Recevoir la newsletter

Accueil en pouponnière : accompagner la rencontre de l’enfant avec sa famille

Article réservé aux abonnés

Permettre à des bébés négligés ou maltraités de trouver le répit pour se restaurer et reprendre le cours d’un bon développement, tel est l’objectif des pouponnières à caractère social. A cet effet, leurs équipes tissent une prise en charge au cas par cas, au sein de laquelle la relation de l’enfant à ses parents tient une place de première importance.

Entrer dans la vie pour franchir les portes d’un internat, en y étant éventuellement conduit par la brigade des mineurs ou la gendarmerie, constitue le lot de certains tout-petits. Agés de quelques jours à 3 ans, ces enfants sont le plus souvent placés en pouponnière à caractère social sur décision judiciaire (1). « C’est bien sûr lié à la gravité des situations justifiant une séparation précoce, mais également à la difficulté de travailler sur l’adhésion des fa­milles », commente Muriel Dovera, directrice de la pouponnière Le Patio, à Nice. Parents très carencés ayant parfois été eux-mêmes placés, parents qui présentent des troubles psychiques avec des addictions associées et/ou qui cumulent les précarités : plus que les maltraitances physiques – même si elles existent –, ce sont surtout les négligences importantes qui sont à l’origine de la mesure de protection. « La question qui se pose d’emblée est d’évaluer les compétences parentales et de proposer un accompagnement adapté afin que l’enfant puisse se construire dans un environnement sécurisant tout en maintenant des liens avec ses parents. Cela passe par la capacité de ces derniers à accepter d’être aidés – et à ac­cepter, aussi, les frustrations liées au placement », indique Muriel Dovera. « Nous réussissons généralement, même si c’est, pour eux, très violent de voir leur tout-petit enfant accueilli dans un établissement, à avoir une bonne relation avec ces parents, alors que celle-ci est beaucoup plus difficile à établir avec ceux d’enfants plus grands, notamment d’adolescents », constate Steven Tréguer, directeur de l’Institut départemental de l’enfance et de la famille (IDEF) de l’Essonne, foyer d’accueil d’urgence qui dispose d’une pouponnière à Brétigny-sur-Orge.

LA PLACE DES PARENTS

Il n’est pas question de prendre en charge un bébé sans se préoccuper de ses parents. Ces derniers font partie intégrante du soin porté à l’enfant. Certes, il ne s’agit pas d’une idée neuve, mais elle a été réactivée par la loi du 5 mars 2007 qui insiste sur l’importance de l’implication des familles dans le dispositif de protection de l’enfance (2). « La nécessité de travailler auprès des parents maltraitants ou qui ne sont pas garants d’un bon développement de leur enfant s’est imposée à partir de 1985-1990, dans le prolongement de l’“opération pouponnières” » initiée à la fin des années 1970, précise Danielle Rapoport, psychologue clinicienne, qui a été l’une des instigatrices d’un profond renouvellement de l’accueil des tout-petits en collectivité. « C’est capital, pour un enfant, que ses parents ne soient pas uniquement rejetés, avec des horaires de visite très stricts et des rencontres dans un parloir », ajoute-t-elle. Mais si la place des parents en pouponnière est « complètement acquise depuis très longtemps », le travail avec les familles est loin d’être évident. Parents qui arrivent complètement alcoolisés ou en retard, parents qui font un scandale ou se trompent d’enfant, « il s’agit d’une population dont la pathologie relationnelle est tellement forte que s’y confronter nécessite une formation pointue et une grande mobilisation », reconnaît la spécialiste.

Pour rendre les parents davantage acteurs des « bons soins » prodigués à leur bébé et les aider à progresser dans la compréhension des besoins de ce dernier, la pouponnière de l’Ermitage, à Mulhouse, a mené une recherche-action centrée sur la santé de l’enfant. Celle-ci visait à renforcer l’investissement des parents auprès du tout-petit et à nourrir la réflexion des équipes sur la manière de soutenir cette dynamique. « La santé, préoccupation commune aux professionnels et aux familles, nous a semblé être un bon objet de coopération, car c’est une question plus facile à aborder d’emblée que celle des raisons ayant conduit à un moment donné à ce que l’enfant soit placé chez nous. Là où la stigmatisation du placement fait forcément trauma et difficulté dans la capacité d’alliance avec les familles, la dimension de la santé permet de créer un lien différent avec elles », souligne Jean-Marie Dezèque, directeur de l’établissement. En pratique, depuis 2011, les parents n’ont plus seulement été informés des visites médicales réalisées en binôme par le pédiatre et la puéricultrice tous les mois à la pouponnière, ou des consul­tations à l’extérieur. Ils reçoivent systématiquement une convocation pour ­participer à ces examens, qui sont aussi l’occasion d’un entretien autour du développement de l’enfant. Témoignant de l’intérêt de l’initiative, les parents – des mères pour l’essentiel – répondent très majoritairement présents, se réjouit Marie-Odile Sibre, adjointe de direction. L’association des parents aux consultations est désormais entrée dans les mœurs de la pouponnière.

