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Un rapport d’inspection s’inquiète des dépenses induites, pour les préfectures, par le contentieux des étrangers

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Dans un rapport relatif à l’évolution et à la maîtrise des dépenses de contentieux du ministère de l’Intérieur, rendu public le 20 décembre, l’inspection générale de l’administration (IGA) s’inquiète de la croissance « très rapide » des dépenses de contentieux des étrangers qui, assure-t-elle, traduit une juridictionnalisation du droit des étrangers « difficilement soutenable à terme pour les préfectures » (1). « Le dynamisme des avocats, certains par conviction, d’autres, accuse le rapport, seulement mobilisés par la facilité du gain, contribue d’autant plus à l’augmentation de la dépense que les juges prennent peu en compte la situation budgétaire de l’Etat et que la réduction des moyens alloués aux préfectures limite leur capacité de défense. »

Les « stratégies » des avocats des étrangers pointées du doigt

L’IGA répondait à une commande de la Place Beauvau, confrontée à une « impasse budgétaire » pour ses dépenses de contentieux. L’administration a concentré son étude sur les principaux postes de dépenses. Le contentieux des étrangers en fait partie. Les litiges en la matière ont ainsi entraîné une dépense de plus de 15 millions d’euros pour l’Intérieur en 2012, en hausse de 8 % par rapport l’année précédente. Par rapport à l’année 2009, cette hausse s’établit à 25 %, soit 1 million d’euros supplémentaire par an en moyenne. « A terme, un tel taux de croissance est difficilement soutenable » pour le budget du ministère, indique le rapport.

Comment expliquer cette hausse ? L’IGA dépeint un tableau dans lequel, d’un côté, des préfectures aux moyens en diminution drastique seraient « très peu armées pour gagner les contentieux » face à des étrangers qui, à l’aide d’avocats spécialisés, contestent de façon « de plus en plus systématique » leurs décisions. Ces avocats, affirme le rapport, développent en permanence de nouvelles stratégies juridictionnelles. « Ils testent régulièrement de nouveaux moyens, qui obtiennent parfois la faveur du juge de première instance, générant pendant plusieurs mois une masse de contentieux, difficiles à gérer pour les préfectures, à la fois sur le plan de la charge de travail et de la doctrine juridique. » « Après quelques mois de contentieux perdus, les préfectures s’adaptent à ces nouveaux moyens, parfois le juge d’appel met fin à la jurisprudence de première instance, et, écrit l’IGA, l’effet de mode prend fin. » Pour donner un exemple de ces « nouvelles stratégies d’avocats », le rapport évoque l’émergence « de façon massive », au cours des mois qui ont précédé la mission, du contentieux de l’hébergement des demandeurs d’asile. « Les préfectures ont été perturbées par ce nouveau contentieux […] et également par ses conséquences budgétaires », indique-t-il, en soulignant l’impact financier immédiat des contentieux perdus. La perte par 30 préfectures de 50 contentieux de l’excès de pouvoir coûte ainsi a minima 1,2 million d’euros, sous l’hypothèse d’une condamnation à 800 € de frais irrépétibles (2) par dossier (hors astreintes).

Une source lucrative de revenus pour les avocats ?

Au passage, l’IGA déplore qu’il n’existe aucun « coût d’entrée » à attaquer l’acte du préfet pour le requérant et son avocat, alors qu’un tel coût « pourrait être dissuasif pour les mauvais dossiers ». Elle regrette également qu’« il n’existe à ce jour aucune limitation du droit à l’aide juridictionnelle », accessible pour tout justiciable ne disposant pas des moyens nécessaires pour régler ses frais de défense. Le rapport s’alarme encore de la multiplication des remboursements des frais engagés par le requérant lorsque l’Etat est perdant. Avant d’attaquer plus frontalement les avocats, accusés de « tirer avantage de la multiplication des procédures ». Selon l’IGA, si certains se sont spécialisés dans le contentieux des étrangers « avec des motivations politiques ou humanistes, en lien avec le monde associatif », « il semblerait » que d’autres voient dans ce contentieux, « plutôt simple techniquement et répétitif, une source lucrative de revenus ». « Si l’avocat gagne l’instance, il bénéficie des frais irrépétibles » (selon le rapport, le préfet doit, dans cette hypothèse, verser de tels frais dans la quasi-totalité des cas). Si, en revanche, il la perd, « il perçoit l’aide juridictionnelle ».

Au détour de l’étude, l’IGA alerte par ailleurs le ministère sur le « risque majeur, à contrôler au plus vite », représenté par l’émergence d’un « contentieux indemnitaire ». Autrement dit, le contentieux introduit par un requérant étranger qui souhaite obtenir réparation pour un préjudice matériel ou moral (refus de titre ayant entraîné une période en situation irrégulière ne lui ayant pas permis d’exercer une activité professionnelle, refus de regroupement familial ayant entraîné une perte de chance pour un enfant qui devait faire ses études en France, placement en rétention…). « Le risque est énorme, en particulier sur le plan financier dans la mesure où les juges peuvent octroyer une indemnité équivalente aux salaires non perçus pendant plusieurs années », estiment les auteurs, précisant par ailleurs que certains des interlocuteurs rencontrés, tout en se montrant « très inquiets », sont étonnés « que les avocats ne se soient pas encore engouffrés dans la brèche ».

Faire évoluer le code de justice administrative

Face à tous ces constats, l’IGA émet un certain nombre de recommandations, dont certaines « dépassent le seul ministère de l’Intérieur ». Elle préconise en particulier de faire évoluer les dispositions du code de justice administrative en matière de frais irrépétibles, afin que soit prise en compte par le juge la situation économique de l’Etat pour la condamnation à de tels frais ou bien encore afin d’introduire le caractère suspensif de l’appel pour les frais irrépétibles – qui ne pourraient être exigibles que lorsque la décision de justice est devenue définitive. Le rapport recommande ainsi qu’un groupe de travail interministériel composé notamment de représentants des juridictions administratives soit mis en place pour réfléchir sur la question.

Notes

(1) Rapport n° 13-058/13-041/01 – Septembre 2013 – François Langeois et Chloé Mirau – Disp. sur www.interieur.gouv.fr.

(2) Les frais irrépétibles sont les frais du procès qui ne sont pas compris dans ce qu’on appelle les « dépens », terme employé pour désigner les frais de procédure à laquelle la partie perdante est en principe automatiquement condamnée (dans une procédure devant la juridiction administrative, les dépens sont « les frais d’expertise, d’enquête et toute autre mesure d’instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l’Etat »). Les honoraires d’avocats font partie des frais irrépétibles. La condamnation de la partie perdante à leur paiement relève de la libre appréciation du juge, qui tient compte de l’équité et de la situation économique de la partie condamnée.

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