Daniel Rousseau, pédopsychiatre au foyer de l’enfance du Maine-et-Loire, a engagé une importante enquête longitudinale sur l’itinéraire des enfants accueillis entre 1994 et 2000 dans cette institution (1). 110 parcours complets ont été reconstitués, depuis le placement à la pouponnière jusqu’à aujourd’hui, parmi lesquels 70 sont ceux de jeunes ayant dépassé 17 ans. L’âge moyen des bébés était de 22 mois à l’arrivée à la pouponnière, mais il s’était écoulé environ un an entre la première alerte et ce placement. Si 80 % des nourrissons avaient auparavant été suivis à domicile, leur état sanitaire à l’admission était très alarmant, selon Daniel Rousseau. Une maltraitance était présente dans deux tiers des cas : violences psychologiques et/ou physiques (notamment 62 cas de violences conjugales graves, parmi lesquels la moitié des enfants témoins avaient été maltraités) et négligences lourdes. Sur l’ensemble de la fratrie de la cohorte étudiée, 230 enfants sur 266 ont été placés à un moment ou un autre, « ce qui montre, commente Daniel Rousseau, le caractère familial et non individuel des causes de placement ».
L’accueil en pouponnière a un impact favorable sur le développement des tout-petits, même si celui-ci reste limité. « On constate une reprise staturo-pondérale, une amélioration de l’état psychique, mais sans parvenir à enrayer l’évolution péjorative des situations les plus graves à l’admission. » Ce qui se traduit par de longues durées de prise en charge : 80 % des plus de 17 ans étaient encore suivis à cet âge-là par l’aide sociale à l’enfance (ASE). Au fil de leur itinéraire, la moitié de ces jeunes étaient revenus dans leur famille, mais les deux tiers d’entre eux avaient à nouveau été placés par la suite. « Plus l’enfant va mal à son admission, plus son parcours à l’ASE sera chaotique », explique Daniel Rousseau.
Le pédopsychiatre a dégagé trois catégories d’enfants, d’importance numérique comparable. Le premier tiers regroupe les bébés qui ont été placés tôt avec peu de troubles. Ceux-ci ont connu un petit nombre de lieux de placement (deux ou trois au maximum) et une certaine réussite scolaire. Ils vont plutôt bien à la majorité, sans problèmes psychiques, et sont bien adaptés socialement. Le deuxième tiers comprend des enfants qui présentaient quelques troubles à l’arrivée. Ceux-ci ont connu plus de lieux de placement et conservent certains signes de mal-être à la majorité (peu d’amis, anxiété, manque de confiance en soi).
Les enfants du troisième groupe souffraient déjà de troubles massifs au moment de leur admission, qui était plus tardive. Ils ont mis à mal leurs placements, d’où le nombre important de ces derniers (plus de 19) et des montages complexes de prises en charge partagées entre plusieurs structures. Leur scolarité a relevé de l’éducation spécialisée etils sont devenus de jeunes adultes dépendants, présentant des troubles mentaux et de la personnalité. Pour Daniel Rousseau, « les handicaps psychiques, déficitaires et sociaux, induits par des maltraitances ou des délaissements précoces pris en charge beaucoup trop tard, sont vraisemblablement plus fréquents que les handicaps liés à l’autisme et aux maladies chromosomiques ».
(1) Etude présentée à Paris le 19 juin lors d’une journée organisée par l’ONED (Observatoire national de l’enfance en danger) sur « La santé des enfants accueillis au titre de la protection de l’enfance ».