Recevoir la newsletter

Stéphane RullacHepass : quelle intégration de la recherche ?

Article réservé aux abonnés

Au nombre des missions des futures Hautes Ecoles professionnelles en action sociale et de santé (1) devrait figurer le développement de l’activité de recherche dans le domaine du travail social. Stéphane Rullac, responsable du pôle « recherche » et coordinateur du Centre d’études et de recherches appliquées (CERA) pour Buc Ressources (2), se penche sur les modèles qui peuvent inspirer le secteur pour cette « (r)évolution culturelle majeure ».

« La conférence de consensus co-organisée fin 2012 par le CNAM (Conservatoire national des arts et métiers) et l’Unaforis (Union nationale des associations de formation et de recherche en intervention sociale) (3) a provoqué une mise en synergie des réflexions. L’enjeu était de passer du dissensus au consensus minimal que requiert la mise en œuvre généralisée de la fonction de recherche dans les écoles du travail social. Cette nouvelle activité étant prévue dans le cadre des six fonctions des futures Hepass (Hautes Ecoles professionnelles en action sociale et de santé), la difficulté est de préparer cette (r)évolution institutionnelle majeure. Pour venir clôturer l’ensemble de cette mobilisation scientifique, un ouvrage à paraître (4), coordonné par Marcel Jaeger, propose une synthèse des positions des experts, le rapport du jury et des articles experts divers qui prolongent la réflexion. Dans ce cadre, mais aussi ailleurs (la commission permanente nationale de la recherche de l’Unaforis, par exemple), une position commune semble émerger, dans laquelle chacun pourrait se retrouver : il s’agit de la “recherche intégrée”. Si les uns se satisfont de l’aspect institutionnel, qu’ils envisagent comme l’intégration d’une simple nouvelle activité, les autres envisagent de manière supplémentaire cette intégration comme le développement d’un savoir nouveau. En ce sens, la référence à la recherche “sur” et “en” s’efface au profit d’une forme de malentendu, perçu mais accepté par tous tacitement, qui permet de travailler ensemble tout en gardant fondamentalement son point de vue initial. En ce sens, la conférence de consensus est un succès.

Sur cette base, les enjeux consistent aujourd’hui à dépasser les questions de légitimité scientifique et à envisager collectivement les modalités d’inté­gration de la recherche dans les futures Hepass. Précisons d’emblée que les questions institutionnelles ne peuvent être différenciées des questions épis­témologiques : les premières sont le contenant des secondes. Vers quels modèles institutionnels et épistémologiques se tourner ? En choisissant le modèle des hautes écoles, l’Unaforis a refusé la perspective d’une “universitarisation”, qu’ont connue les qualifications infirmières. Pour l’appareil de formation du travail social, adossé au secteur professionnel, la peur de l’absorption universitaire est une force historique mobilisatrice qui a permis une unité politique. C’est ce mouvement qui a permis à l’Unaforis d’être créée, en dépassant la scission historique entre le GNI (Groupement national des IRTS) et l’Aforts (Association française des organismes de formation et de recherche en travail social). En choisissant un modèle institutionnel scientifique différent du modèle universitaire, le travail social a finalement choisi un processus d’“académisation”.

Modèles hybrides

Quels sont alors les modèles de recherche qui peuvent nous inspirer ? Le projet des Hepass nécessite de s’intégrer dans le cadre des modèles hybrides mis en œuvre aujourd’hui par les écoles professionnelles qui ont opté pour le modèle des hautes écoles. Ces dernières entretiennent des relations nécessairement étroites avec les universités, selon deux modalités : le partenariat ou l’intégration. Certaines formes d’organisation arti­culent parfois ces deux caractéristiques, lorsque des écoles autonomes emploient néanmoins des enseignants chercheurs comme une université. Ces cas de figure correspondent le plus souvent au statut d’établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP). Ces “grands établissements” sont perçus comme des institutions d’élite, comme le CNAM ou l’EHESS (Ecoles des hautes études en sciences sociales). Depuis 2006, l’EHESP (Ecole des hautes études en santé publique) est aussi un exemple de ce modèle, qui permet un rattachement à plusieurs ministères, l’embauche d’enseignants-chercheurs et la préparation des doctorats. L’opposition rigoureuse entre universités et hautes écoles n’est donc plus de mise aujourd’hui, même si les unes et les autres procèdent historiquement de modèles distincts. Les regroupements dans les “pôles de recherche et d’enseignement supérieur” (PRES) composent d’ailleurs des ensembles mélangeant à grande échelle ces deux types de modèles formatifs, dans des entités mixtes universités-écoles. Même si cette appellation a disparu, ce mouvement de convergence à grande échelle est inéluctable. La perspective de l’intégration de la recherche dans les futures Hepass ne peut ni se référer au modèle de l’université ni à celui de l’école professionnelle autonome, mais à une forme d’hybridité académique qui articule nécessairement les deux modèles his­toriques, tout en les dépassant autour du noyau de l’enseignement professionnel.

