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Primeur(s) à l’insertion

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A Angers, un nouveau programme du CCAS bouleverse les circuits habituels de l’aide alimentaire. Des filets de fruits et légumes frais viennent raviver le lien social et l’animation dans les quartiers.

« Alors aujourd’hui, 800 g de poireaux, 1 kg de pommes de terre, 1 salade, 13 mandarines, 5 pommes, 2 cardes, 800 g de carottes », annonce Yvon Correr, chargé de mission du Jardin de Cocagne angevin (1). Sous une serre bâchée de plastique transparent, à l’orée des parcelles que cultive l’association, quatre travailleurs et une employée en service civique sont installés sur une ligne de commande. Ils préparent les fruits et légumes destinés au nouveau programme d’aide alimentaire de la ville d’Angers : des produits frais récupérés parmi les invendus des agriculteurs de la région. Chacun compte et pèse ce qu’il doit ajouter dans la cagette qui glisse sur le tapis roulant. Le tout sera livré le lendemain sur l’un des 11 sites de distribution répartis dans la capitale de l’Anjou.

FRUITS ET LÉGUMES ISSUS DE L’AGRICULTURE BIOLOGIQUE

Mis en place il y a deux ans à l’initiative du centre communal d’action sociale (CCAS) et du Jardin de Cocagne angevin (JCA), le programme « Filets solidaires » vient compléter l’offre existante en matière d’aide alimentaire sur la ville d’Angers. Chaque semaine, les adhérents peuvent bénéficier de 5 à 6 kg de fruits et légumes frais, vendus à très bas prix en fonction d’un quotient familial élaboré par la mairie. Deux premiers sites ont d’abord été expérimentés, puis d’autres se sont progressivement développés. L’ensemble de la ville devrait être couvert d’ici à la fin 2014.

Le JCA a été créé en 1999 avec l’objectif de lancer un chantier d’insertion dans le secteur du maraîchage. Actuellement, 49 « jardiniers » âgés de 18 à 60 ans – dont environ la moitié ont été sans domicile fixe – cultivent et vendent des fruits et légumes biologiques. A l’issue du chantier, 35 % partent vers un emploi classique et 20 % vers un emploi protégé ou adapté. « Les autres présentent des capacités de travail trop limitées pour réellement sortir du circuit de l’insertion », précise Jean-Luc Pineau, directeur du JCA. Depuis 2010, l’association récupère également des invendus sur le marché d’intérêt national (MIN) du Val-de-Loire, qu’elle trie et redistribue aux organisations d’aide alimentaire et aux associations caritatives. Cette action a été initiée par la direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt afin de lutter contre le gaspillage. « Le problème, c’est qu’il n’est pas facile d’associer des légumes frais aux colis alimentaires tels qu’ils sont habituellement conçus, remarque Jean-Marie Beaucourt, administrateur et ancien président du JCA. Une partie des produits se perd vite. Alors, rapidement, nous nous sommes demandé ce que nous pouvions en faire. » Parallèlement, le CCAS s’interrogeait sur son dispositif d’aide alimentaire, qui ne lui semblait pas couvrir les besoins émergents des travailleurs pauvres et des personnes âgées vivant juste au-dessus des minima sociaux… « Nous avons donc organisé différents diagnostics ainsi qu’une concertation avec les usagers et les associations, raconte Anne Denieule, chargée de mission au CCAS sur la participation des usagers et l’aide alimentaire. Cela a débouché sur l’élaboration d’un cahier des charges en vue de développer des colis de fruits et légumes frais, des produits rarement présents dans l’aide alimentaire et coûteux pour les familles. Le projet a été confié au pilotage technique du JCA. »

