Le réalisateur Claus Drexel montre les plus beaux monuments de Paris, la nuit. Il filme la capitale comme une carte postale, superbement éclairée et totalement vide de piétons et de véhicules. Puis, sous les ponts, sur les plaques de métro ou au hasard d’une arcade, surgissent les seuls occupants de ces rues désertes : les sans-abri. Il y a Wenceslas, l’intellectuel, qui installe sa tente tous les soirs dans une avenue du XIIIe arrondissement et disserte sur les événements du monde. Il est à la rue depuis quatre ans. « Après la phase de résignation, j’en suis à la phase de ras-le-bol », affirme-t-il. Christine, elle, ne bouge presque jamais de son recoin des grilles du jardin des Plantes. Bien qu’emmitouflée sous un amas de couvertures, elle grelotte. Elle se dit surprise, chaque matin, d’ouvrir les yeux et d’être encore en vie. Pascal montre fièrement la cabane en carton qu’il a construite seul aux abords des Invalides. « Quand on connaît le prix du mètre carré dans le VIIe, je m’en sors bien ! », sourit-il. La vie de SDF ? « Au bout d’un moment tu ne sais même plus si c’est dur ou si c’est facile »…
Nombreux sont les documentaires consacrés aux SDF. Souvent, ils montrent les maraudes, la manche ou la déchéance. Rien de tout cela dans Au bord du monde. D’abord, parce que Claus Drexel a choisi des optiques de cinéma grand angle, offrant des images léchées (1). Ensuite, parce que le réalisateur a eu la chance de tomber sur de grands bavards. Son film est une succession de conversations menées avec ces sans-abri, la caméra posée en frontal à leur hauteur, là même où ils « vivent ». A travers ces longs plans fixes où la parole n’est pas coupée, le réalisateur voulait que l’on découvre « qui sont vraiment les gens à la rue et ce qu’ils pensent du monde ». A la sortie du documentaire, le spectateur n’en sait pas forcément plus sur ce qui a mené ces hommes et ces femmes dehors, mais il comprend leur détresse. Surtout, le contraste entre la beauté inouïe de Paris et la misère des personnes, toujours plus nombreuses, qui vivent sur ses trottoirs, percute le regard.
Au bord du monde
Claus Drexel – 1 h 38 – En salles le 22 janvier –
(1) La photo est l’œuvre de Sylvain Leser, auteur de nombreuses expositions sur les « misères urbaines » (« Merde in France », « Le choix des autres », etc.) –