En français, PISA signifie « programme international pour le suivi des acquis des élèves ». Cette enquête est menée tous les trois ans depuis 2000, sous l’égide de l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques]. En 2012, y ont participé 65 pays, parmi lesquels tous ceux de l’OCDE (1). Elle vise à évaluer les performances des élèves de 15 ans dans trois domaines : la culture écrite, les mathématiques et la culture scientifique. A chaque enquête, l’un de ces domaines est dominant. En 2012, il s’agissait des mathématiques. On évalue les performances à l’aide d’épreuves communes organisées dans les pays concernés auprès d’un panel d’élèves (5 700 pour la France). PISA ne vise pas à évaluer les compétences strictement scolaires, mais les compétences nécessaires à une bonne insertion sociale et professionnelle. Son intérêt n’est pas d’établir le classement des meilleurs pays en matière scolaire. Ce n’est pas très significatif, étant donné les différences culturelles et historiques qui existent entre eux. Ce qui me paraît en revanche intéressant, c’est d’observer dans chaque pays les performances moyennes et, surtout, la dispersion des résultats.
La performance générale des élèves en France se situe dans la moyenne des pays de l’OCDE en mathématiques et au-dessus de la moyenne en compréhension de l’écrit. Le problème est que notre pays présente l’écart le plus important entre les 10 % des élèves les plus performants et les 10 % les moins performants. Ainsi, en compréhension de l’écrit, le score des élèves très performants a augmenté de 4 points depuis 2009, alors que celui des élèves peu performants a diminué d’autant. La France apparaît comme l’un des pays de l’OCDE où les inégalités sociales pèsent le plus sur les inégalités scolaires. En 2003, l’écart était de 43 points entre les élèves des milieux favorisés et ceux des milieux défavorisés. En 2012, il est passé à 57 points. Et toutes les études font état depuis une dizaine d’années de cette dégradation de la situation scolaire des élèves les plus défavorisés. Certes, on enregistre une amélioration dans le domaine de l’écrit, mais elle est due à une hausse du niveau des meilleurs élèves. Certains pays améliorent leurs résultats en faisant progresser le niveau des élèves les plus en difficulté. Le système éducatif français se dégrade principalement par le bas, les élèves les plus en difficulté voyant leurs performances baisser. La France présente une plus grande ségrégation scolaire et sociale que dans d’autres pays, notamment en Europe du Nord. Ce qui, entre autres, pose la question de la carte scolaire et de la manière dont l’école peut gérer le problème de la ségrégation résidentielle.
L’inégalité entre les sexes en matière de performance scolaire est une constante depuis plus de trente ans dans la majeure partie des pays développés. Les inégalités sexuées à l’école se sont inversées, alors qu’elles étaient historiquement en faveur des garçons. Sans doute les modes de socialisation féminins prédisposent-ils aujourd’hui davantage les filles à s’adapter au fonctionnement de l’école, à s’approprier la culture écrite et à s’engager dans des activités élaborées… On peut penser aussi qu’une certaine dynamique de l’émancipation féminine dans les sociétés contemporaines constitue un bon support en vue de la mobilisation scolaire des filles, alors que la dégradation des métiers ouvriers, destinés traditionnellement aux garçons des milieux populaires, ne favorise guère la scolarisation masculine. Il faut cependant souligner que les inégalités tendent par la suite à rebasculer en faveur des garçons en ce qui concerne l’orientation et l’insertion professionnelle.
Il s’agit moins des enfants immigrés en tant que tels que des enfants allophones, c’est-à-dire ceux dont la langue maternelle n’est pas le français. Même en tenant compte du milieu socio-économique, ils accusent des scores inférieurs de 37 points à ceux des élèves « autochtones », soit presque l’équivalent d’une année d’étude. C’est vrai aussi pour les autres pays de l’OCDE, mais de façon moins marquée. Il faut toutefois noter que cet écart diminue chez les enfants de la seconde génération de l’immigration. Dans un climat général d’ethnicisation de la question sociale, donc de la question scolaire, on peut faire l’hypothèse qu’un certain rapport à l’école se met en œuvre chez les enfants allophones, de même que l’école développe à leur égard un certain type de relation. Il faut néanmoins se garder de culturaliser les difficultés scolaires que rencontrent ces enfants. En effet, l’enquête PISA ne prend pas en compte certaines variables sociales, comme la paupérisation et la précarisation des catégories les plus modestes de la population ainsi que la concentration dans certains quartiers, et donc dans certains établissements scolaires, de nombreuses familles issues de l’immigration.