UN SOUTIEN À DES TRAVAILLEURS EN DIFFICULTÉ

Le dispositif vise aussi à encourager le développement local. « Nous avons mis en place une équipe mobile professionnelle qui permet de proposer quelques heures de travail à d’anciens “jardiniers” dont nous savons qu’ils sont capables de travailler avec nous, mais pas en milieu ordinaire », explique Yvon Correr. Cette équipe mobile est un projet de longue date de l’association qui n’avait pu être mis en place faute de financement et de cadre réglementaire adéquat. Avec ces personnes dont les capacités de travail sont limitées à quelques heures par semaine, le chargé de mission se rend chez des exploitants ayant des surplus de production voués à la destruction. « Puis nous trions pour retirer, par exemple, l’orange avariée au milieu d’un filet tout à fait sain, pour supprimer les feuilles abîmées des laitues, etc. », résume Jean-Luc Pineau. Le produit du tri est ensuite réparti entre les banques d’aide alimentaire, les associations caritatives (notamment un restaurant associatif qui peut utiliser immédiatement les produits périssables) et les Filets solidaires, en fonction des quantités disponibles. « Il faut suffisamment d’un même produit pour pouvoir le répartir entre les 1 000 filets hebdomadaires que nous distribuons actuellement, précise Sophia Dieumegard, responsable des Filets solidaires au sein du JCA. Je complète donc avec des achats négociés. »

Ce jeudi matin, au centre Jean-Vilar, un espace culturel, associatif et d’animation du quartier La Roseraie, 188 bénéficiaires sont inscrits pour l’achat d’un filet. Tous ont payé au moins une semaine à l’avance. Marion Bregeon et Marjorie Mimeaud, deux volontaires en service civique au JCA, sont attablées tout près de l’entrée du vaste hall et reçoivent les réservations et les paiements pour les prochaines semaines. Sept nouveaux inscrits viennent grossir les rangs des bénéficiaires. Ils se présentent avec la carte « Partenaires » délivrée par le CCAS, la caisse d’allocations familiales ou la mairie ainsi qu’un justificatif mentionnant leur quotient familial. La participation financière des bénéficiaires est l’un des principes de base du programme. « C’est l’une des garanties du respect de la dignité des personnes, affirme Jean-Marie Beaucourt. Cela nous a été clairement signifié par les usagers rencontrés lors de l’élaboration du cahier des charges. » Les tarifs sont progressifs en fonction des revenus et de la composition des familles, de 2,60 € à 6,10 €. « Ce qui permet aussi d’assurer une certaine mixité du public bénéficiaire », assure Anne Denieule.

Au fond de la salle, quatre bénévoles gèrent la distribution et le transfert des fruits et légumes des cagettes aux sacs à provision des bénéficiaires. Certains ont soigneusement conservé le cabas réutilisable conçu pour l’opération, estampillé du slogan « Des légumes et des fruits pour tous ». Au centre, plusieurs usagers sont installés autour de petites tables rondes et discutent, lisent le journal ou prennent un café. Dans une cuisine ouverte sur la salle, Marie-Claude, animatrice au centre Jean-Vilar, une bénévole et quelques bénéficiaires préparent une soupe avec les produits du filet du jour, qu’ils feront ensuite déguster aux personnes présentes sur le lieu. « L’idée, c’est que les habitants s’investissent et échangent des recettes, explique l’animatrice. Ce n’est que la troisième fois que nous organisons cet atelier, il nous faut encore un peu de temps pour être clairement identifiés. »

A l’instar du centre Jean-Vilar, 11 sites de distribution fonctionnent déjà sur la ville d’Angers, l’objectif étant de couvrir l’ensemble des quartiers avec une vingtaine de sites et 2 000 filets distribués chaque semaine. « Avant de choisir un lieu de distribution, nous mettons en place un comité de suivi dans le quartier à desservir qui réunit les travailleurs sociaux, les associations, les maisons de quartier, des usagers, détaille Sophia Dieumegard. Ensemble, nous discutons des endroits possibles, des animations à mettre en place, des horaires à proposer… » Comme le dispositif concerne également des travailleurs précaires, il faut notamment penser à organiser des distributions en dehors des horaires de travail habituels, par exemple le samedi matin ou en toute fin d’après-midi, voire entre 12 heures et 14 heures. Chacun est libre de s’inscrire dans le quartier de son choix, même s’il n’y réside pas.

