« Construire une réponse réellement personnalisée de la maternelle à la classe de seconde » pour tout élève en situation de grande difficulté et, dans ce cadre, réformer les réseaux d’aide spécialisés aux élèves en difficulté (RASED). C’est notamment ce que préconisent l’inspection générale de l’Education nationale et l’inspection générale de l’administration de l’Education nationale et de la Recherche dans un récent rapport intitulé « Le traitement de la grande difficulté scolaire au cours de la scolarité obligatoire » (1). Un rapport qui pourra alimenter les discussions, lancées en novembre dernier par le ministre Vincent Peillon sur les métiers des personnels de l’Education nationale, et notamment ceux des RASED (2). Au-delà d’une réorganisation de ces réseaux, les inspections recommandent, plus largement, de réformer le collège, dont elles jugent l’organisation très mal adaptée aux élèves en grande difficulté, et les sections d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA), qu’elles considèrent « peu inclusives ».
Le rapport relève, en premier lieu, qu’il n’existe aucune définition officielle de la notion de « grande difficulté scolaire », qui renvoie en fait à la situation de tous les élèves qui, à un moment de leur scolarité, sont en échec, ou considérés « en échec », dans leur parcours d’apprentissage. La grande difficulté « concerne des élèves très différents les uns des autres et la situation de chacun d’eux est singulière et complexe », explique-t-il. Si les élèves en grande difficulté scolaire appartiennent majoritairement aux catégories sociales les plus défavorisées – comme l’a souligné récemment la dernière enquête PISA (3) –, si la plupart d’entre eux posent des problèmes de comportement et si les obstacles qu’ils rencontrent se manifestent d’abord dans la maîtrise de la langue française, il n’existe toutefois pas un profil type de l’élève en grande difficulté, chacun présentant différemment tel ou tel de ces traits. De même, ils peuvent être reconnus « handicapés » ou ne pas l’être, présenter des troubles du langage ou non, devenir des « décrocheurs » ou poursuivre une scolarité pénible mais sans rupture jusqu’à 18 ou 20 ans.
Face aux différentes facettes que peut prendre la grande difficulté scolaire, les deux inspections considèrent que sa réduction « passe inévitablement par un changement profond de l’organisation et du fonctionnement » de l’école et du collège. Aujourd’hui, rappellent-elles, tous les élèves sont obligatoirement accueillis dans des classes hétérogènes, et c’est dans ce cadre contraint que les difficultés de chacun doivent être prévenues et surmontées. Le rapport préconise donc de mettre en place un projet personnalisé pour tout élève en grande difficulté (ou susceptible de s’y trouver) qui devrait « à la fois dessiner un parcours adapté à la spécificité de chaque situation, orienter l’action de tous les enseignants impliqués et mettre en place les aides et accompagnements nécessaires dans la durée ». Selon les inspections, il faut confier la responsabilité de la formulation, de la cohérence et de la continuité de ce projet à un enseignant, unique référent pour l’élève, sa famille et les acteurs impliqués : le maître de classe dans le premier degré, un tuteur désigné parmi les professeurs en collège ou l’enseignant de référence en SEGPA.
Dans le premier degré, c’est dans ce cadre que doivent s’inscrire les interventions des professionnels aujourd’hui regroupés dans les RASED, énonce le rapport. Parmi les aides complémentaires mises en place, « parfois surabondantes, parfois absentes ou limitées au seul soutien de l’enseignant à travers le dispositif d’aide personnalisée », l’intervention des membres des RASED constitue « une ressource importante », estiment les inspections. « Mais, dans sa forme actuelle, elle reste encore trop coupée de ce qui se noue et se dénoue dans la classe », poursuivent-elles. Une critique qui concerne en premier lieu les « maîtres G », ces enseignants spécialisés chargés de l’aide à dominante rééducative, qui ont connu le plus grand nombre de suppressions de postes ces dernières années (4) et qui, du fait de l’organisation du processus rééducatif, ont le rôle « le plus mal compris et, certainement, le plus mal défini ». La prise en charge en petit groupe hors de la classe, une fois par semaine (dans la plupart des cas recensés), peut être bénéfique et des enseignants expriment leur satisfaction, relève le rapport. Mais la lourdeur et le délai des préalables (demande écrite du maître de classe, examen par le RASED, élaboration d’un projet d’aide spécialisé, mise en place de l’aide) et la distance avec la réalité de la classe (principe du retrait, périodicité, etc.) « conduisent néanmoins à s’interroger sur l’efficience de ce mode d’intervention », jugent les inspections.
Les « maîtres E », enseignants spécialisés chargés de l’aide à dominante pédagogique, n’échappent pas non plus aux critiques : leur « “champ d’expertise” s’est déplacé et s’est en partie réduit ». Pour les deux inspections, le « maître E » se situe entre la responsabilité ordinaire de tout enseignant et les multiples spécialistes externes et internes qui aident à répondre aux besoins éducatifs particuliers. Il reste un généraliste dont la compétence a été approfondie dans une composante du métier d’enseignant, l’aide pédagogique. En revanche, le regard porté sur la pratique du psychologue du RASED par les enseignants et les cadres de l’institution lui confère, sans discussion, un statut d’expert reconnu et l’attente des maîtres de classes ordinaires à leur égard apparaît « particulièrement forte », note le rapport.
Au final, si l’enjeu de la présence des professionnels du RASED auprès d’un enseignant trop souvent isolé est, pour les rapporteurs, « indiscutable », en revanche, « l’intérêt et le sens de l’organisation actuelle en “réseaux d’aides spécialisés” apparaissent moins évidents ». Les deux inspections proposent donc de réorganiser les ressources mises à la disposition des écoles et des maîtres en retenant deux niveaux de cohérence :
→ le niveau de l’école (ou du groupe scolaire ou du réseau) qui est pertinent pour garantir l’efficacité de l’aide de proximité. C’est dans ce cadre qu’interviendrait le « maître E » auprès de l’enseignant pour l’aider à concevoir des réponses adaptées, mais aussi directement auprès de l’élève, dans le cadre de la classe et d’un travail préparé en binôme avec le maître, ou après la classe dans les plages horaires réservées aux activités complémentaires ;
→ le niveau de la circonscription, où pourrait se constituer un pôle de compétences pluridisciplinaires piloté par l’inspection de l’Education nationale. Ce pôle pourrait associer l’actuel « maître G », les psychologues, les conseillers pédagogiques, un spécialiste du français langue étrangère, si la circonscription dispose de cette ressource, voire un « maître D » (5), ou s’ouvrir à d’autres professionnels tels que des médecins ou des orthophonistes extérieurs. Il s’agit de rassembler tous ceux qui peuvent éclairer une situation, aider une équipe ou un maître confrontés à une situation difficile.
(1) Rapport n° 2013-095 – Novembre 2013 – Jean-Pierre Delaubier et Gérard Saurat – Disp. sur
(2) Voir ASH n° 2834 du 22-11-13, p. 10 et n° 2838 du 20-12-13, p. 5.
(3) Voir ASH n° 2841-2842 du 10-01-14, p. 24.
(4) Sur la problématique des suppressions de postes dans les RASED, voir ASH n° 2821 du 23-08-13, p. 10.
(5) C’est-à-dire un enseignant titulaire du certificat d’aptitude professionnelle pour les aides spécialisées, les enseignements adaptés et la scolarisation des élèves en situation de handicap (CAPA-SH), option D (troubles des fonctions cognitives).