : les agents s’approprient rarement les lieux de vie collectifs, comment les jeunes se les approprieraient-ils ? D’où l’idée, en 2010, de faire appel à des vigiles pour contenir le contenant, ou encore le recours au contrôle judiciaire pour garantir l’acceptation de l’accueil. Le lieu et le projet offert aux jeunes n’apparaissent plus, en tant que tels, contenants.

Recentrage et élagage

La PJJ était singulièrement menacée. En 2011, on formait encore le projet de la fondre avec l’administration pénitentiaire.

Les politiques l’ont conduite à admettre publiquement – le plan stratégique 2008-2011 (7) – qu’elle exerçait mal son cœur de métier : prendre en charge les jeunes délinquants. On en a donc profité pour masquer les problèmes économiques en élaguant les branches : les jeunes majeurs et les enfants en danger sauf mesures d’investigation. On imaginait même en 2008 – commission Varinard (8) – confier aux maires les délinquants de moins de 13 ans et les primo-délinquants.

Bref, elle a été “recentrée”. Cette démarche a été coûteuse aux personnels, interpellés dans leurs valeurs. Pour beaucoup, à juste titre, un mineur délinquant est d’abord un enfant en danger et tout ne s’arrête pas brutalement à la majorité. Constatons qu’ils retrouvent petit à petit une identité professionnelle en s’investissant sur les jeunes aux parcours ­fracassés ou en passe de l’être.

Pas question de faire vivre à ces agents un nouveau traumatisme en revenant aux temps jadis, mais il faut corriger à la marge et les doter des moyens réels de leurs missions en libérant leur énergie.

Quelques pistes peuvent être avancées.

→ 1. Recevoir dans les cinq jours ouvrables les jeunes faisant l’objet d’une mesure est une obligation de la PJJ depuis le 1er janvier 2014 (art. 12-3 de l’ordonnance du 2 février 1945, ainsi modifiée par la loi de programmation relative à l’exécution des peines du 27 mars 2012 [9]). C’est une gageure majeure et incontournable, et une vraie révolution puisque, aujourd’hui, en moyenne nationale, il faut 40 jours entre la décision du juge et l’intervention de l’équipe éducative. Il ne doit pas s’agir d’un rendez-vous de façade, mais d’une première évaluation du risque de réitération ou tout simplement de danger dans lequel se trouve le jeune, pouvant enclencher une prise en charge immédiate. En tenant ce pari, la PJJ intégrera enfin la gestion de l’urgence. Au tribunal, à l’hôpital, à l’aide sociale à l’enfance, on gère déjà ­l’urgence. Ce n’est pas un problème de moyens, mais de culture. Elle y gagnera en crédibilité vis-à-vis de ses partenaires institutionnels, mais aussi auprès des familles. L’expérimentation menée depuis juillet est de bon augure. Sans doute faudra-t-il une mission d’accompagnement de cette réforme tant l’enjeu est important.

→ 2. Mettre fin au monopole de la PJJ dans l’exercice des mesures de liberté surveillée. Si la PJJ ne peut pas faire elle-même, elle doit déléguer. Mieux, il est important qu’il y ait, ici comme ailleurs, une concurrence qui stimule les services pour la mise en œuvre de la mission de service public. Elle existe pour les mesures de réparation ou pour l’accueil en institution ; il faut la généraliser spécialement pour la liberté surveillée, mesure de base de la prise en charge des jeunes délinquants, voire pour les mises à l’épreuve et les TIG.

→ 3. Densifier le suivi en milieu ouvert. Comment un agent peut-il suivre 25 jeunes ? Comment peut-on être efficace en rencontrant un jeune une fois tous les mois ? En le faisant venir, sans aller chez lui ou dans son quartier ? Mettons vraiment les moyens sur les cas les plus difficiles en mobilisant 24 heures sur 24 des équipes pluriprofessionnelles avec une possibilité d’accueil physique en tant que de besoin. L’expérience américaine montre ici qu’on peut éviter l’incarcération des cas les plus lourds (10). On peut aspirer à plus de moyens ; on ne les aura qu’à la marge. Tenons déjà l’objectif affiché il y a cinq ans : plus un jeune suivi restant inactif en journée.