Cela me paraît évident. Une politique de démocratisation de l’école n’est pas la même chose qu’une politique méritocratique ou d’égalité des chances. Elle ne vise pas à prendre les bons élèves pauvres pour les promouvoir à l’excellence en les enlevant de leurs quartiers et de leurs établissements, et en laissant les autres entre eux. Il existe tout un courant idéologique très fort d’individualisation des conditions de la réussite scolaire reposant sur les notions de mérite, de potentiel, de talent… Il est nécessaire d’aller contre. Ce qu’il s’agit de promouvoir n’est pas le modèle de la réussite individuelle, mais celui de la réussite collective, de la démocratisation de l’école.
C’est d’abord certainement l’héritage d’un système scolaire et universitaire très élitiste et méritocratique. On le voit avec le modèle des grandes écoles, qui reste dominant dans notre pays. Par ailleurs, les politiques de lutte contre l’échec scolaire – en particulier le système des ZEP [zones d’éducation prioritaire] – n’ont jamais été réellement ciblées. On les a diluées. En 1981, environ 300 établissements étaient en ZEP. Aujourd’hui, ils sont plus de 1 000. On est passé de 8 % à près de 21 % de la population scolaire concernée. Ensuite, ces politiques n’ont jamais visé le niveau scolaire des premiers apprentissages, qui me semble le plus pertinent, mais celui du collège dans une perspective de pacification, car c’est là où les troubles liés à l’échec scolaire sont les plus visibles. Enfin, on ne s’est pas véritablement attaqué au cœur du problème, à savoir les apprentissages fondamentaux, en particulier la lecture et l’écriture, sur lesquels la sélection scolaire continue à se faire. Depuis trente ans qu’elle existe, la politique d’éducation prioritaire souffre d’un énorme déficit d’orientation.
Certaines orientations avancées sont intéressantes. Redonner la priorité à l’école primaire me paraît être une bonne chose, de même que diminuer le temps de travail des enseignants dans les ZEP, à condition que cela se traduise par un temps libéré pour lequel ils soient formés. Il faudrait sans doute reprendre des idées qui existaient au début de la politique ZEP (organisation d’universités d’été et de stages de formation, mobilisation de la recherche, etc.). Dans les groupes de travail sur cette réforme auxquels j’ai participé, j’ai essayé d’y défendre ces positions. Ce qui, au final, en sera retenu après les arbitrages politiques et surtout budgétaires, je n’en sais rien. Mais s’il me paraît nécessaire de recentrer les efforts de l’éducation prioritaire, ce ne sera efficace que si l’on développe en parallèle une politique globale de lutte contre les inégalités scolaires ne visant pas spécifiquement les secteurs en difficulté. Il faut transformer le système éducatif dans son ensemble.
Propos recueillis par Jérôme Vachon
Jean-Yves Rochex, psychologue, est professeur de sciences de l’éducation à l’université Paris VIII. Il a contribué à créer le réseau de chercheurs Reseida (Recherches sur la socialisation, l’enseignement, les inégalités et les différenciations dans les apprentissages). Avec Jacques Crinon, il a publié La construction des inégalités scolaires. Au cœur des pratiques et des dispositifs d’enseignement (Ed. Presses universitaires de Rennes, 2011).
(1) L’enquête PISA est constituée d’un questionnaire identique pour tous les pays participants. Un score est attribué à chaque élève en fonction de ses réponses. Des moyennes sont ensuite réalisées à partir de ces scores.