DES ATELIERS DIVERS POUR RETROUVER L’ESTIME DE SOI

« Quand le comité de suivi a été créé sur Les Hauts de Saint-Aubin, nous avons tout de suite été intéressés car nous avions déjà une activité autour de l’alimentation, se souvient Xavier Arrivé, actuel directeur du centre Jean-Vilar, et ex-responsable de la maison de quartier des Hauts de Saint-Aubin. Il y avait un atelier cuisine hebdomadaire et un repas des anciens. Et puis nous savions que certaines personnes n’allaient pas aux distributions habituelles de colis alimentaires. » En effet, par crainte des files d’attente, par rejet de ce qu’ils peuvent considérer comme une assistance honteuse, ou tout simplement par méconnaissance de leurs droits, un grand nombre d’usagers n’accèdent pas à l’aide sociale ou alimentaire. La distribution dans des lieux variés, non spécifiques de l’aide sociale, et sur des tranches horaires suffisamment larges pour éviter les files d’attente, avec un système de réservation permettant d’échapper à toute cohue, contribue à éviter la stigmatisation.

Les animations sont un autre axe du programme. « Dès le début, nous n’avons pas voulu avoir cette image d’assistance, de file d’attente qui rebute de nombreux usagers, souligne Jean-Luc Pineau. Il s’agissait de s’intégrer dans la dynamique d’un lieu social et de faire en sorte que les personnes utilisent les filets aussi pour sortir de leur isolement. » Plusieurs points de distribution organisent ainsi des ateliers « cuisine » ou « soupe ». « Cela permet également de faire connaître les légumes peu ordinaires – tels que les cardes, les potimarrons ou le céleri boule – que j’ajoute par roulement à la composition du filet, indique Sophia Dieumegard. On peut expliquer comment les cuisiner et les faire goûter grâce à une dégustation. » Aux Hauts de Saint-Aubin, des ateliers bien-être ont été mis en place. « Nous proposons des soins de beauté, sous l’égide d’une esthéticienne, raconte Monique Brochard, assistante de service social. Les femmes élaborent les soins à partir de certains produits du panier et se les prodiguent entre elles. » L’animation a été conçue à partir d’une expérience réalisée auprès des femmes de la communauté du voyage. « Cela a un très bon impact sur l’estime de soi et contribue à engager du lien et à aller vers l’insertion », poursuit la travailleuse sociale. Dans le quartier de Belle-Beille, ce sont les associations locales qui se relaient chaque semaine pour informer les bénéficiaires des Filets solidaires de l’ensemble des animations organisées dans le quartier. « Nous sommes un peu les ambassadeurs du tissu associatif lorsqu’on est de permanence, explique Annette Bruyère, conseillère municipale qui représente le Réseau des échanges réciproques de savoirs. Mais on parle aussi beaucoup autour du Filet solidaire. Le lien avec la santé est vite fait et les gens apprécient de pouvoir ajouter des légumes à leur menu. »

Même si l’évaluation du programme n’a pas encore été réalisée, la plupart des partenaires s’en montrent satisfaits. Environ 3 000 foyers sont déjà inscrits pour une distribution de quelque 1 000 filets chaque semaine. Près de 40 % des bénéficiaires sont sans emploi, 17 % sont retraités et 5 % sont des étudiants. « A ma grande surprise, les jeunes s’en saisissent, remarque Annie Lalande, conseillère en économie sociale et familiale, détachée par le CCAS auprès des missions locales. Depuis septembre, sur les 250 jeunes dont je m’occupe, seuls deux m’ont dit que cela ne les intéressait pas. Il y a même davantage de réactions positives que de la part des bénéficiaires du RSA [revenu de solidarité active] avec qui je travaillais avant. » L’autre résultat est que les sites où se déroule la distribution s’approprient ce nouvel outil afin de redynamiser certaines de leurs activités. « Les Filets créent une passerelle qui permet d’accéder à la maison de quartier, aux informations et aux activités socio­culturelles que nous proposons », se réjouit Xavier Arrivé. Dans le quartier des Hauts de Saint-Aubin, le CCAS estime que 50 % des bénéficiaires n’entraient jamais à la maison de quartier auparavant. Et au centre Jean-Vilar, la fréquentation de la bibliothèque semble avoir sensiblement augmenté les jours de distribution.