→ 4. Mobiliser la société civile. On le fait peu ou prou avec les tuteurs de TIG ou des mesures de réparation. Il faut aller plus loin en restaurant le délégué bénévole à la liberté surveillée qui jadis assistait le délégué, fonctionnaire en titre. Territoire par territoire, les structures de la PJJ doivent s’appuyer sur des citoyens qui l’aident à accompagner ces jeunes. Au professionnel d’être le garant du suivi dans sa cohérence au regard du mandat qu’il a reçu de la juridiction.

De même, plutôt que de multiplier des structures qui, concentrant des jeunes en grande souffrance, se révèlent autant de cocottes-minute, il faut rechercher des familles d’accueil en les assurant d’un encadrement judiciaire et éducatif adapté. On offrirait aux jeunes une prise en charge réellement à échelle humaine, dont ils ont souvent manqué jusqu’à présent. L’accompagnement des enfants délinquants ne doit plus relever des seuls professionnels du social. Les membres de la famille et la société ont des potentialités. Cessons de déléguer aux professionnels la mission d’insertion.

→ 5. Stabiliser d’urgence les équipes éducatives par une autre gestion de personnels avec des contrats pluriannuels et la possibilité, comme dans le secteur habilité, sur des emplois fléchés, de réunir des agents autour d’un projet et d’un responsable.

→ 6. Garantir – et au-delà de 18 ans – le suivi d’un jeune qui, sans commettre de nouveaux délits, est encore en grande fragilité sociale. On doit lui donner acte qu’il n’est plus délinquant, mais maintenir une mesure civile exercée par la même équipe. Ne revenons pas à l’avant 1958 où il fallait absolument qu’un jeune soit ou reste délinquant pour être suivi par le même éducateur de la PJJ.

→ 7. Mobiliser plus que jamais l’expertise de la PJJ. A l’échelle des territoires, elle a une vision des populations en difficulté et peut contribuer à prévenir de la primo-délinquance. Au cas par cas, elle peut faire émerger un diagnostic, dégager des réponses et garantir la mise en œuvre de la réponse sans nécessairement la mettre en place.

Sans doute d’autres pistes existent-elles. Celles-ci ont le mérite de relégitimer dans l’action et non pas dans l’incantation une administration essentielle sans laquelle les magistrats munis des seuls codes seraient démunis et renvoyés vers la seule prison.

L’éducatif a encore une grande place à tenir à l’égard des jeunes. N’accentuons pas leurs difficultés par nos carences. La PJJ a des ressources pour écrire de nouvelles pages. J’ose à peine avancer, à ce stade, qu’il est urgent de supprimer un tribunal correctionnel pour mineurs chronophage et sans intérêt, les peines-plancher et le retrait automatique de l’excuse atténuante de minorité ! Toutes dispositions qui auraient déjà dû être adoptées en mai 2012. »

Contact : http://jprosen.blog.lemonde.fr

Notes

(1) Voir ASH n° 2817 du 5-07-13, p. 14.

(2) L’inspection générale des affaires sociales, l’inspection générale des services judiciaires et l’inspection de la protection judiciaire de la jeunesse ont remis en janvier 2013 un rapport sur les CEF à la ministre de la Justice, qui s’est appuyée sur ce document pour présenter en novembre dernier ses pistes de réforme des CEF – Voir ASH n° 2833 du 15-11-13, p. 5.

(3) Selon le rapport du 4 mai 2011 du sénateur (UMP) Jean-René Lecerf, rapporteur du projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs.

(4) 785 millions d’euros en 2014. A titre de comparaison, les dépenses d’aide sociale à l’enfance atteignent presque 7 milliards d’euros.

(5) 8 500 personnels, dont environ 4 500 éducateurs.

(6) La loi du 22 juillet 1912 a notamment créé des juridictions spécialisées pour les mineurs et posé le principe de la primauté des mesures éducatives. Elle a également introduit le travail social dans la justice en la personne des délégués à la liberté surveillée.

(7) Voir ASH n° 2548 du 7-03-08, p. 41.

(8) Voir ASH n° 2585 du 5-12-08, p. 5.

(9) Voir ASH n° 2750 du 9-03-12, p. 5.

(10) Voir la note de lecture de Dominique Youf in Sociétés et jeunesses en difficulté n° 13 – http://sejed.revues.org.

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