Quelle est la réalité du recours suspensif pour les demandeurs d’asile maintenus en zone d’attente ? C’est le thème du rapport d’observations 2013 (1) de l’ANAFE (Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers), qui fait du recours effectif contre les refus d’admission sur le territoire l’un de ses chevaux de bataille.
L’association constate en premier lieu la forte chute des demandes d’asile à la frontière ces dix dernières années : de 10 364 en 2001, elles sont passées à 2 223 en 2012, année où seulement 255 personnes (13 % des demandeurs) ont été admises sur le territoire au titre de l’asile. Particularité de la procédure à la frontière : c’est au ministère de l’Intérieur qu’il revient, sur avis de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), d’autoriser la personne à entrer en France, en fonction du caractère « manifestement infondé » ou non de sa demande, afin qu’elle puisse déposer un dossier. Depuis la loi du 20 novembre 2007 relative à l’immigration, à l’intégration et à l’asile, la décision est susceptible de recours devant le tribunal administratif dans un délai de seulement 48 heures après la notification de la décision. L’effet suspensif dure jusqu’à la décision du juge, rendue dans un délai de 72 heures à compter de sa saisine.
Mais l’exercice de ce droit est loin d’être effectif, déplore l’ANAFE qui, pour l’attester, a suivi en 2012 les audiences de 115 personnes. Selon l’association, moins de 10 % des recours ayant fait l’objet d’une audience au tribunal administratif de Paris en 2012 ont été gagnés. La procédure est assortie « de modalités de mise en œuvre pratique trop restrictives pour la plupart des étrangers – démunis – qui sont maintenus en zone d’attente ».
Premier obstacle : le recours doit être rédigé en français et motivé en fait et en droit. Or il n’existe pas de permanence d’avocats en zone d’attente et l’ANAFE est présente seulement quelques jours par semaine dans la seule zone d’attente de Roissy. L’appel à un avocat n’est possible que pour les étrangers qui peuvent en assumer le coût, en mesure de le choisir sur une liste de plusieurs centaines de noms et d’échanger avec lui par téléphone, sans compter le cumul d’une série de difficultés matérielles (accès difficile au téléphone, absence de télécopieur, remise non systématique du compte-rendu d’entretien avec l’OFPRA…).
L’assistance gratuite d’un avocat de permanence n’est possible que pour l’audience et, du fait de l’urgence du contentieux et du fonctionnement du tribunal, celui-ci n’a « souvent accès à l’ensemble des éléments du dossier qu’une fois le demandeur d’asile présent au tribunal, soit, dans le meilleur des cas, une heure avant le début de l’audience ». L’avocat manque de temps et des conditions adéquates pour s’entretenir avec la personne. Il n’obtient pas, en outre, le renvoi systématique de l’affaire en cas d’absence d’un interprétariat dans la langue parlée par la personne.
Quant aux arguments de l’administration, ils tendent souvent « à se confondre avec un examen au fond de la demande d’asile, dépassant ainsi les caractéristiques de l’examen spécifique de la demande d’asile à la frontière », alors que l’appréciation du caractère « manifestement infondé » de la demande ne devrait consister qu’« à vérifier de façon sommaire si les motifs invoqués par le demandeur correspondent à un besoin de protection ». L’ANAFE dénonce, par ailleurs, une justice expéditive rendue « sur le tas » : le juge devant rendre sa décision le jour de l’audience, les requérants sont « susceptibles d’être réacheminés avant de s’être vu notifier le jugement complet et de connaître les raisons de la décision du juge ».
Autant de constats qui amènent l’association à demander la révision des conditions d’exercice du recours. Elle rappelle notamment que l’examen de l’éligibilité au statut de réfugié ou de bénéficiaire de la protection subsidiaire « reste de l’entière compétence de l’OFPRA », qui dispose des moyens et du temps pour mener les investigations nécessaires. Elle demande aussi l’allongement du délai de recours et la mise en place d’une permanence gratuite d’avocats en zone d’attente.
(1) « Le dédale de l’asile à la frontière » – Rapport d’observations 2013 – Disponible sur