Quant au Jardin de Cocagne, les Filets solidaires lui ont permis de développer l’emploi. Outre l’équipe mobile professionnelle, des postes en emploi d’avenir ont pu être créés, comme celui de chauffeur-livreur. A terme, l’objectif est de créer neuf équivalents temps plein sur des places de développement et d’animation. « Nous avons, par exemple, trois jeunes suivis par la mission locale, qui viennent donner chacun trois heures de travail hebdomadaire dans le cadre de leur projet personnel », explique Sophia Dieumegard. A l’image de Jérémy Salaün, un jeune homme de 19 ans qui vient de quitter l’institut médico-éducatif et rêve de travailler dans la restauration. Chaque jeudi, il est présent au centre Jean-Vilar pour aider à décharger les filets, à ranger les cagettes vides, à participer à l’atelier cuisine…« Ça me fait bouger, en attendant de trouver une place d’apprentissage en cuisine », résume-t-il.

UNE MOBILISATION NÉCESSAIRE AUTOUR DU PROGRAMME

L’essentiel du financement est assuré par la subvention du CCAS. « Mais les heures de travail des jeunes suivis par la mission locale sont assurées par un financement CUCS [contrat urbain de cohésion sociale], et le tri que nous réalisons parmi les produits agricoles du MIN, par le conseil général, précise Jean-Luc Pineau. Quand on est dans l’innovation, rechercher des fonds se révèle toujours difficile, il faut essayer de se couler dans les dispositifs existants et réaliser des montages. » La difficulté n’est pas mince. Depuis plusieurs années, les financements du chantier d’insertion du Jardin de Cocagne angevin sont en baisse, alors que le nombre de « jardiniers » augmente. Les recettes liées à la vente des produits de maraîchage au grand public ont également diminué. En outre, la répartition des bénéficiaires des Filets solidaires parmi les quatre tranches de paiement penche très lourdement vers les plus précaires (56 % paient le tarif le plus bas). « Or c’est l’équilibre avec les tranches de tarifs supérieures qui permettra d’améliorer la prise en charge financière du programme », rappelle Jean-Pierre Mériel, responsable du département insertion aux Restos du cœur d’Angers.

Un autre motif d’inquiétude : depuis que le tri des produits a été mis en place au MIN, la ressource a considérablement diminué. « Grâce à notre tri, les grossistes ont réalisé que des produits étaient encore récupérables, et ils ont appris à mieux les mettre en valeur », regrette Sophia Dieumegard. Des commerçants d’un autre genre font également concurrence au programme en récupérant, eux aussi, les invendus auprès du MIN, mais en les achetant et en les revendant sur les marchés « à la bassine » (volume de vente usuel). Conséquence : « Alors que l’objectif initial était que chaque Filet solidaire soit constitué de deux tiers de denrées récupérées pour un tiers acheté, nous sommes plus proches du 50/50 », s’inquiète la responsable du programme.

C’est d’ailleurs en partie pour combler ce tarissement de la ressource qu’Yvon Correr a commencé à démarcher directement les agriculteurs pour récupérer leur production non vendue avec son équipe mobile professionnelle. « Parfois nous allons directement récolter dans les champs. Mais il n’est pas toujours facile de convaincre les agriculteurs, qui ont besoin de libérer rapidement leurs surfaces pour les remettre en culture et n’ont pas toujours le temps de nous attendre. » Certains cultivateurs montrent en outre une certaine appréhension à l’idée de donner leurs produits, même si un dégrèvement fiscal leur est accordé. « Ils craignent que notre intervention n’attire l’attention sur ce qui pourrait être considéré comme la conséquence d’une mauvaise gestion de leur exploitation, signale Yvon Correr. Et certains qui rencontrent également des difficultés économiques ne voient pas pourquoi ils devraient contribuer à l’aide alimentaire. »

La mobilisation autour des Filets doit donc être maintenue en permanence. « Nous sommes encore en développement, remarque Jean-Luc Pineau. Nous cherchons des solutions, des adaptations. Et nous luttons contre l’exclusion en activant les politiques locales. »

Notes

(1) Jardin de Cocagne angevin : La Bouvarderie – 49124 Saint-Barthélemy-d’Anjou – Tél. 02 41 93 19 19 – jdcangevin@wanadoo.fr.

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