D’après le pédiatre, cette implication maternelle a un impact positif sur la santé des enfants : ils auraient tendance à être moins souvent malades que ceux qui vivent en collectivité. Les équipes, de leur côté, constatent l’évolution du comportement de certains parents, mis en confiance et confortés dans leur place. « Certains se ressaisissent de leurs capacités parentales, demandent à s’investir auprès de leur enfant, selon leurs possibilités, et sont soutenus pour le faire », analyse la sociologue Odile Fournier, formatrice en travail social, qui a participé à la recherche-action. Quant aux effets sur les professionnels, « ils sont tout à fait notables. Il y a une transformation manifeste des représentations et des attitudes vis-à-vis des parents, qui marque le passage d’une posture où ces derniers sont des intrus dans l’espace du placement, à une nouvelle démarche qui les accueille et les considère. »

Cependant, reconnaître aux familles leur qualité de parents est un exercice délicat. Geneviève Eyrolle-Roca, chef de service de la pouponnière de l’IDEF de l’Essonne, en a fait le constat. La responsable a instauré cette année la possibilité, pour les parents, d’aller en famille choisir les vêtements de leur enfant ou emmener ce dernier se faire couper les cheveux. Ces sorties, auxquelles participe la référente du tout-petit, ont lieu dans le cadre de visites accompagnées par l’éducateur spécialisé de l’équipe, chargé de coordonner les interventions autour de l’enfant. « La présence de ce dernier n’est pas obligatoire et, personnellement, elle ne me semble pas indispensable, note Geneviève Eyrolle-Roca. Mais il fallait sécuriser certaines éducatrices de jeunes enfants ou auxiliaires de puériculture, surtout parmi les anciennes. » Celles-ci n’avaient, auparavant, aucun contact avec les parents, sauf par téléphone, et étaient souvent réticentes à les rencontrer.

Faut-il clairement dissocier les professionnelles chargées des enfants et celles qui interviennent auprès des parents ? Au Patio, qui a adopté ce principe de ­travail il y a une douzaine d’années, les auxiliaires de puériculture ayant connu l’ancien système estiment qu’il y a du pour et du contre. L’avantage, expliquent-elles, est de « ne plus prendre la défaillance parentale en pleine tête », l’inconvénient, de ne plus avoir de rapports avec les parents. Mais, « quand les auxiliaires ont l’enfant dans les bras, elles doivent être détendues et sereines, car le tout-petit a besoin d’être contenu et rassuré, plaide Muriel Dovera, directrice de l’institution. Il importe d’être très vigilant aux représentations que les référentes ont des parents en difficulté, il faut qu’elles aient un regard empathique sur la situation. On ne peut pas faire fi des parents : l’enfant doit pouvoir se construire, se structurer, avec les parents qu’il a. »

DES DISPOSITIFS TRÈS RÉFLÉCHIS

Les ordonnances de placement rappellent régulièrement la nécessité d’associer les familles à la prise en charge de l’enfant. Pour autant, l’image du « bon » professionnel et du « mauvais » parent est tenace. « Nous avons dû beaucoup travailler avec les équipes sur le non-jugement pour améliorer la place reconnue aux parents », souligne Chantal Carron, responsable de la pouponnière de l’IDEF de Bron, foyer d’accueil d’urgence du Rhône. A cet égard, un grand pas a été franchi depuis que, comme au Patio, une distinction a été faite entre les personnels s’occupant des enfants et ceux qui sont spécifiquement dédiés au soutien à la parentalité et interviennent dans le cadre des visites.