Les écoles du travail social relèvent du droit privé. Cette donne juridique exclut la perspective d’une reconnaissance comme “grands établissements publics”, et exclut aussi, pour les formateurs, le statut d’enseignant-chercheur. La perspective du modèle d’une école comme HEC (Hautes Etudes commerciales) paraît alors tentante, dans la mesure où elle est également placée sous une tutelle privée (la Chambre de commerce et d’industrie de Paris), tout en revendiquant une activité scientifique soutenue : recherches pluridisciplinaires et doctorats dépendant d’une école doctorale mixte (HEC, université et CNRS [Centre national de la recherche scientifique]) et inscrits dans une discipline d’accueil relevant de la gestion. Pour autant, le travail social, par rapport à l’histoire de son appareil de formation et en lien avec son objet, ne doit-il pas développer une déclinaison scientifique qui lui est propre ? C’est la question collective à laquelle nous devons aujourd’hui répondre. Les perspectives sont immenses : quels statuts pour les enseignants-formateurs alors que les conventions collectives du travail social ne prennent pas en compte le doctorat ? Quelle autonomie pour une recherche qui dépend d’un projet politique associatif ? Quelles disciplines d’accueil pour les doctorats ? Quel financement de la recherche ? A quelle échelle doivent se définir les laboratoires de recherche et les écoles doctorales, et dans quel cadre partenarial avec les universités, le CNRS ou encore de “grands établissements” ? Qui évalue les recherches ? Quelles délégations scientifiques pour l’Unaforis par l’Etat ? Quelles articulations entre l’Unaforis et les pôles de recherche et d’étude pour la formation et l’action sociale (Prefas) ? Quelle spécificité pour ce corpus scientifique ? Comment respecter au sein d’une Hepass les cultures de chaque métier et de chaque école ? Etc.

Une démarche pragmatique

Ces questions relèvent non seulement d’enjeux institutionnels – en matière de gouvernance – mais aussi épistémologiques – en matière d’éthique, de corpus méthodologique et conceptuel. Pour ma part, fidèle à mes engagements, conforté par le jury de la conférence de consensus, je me situe dans une perspective de soutien à un savoir professionnel insuffisamment reconnu. Je considère que les futures Hepass s’intègrent dans un processus d’académisation des écoles du travail social, relevant d’une hybridation des modèles institutionnels historiques (université et écoles professionnelles), des savoirs (interdisciplinarité) et des méthodes (multiréférentialité), qui caractérise le modèle pluriel des hautes écoles. Cette convergence des références dépasse donc la recher­che “sur” et “en” travail social, dans une mise en synergie au service de la résolution de la “question du travail du social”. En ce qui concerne la question de la reconnaissance en tant que discipline, également soulevée par le jury, il me semble impossible de relever du modèle des hautes écoles tout en revendiquant en même temps une reconnaissance stricte du travail social en tant que discipline universitaire : comment se distinguer du modèle universitaire et en même temps se réclamer de la norme qui structure ce dernier ? Le choix des hautes écoles, pour le secteur privé, oblige à l’heure actuelle à un partenariat universitaire pour la mise en œuvre d’un doctorat. Ainsi, la création en avril dernier de spécialités “travail social” dans les doctorats de sociologie et des sciences de l’éducation du CNAM (5) constitue une solution adaptée à moyen terme. Néanmoins, dans le futur, est-il possible de suivre l’exemple du CNRS qui possède ses propres disciplines reconnues par l’Etat ? Dans cette perspective, l’innovation consisterait à inventer une discipline de nature professionnelle, qui pourrait de plein droit permettre de préparer un doctorat en dehors de la discipline universitaire. L’une des pistes serait de créer un statut institutionnel de “grands établissements privés” avec délégation de service public qui ouvrirait aux mêmes droits que le statut de “grands établissement publics”. La récente création de la qualification d’“établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général” (article 732-1 du code de l’éducation), pour les associations ou fondations reconnues d’utilité publique, semble aller dans ce sens. Cette perspective constitue fondamentalement l’utopie épistémo-institutionnelle portée intrinsèquement par le modèle des hautes écoles en France. Au-delà de cet enjeu, le défi des Hepass nécessite collectivement de dépasser les approches idéologiques, au profit d’une démarche pragmatique s’appuyant notamment sur l’expérimentation scientifique des laboratoires déjà existants dans les écoles du travail social. Aussi, il devient indispensable de trouver le moyen d’associer le terrain aux enjeux de scientifisation, qui ne peuvent se développer en dehors de la réalité et de la finalité du travail social. »

Contact : stephane.rullac@buc-ressources.org

Notes

(1) Sur ce projet – initié par l’Unaforis –, voir notamment ASH n° 2745 du 3-02-12, p. 29, n° 2795 du 1-02-13, p. 25, n° 2814 du 14-06-13, p. 16.

(2) Il est également chercheur associé au Centre d’études et de recherches sur les emplois et les professionnalisations (CEREP) de l’université de Reims.

(3) Voir ASH n° 2816 du 28-06-13, p. 17.

(4) Conférence de consensus. Le travail social et la recherche, à paraître aux éditions Dunod en mars prochain.

(5) Voir ASH n° 2808 du 3-05-13, p. 14.

Vos idées

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur