Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le Conseil constitutionnel a prononcé, le 9 janvier, une censure à portée rétroactive qui devrait avoir des conséquences importantes non seulement pour les femmes ayant, dans le passé, perdu leur nationalité française par acquisition d’une nationalité étrangère, mais aussi pour leurs descendants.
La QPC portait plus précisément sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de deux dispositions qui ne sont actuellement plus en vigueur : l’article 87 du code de la nationalité, dans sa rédaction résultant d’une ordonnance du 19 octobre 1945 et, surtout, l’article 9 de cette même ordonnance dans sa rédaction issue d’une loi du 9 avril 1954, qui a produit des effets entre le 1er juin 1951 (compte tenu de sa rétroactivité) et le 11 janvier 1973 (date à laquelle une nouvelle loi a changé la donne). Le premier, l’article 87, prévoyait que le Français majeur qui acquiert volontairement une nationalité étrangère perd la nationalité française. Toutefois, aux termes de l’article 9 de l’ordonnance, l’acquisition d’une nationalité étrangère par un Français du sexe masculin ne lui faisait perdre la nationalité française qu’avec l’autorisation du gouvernement français. Autrement dit, durant une période allant du 1er juin 1951 au 11 janvier 1973, la perte de la nationalité française liée à l’acquisition volontaire d’une nationalité étrangère s’opérait de plein droit pour les femmes alors que, pour les hommes, elle ne se faisait qu’à leur demande (1). C’est cette différence de traitement que la requérante entendait dénoncer devant le Conseil constitutionnel (2). Elle soutenait que ces dispositions portaient atteinte au principe d’égalité entre les femmes et les hommes.
La Haute Juridiction lui a donné raison. Elle a tout d’abord relevé que le législateur pouvait, sans méconnaître le principe d’égalité, prévoir comme il l’a fait, dans le but de faire obstacle à l’utilisation des règles relatives à la nationalité pour échapper aux obligations du service militaire, que le gouvernement peut s’opposer à la perte de la nationalité française en cas d’acquisition volontaire d’une nationalité étrangère pour les seuls Français du sexe masculin soumis aux obligations du service militaire. Le problème est que le législateur, loin de se borner à cette orientation, avait réservé aux Français du sexe masculin, quelle que soit leur situation au regard des obligations militaires, le droit de choisir de conserver la nationalité française lors de l’acquisition volontaire d’une nationalité étrangère. Les sages ont, dès lors, jugé que les dispositions contestées instituaient entre les femmes et les hommes une différence de traitement sans rapport avec l’objectif poursuivi et qui ne pouvait être regardée comme justifiée. Ils ont donc annulé les mots « du sexe masculin » figurant dans l’article 9 attaqué.
Cette déclaration d’inconstitutionnalité a pris effet le 11 janvier 2014. Elle peut être invoquée par les seules femmes qui ont perdu la nationalité française par l’application des dispositions de l’article 87 du code de la nationalité, entre le 1er juin 1951 et le 11 janvier 1973. Les descendants de ces femmes peuvent également se prévaloir des décisions reconnaissant, compte tenu de cette inconstitutionnalité, que ces femmes ont conservé la nationalité française. Enfin, précise le Conseil constitutionnel, la déclaration d’inconstitutionnalité est applicable aux affaires nouvelles ainsi qu’aux affaires qui n’étaient pas encore jugées définitivement au 11 janvier 2014.
(1) Aujourd’hui, toute personne majeure de nationalité française, résidant habituellement à l’étranger, qui acquiert volontairement une nationalité étrangère ne perd la nationalité française que si elle le déclare expressément. Sans qu’il y ait de distinction entre les hommes et les femmes.
(2) Née au Maroc en 1933 d’un père français, la requérante s’est mariée avec un ressortissant marocain avant d’acquérir volontairement la nationalité de son mari, en 1959. Des années plus tard, en 2001, elle s’est vu délivrer un certificat de nationalité française, au motif notamment qu’elle n’avait pas répudié la nationalité française à l’occasion de son mariage dans les conditions prévues par le code de la nationalité en vigueur à l’époque. Toutefois, en mars 2011, le procureur de la République de Paris a engagé une action pour contester sa qualité de Française sur le fondement de l’article 87 du code de la nationalité alors applicable, au motif qu’elle avait acquis volontairement la nationalité marocaine en 1959. Avec sa QPC, l’intéressée a déplacé le débat sur le terrain de l’égalité entre les sexes.