Pour accompagner la rencontre du tout-petit avec sa famille, la pouponnière met en œuvre différents dispositifs. Dans les situations de maltraitance avérée, « où on travaille bien sûr aussi avec les parents afin d’évaluer leurs compétences et voir comment ils peuvent entrer en lien avec le bébé », les retrouvailles sont très codifiées, explique Sylvie Mugnier, psychologue clinicienne auprès des enfants. Il y a d’abord un temps d’entretien des parents avec la pédopsychiatre de l’établissement, puis un temps de rencontre de l’enfant avec ses parents, qui est doublement médiatisé. Le tout-petit est en effet escorté par la psychologue qui le connaît dans son groupe de vie, cependant que la pédopsychiatre avec laquelle les parents se sont entretenus reste à leurs côtés. Grâce à ce type de consultations conjointes, un bébé est, par exemple, susceptible d’entendre son papa s’excuser de l’avoir maltraité. « On est moins dans des problèmes de déni que lorsqu’on ne peut pas parler des raisons de l’accueil de l’enfant », commente la clinicienne. Dans les situations à moins hauts risques, l’enfant et sa famille se retrouvent au sein du service « accueil et accompagnement des rencontres parents-enfants » (AARPE) de la pouponnière. Ouvert toute la journée du lundi au samedi, sauf le vendredi après-midi, il est composé d’une psychologue et de deux accueillantes – une auxiliaire de puériculture et une éducatrice de jeunes enfants –, auxquelles peuvent s’ajouter des travailleurs sociaux du conseil général amenés à médiatiser certaines entrevues. Le service dispose de six salles destinées à recevoir les familles selon un planning bien défini, car les visites sont toujours soutenues par un membre de l’équipe de l’AARPE dont le niveau d’intervention est variable. Dans cet espace réservé aux familles, « il s’agit d’accueillir l’enfant et son parent dans une posture de bienveillance, de disponibilité et de convivialité, et en particulier d’accueillir le parent “là où il en est avec ce qu’il est”, sans l’infantiliser ni se laisser envahir par des préjugés ou des a priori à son encontre », développe Chantal Carron.

Certains enfants verront uniquement leurs parents lors de droits de visite dans les murs de la pouponnière, avant une orientation en placement familial. Mais certaines situations plus positives – environ 20 % des accueils – permettent d’envisager un retour à domicile. « Pour les enfants restés longtemps chez nous, où un travail important a été fait par notre équipe d’accompagnement de la parentalité, nous pouvons être amenés à intervenir extra-muros, conjointement aux services de l’aide sociale à l’enfance, précise la responsable de la pouponnière. Ce qui est souvent difficile avec des parents en grande précarité, c’est de les apprivoiser. Le fait que, dans les premiers temps, des professionnelles de l’AARPE continuent à les étayer peut les sécuriser et les aider à nouer des relations avec les nouveaux intervenants. »

PERMETTRE LA TRANSITION

Eviter les sorties « sèches » lors de retours en famille est aussi le souci de la pouponnière de l’Ermitage (Mulhouse). A cet effet, l’institution s’est dotée de deux outils : un accueil de jour, créé en 2011, qui est assorti de temps d’observation de l’enfant dans son milieu familial par le biais de visites à domicile, et un centre parental, ouvert l’année suivante, équipé de deux appartements où des familles peuvent habiter avec leurs enfants, à l’issue du placement, tout en continuant à bénéficier du soutien de l’équipe de l’établissement. Au fil de neuf mois d’hébergement, un couple qui n’avait pas de logement décent a pu refaire famille – et refaire surface – après que ses deux jeunes enfants ont séjourné un an et demi à la pouponnière.

Le Patio a également diversifié ses modes de prise en charge depuis 2007 pour aménager des sas de transition après une prise en charge en internat. Parmi les nouveaux services mis en place, une formule pionnière d’accueil séquentiel, consécutif à un placement à temps plein (3). « Quand la situation a évolué favorablement et que tout se déroule bien pour l’enfant lorsqu’il est chez ses parents, on peut envisager que ce dernier soit deux jours à la pouponnière, puis deux ou trois jours en famille, et de nouveau au Patio. Les modalités de ces séquences sont réfléchies en équipe selon l’âge de l’enfant, sachant qu’il y a toujours une grande progressivité », explique Muriel Dovera.

Mais, loin de tous revenir à domicile, les tout-petits sont souvent orientés en famille d’accueil. Il ne s’agit pas de verser dans l’angélisme : les parents ne sont pas toujours en mesure d’œuvrer au bon développement de leurs enfants. Cela ne veut pas dire qu’ils soient incapables d’avoir des relations de qualité avec les intéressés. « Parfois, ce n’est pas le retour le plus important, c’est ce qui a pu être établi entre le parent et son enfant. Il peut y avoir de vrais échanges, des choses intéressantes qui se passent entre eux, même s’ils ne se voient qu’une heure par semaine », souligne Sylvie Mugnier, psychologue à l’Institut départemental de l’enfance et de la famille de Bron. Par exemple, avec des mères adolescentes dont le bébé est placé à la pouponnière, « on va travailler sur leur place de maman et on s’aperçoit que, dans cette place de mère à temps partiel – qui mène sa vie d’adolescente par ailleurs –, on arrive à établir des liens extraordinaires ». Un enfant vient ainsi de quitter l’IDEF du Rhône pour partir en famille d’accueil : dans les temps où la mère a rencontré son bébé à la pouponnière, elle a pu créer un véritable lien d’attachement, alors que lorsqu’ils étaient ensemble 24 heures sur 24, elle n’y arrivait pas. « Aujourd’hui, résume Muriel Dovera, on s’adapte complètement à la problématique de la famille, à ses difficultés, à sa pathologie. » Un travail dans la dentelle, au cas par cas.

Près de 2 000 berceaux

→ Les pouponnières à caractère social ont pour objet de garder jour et nuit les enfants de moins de 3 ans révolus qui ne peuvent ni rester au sein de leur famille, ni bénéficier d’un placement familial surveillé, et dont l’état de santé ne nécessite pas de soins médicaux particuliers. Il existe parallèlement des pouponnières à caractère sanitaire qui reçoivent les 0-3 ans dont l’état exige des soins que leur famille ne peut leur donner.

→ Il existait 82 pouponnières à caractère social au 15 décembre 2008 – dernières statistiques disponibles (4). 52 sont rattachées à un foyer départemental de l’enfance assurant une mission d’accueil d’urgence, dont elles constituent une section ; 30 sont des établissements de placement publics ou associatifs, qui ne sont pas spécialisés dans l’accueil d’urgence.

→ La capacité totale était de 1 716 places en 2008 : 964 en foyers de l’enfance, 752 dans les autres établissements sociaux.

→ 1 474 tout-petits étaient effectivement présents le 15 décembre 2008 dans l’ensemble de ces structures d’accueil.

→ Les foyers départementaux de l’enfance, qui sont avant tout chargés d’observer et d’évaluer les situations, ont généralement des durées moyennes d’accueil inférieures à celles des pouponnières « classiques » – moins de 6 moins contre 1 à 2 ans. Dans les deux cas, néanmoins, des séjours peuvent perdurer en raison du manque de familles d’accueil à qui confier les enfants orientés en placement familial.

Ne pas confondre géniteurs et parents

Pour le psychothérapeute Pierre Lassus, directeur général honoraire de l’Union française pour le sauvetage de l’enfance, les enseignements de la clinique sont formels : le devenir d’un enfant dépend pour l’essentiel de la qualité de la fonction parentale dont il aura bénéficié à l’aube de sa vie – « probablement avant 1 an, et sans doute bien avant », souligne-t-il dans un ouvrage (5).

Idéalement, cette fonction parentale est remplie par les géniteurs, mais ces derniers ne sont pas tous en mesure de l’exercer. A cet égard, il est essentiel de distinguer deux types de maltraitances, pouvant prendre des formes multiples – et parfois semblables –, mais de nature radicalement différente, fait-il observer. Les unes correspondent à une parentalité insuffisante et inadéquate, de gravité variable, qu’il est possible et important de soutenir, les autres à des situations hautement pathogènes de systèmes familiaux destructeurs, avec lesquels il faut impérativement rompre. Dans l’un et l’autre cas, les atteintes subies par l’enfant peuvent être d’un niveau équivalent, tout comme doit l’être la protection à lui assurer. Mais l’abord du lien avec les parents ne peut pas être identique. Il y a d’un côté des parents foncièrement incapables et donc ipso facto dangereux, mais qui se vivent comme des parents, et de l’autre, des géniteurs qui, pour des raisons diverses, ne se sont pas investis comme parents – ou ne peuvent plus être qualifiés de tels en raison des actes qu’ils ont commis sur leurs enfants. Médecins, magistrats, travailleurs sociaux, enseignants, « toutes les personnes qui sont amenées à s’occuper d’enfants, surtout d’enfants en difficulté, devraient avoir une formation poussée sur ce qui se joue dans les relations qu’un enfant met en place avec son entourage, et notamment son entourage familial, ce qu’il y a de constructif et ce qui détruit », insiste le psychothérapeute.

Notes

(1) Les enfants abandonnés à leur naissance, que leur filiation soit connue ou non, peuvent également être admis en pouponnière avant de bénéficier d’une procédure d’adoption.

(2) Cf. Famille, parenté, parentalité et protection de l’enfance. Quelle parentalité partagée dans le placement ? – Dossier thématique publié en septembre par l’Observatoire national de l’enfance en danger et disponible sur www.oned.gouv.fr.

(3) Cette formule d’accueil séquentiel est également susceptible d’être mise en œuvre d’emblée, à la place d’un accueil permanent, quand les parents peuvent assumer une partie de leurs fonctions.

(4) Voir « Les établissements et services en faveur des enfants et adolescents en difficulté sociale. Activité, personnel et clientèle au 15 décembre 2008 » – Etude de Thierry Mainaud – DREES – Document de travail, série statistiques n° 173 – Septembre 2012.

(5) Bienfaits et méfaits de la parentalité – Ed. Dunod, 2013.

Décryptage

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur