Les droits des personnes handicapées sont-ils en recul ? C’est la conclusion d’un rapport réalisé par le Comité interassociatif handicaps (CIAH) 31 (Haute-Garonne) qui analyse l’évolution des taux d’accord et de refus de prestations issus des décisions de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) du département (1). « Il s’agissait de rendre objectif le sentiment d’un durcissement des droits accordés par les commissions depuis quelques années », explique Odile Maurin, représentante départementale de l’Association des paralysés de France (APF) Haute-Garonne. Avec Tristan Salord, doctorant en sociologie et spécialiste des politiques publiques de la perte d’autonomie, elle a épluché 70 % des décisions rendues entre 2007 et 2012 par la CDAPH aux personnes handicapées adultes. Un travail de fourmi qui a conduit les auteurs à conforter statistiquement le ressenti des acteurs de terrain.
Ainsi, le taux d’accord pour l’allocation aux adultes handicapés (AAH) a baissé de sept points entre 2007 et 2013, passant de 75 % à 68 % (2). En cas de première demande, ce taux passe de 53 % en 2011 à 44 % en 2013. Le taux de renouvellement de l’allocation diminue aussi légèrement : alors que celle-ci était renouvelée dans tous les cas en 2011, elle ne l’est plus que dans 95 % des situations en 2013. Parmi les hypothèses pouvant expliquer ce durcissement, les auteurs rappellent que l’AAH a connu plusieurs évolutions législatives et réglementaires qui « ont impacté l’accès à cette prestation dans une perspective beaucoup plus restrictive ». En particulier le décret du 16 août 2011 relatif à l’attribution de l’AAH aux personnes dont le taux d’incapacité est inférieur à 80 % et qui subissent une restriction substantielle et durable d’accès à l’emploi (3).
Pour la prestation de compensation du handicap (PCH), le taux d’accord a fortement chuté, passant de 80 % en 2008 à 55 % en 2011. La tendance s’est confirmée en 2012, avec un taux de 47 % (4). Pour Tristan Salord, le durcissement de l’accès à la PCH peut s’expliquer par « un rééquilibrage des pratiques entre 2008 et 2012 qui ne s’est pas fait en faveur des personnes handicapées ». Autre hypothèse : l’état des finances départementales qui, même si la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) gère son budget de façon autonome, pèserait dans les décisions. Au final, si « l’hypothèse d’un recul des droits semble bien avérée […], seule une enquête qualitative rigoureuse et l’exploration plus poussée permettrait […] de l’avaliser en toute rigueur », pointent les auteurs. Ils formulent plusieurs propositions pour améliorer le recueil d’information statistique d’évolution de l’accès aux droits des personnes handicapées.
« L’étude mériterait d’être plus globale, de regarder tout le processus d’octroi des aides », relève de son côté Malika Boubekeur, conseillère nationale « compensation » à l’APF, qui confirme néanmoins qu’un recul des droits des personnes handicapées est en marche sur le territoire national. Selon elle, différents éléments permettent de l’expliquer : manque de professionnels dans les MDPH, précarité du personnel, budget contraint, interprétation différente des critères d’éligibilité aux prestations selon les départements, impact de la réforme de l’AAH… « Nous ne voulons pas tirer sur l’ambulance ! Nous tenons à conserver les MDPH et comptons sur la loi “Paul Blanc” [5] pour améliorer leur fonctionnement », précise toutefois Malika Boubekeur. L’Assemblée des départements de France (ADF) milite en effet pour la création des maisons de l’autonomie dans lesquelles seraient intégrées les MDPH. Or l’Association des paralysés de France refuse de voir ces dernières avalées par un service départemental qui ferait perdre à ces structures leur statut de groupement d’intérêt public, et l’indépendance qui l’accompagne (6).
Igor Dupin, président de l’Association des directeurs de MDPH est, pour sa part, très réservé sur les conclusions du rapport du CIAH, qui ne propose « pas de vraie démonstration de la thèse exposée ». Cette analyse ne tient pas compte de la façon dont les personnes sont accompagnées pour constituer leur dossier de demande d’aide, déplore-t-il. « Le taux d’accord est forcément plus important lorsqu’elles sont accompagnées dès le début dans la constitution de leur dossier. Lorsque l’accompagnement est moindre, les dossiers sont moins bien renseignés et le taux d’octroi est plus faible. » En outre, selon lui, le sentiment de restriction, notamment sur l’octroi d’aides humaines dans le cadre de la PCH, peut s’expliquer par l’évolution des techniques d’évaluation qui ont permis d’affiner les plans d’aide. « Entre 2006 et 2008, il n’existait pas encore de référentiels précis pour évaluer les besoins de la personne. Par défaut, on a pris la fourchette haute et les plans d’aide ont parfois été largement pourvus en nombre d’heures. Aujourd’hui, les outils sont plus précis. Cela peut expliquer la baisse des aides humaines lors des renouvellements. Ces outils doivent aussi permettre de diminuer les écarts entre les départements [7]. » Car si la tendance est à la baisse des prestations, il faut d’abord mettre fin à ces disparités territoriales, conviennent l’ensemble des acteurs interrogés. Le gouvernement doit lancer, dans le cadre des travaux de modernisation de l’action publique, une évaluation de la politique publique de pilotage de l’AAH visant à réduire les disparités territoriales en matière d’attribution de cette allocation (8).
(1) Rapport disponible sur
(2) D’après une récente étude de la DREES, la Haute-Garonne fait partie des départements comptant un faible nombre de titulaires de l’AAH (moins de 26 pour 1 000 habitants) – Voir ASH n° 2840 du 3-01-14, p. 43.
(3) Voir ASH n° 2752 du 23-03-12, p. 45.
(4) Dans la synthèse des rapports d’activité 2011 des MDPH, la CNSA confirme cette évolution sur toute la France : 51,9 % des demandes de PCH ont ainsi abouti à un accord en 2011 contre 56,7 % en 2010 – Voir ASH n° 2798 du 22-02-13, p. 11.
(5) Voir ASH n° 2722 du 2-09-11, p. 45.
(6) L’APF n’a d’ailleurs pas signé la déclaration de l’ADF demandant au gouvernement d’étudier la transformation des MDPH en MDA – Voir ASH n° 2825 du 20-09-13, p. 22.
(7) Selon un rapport de la direction de la compensation de la CNSA, en 2012, les taux d’accord de PCH varient entre 31 % et 83 % selon les départements du fait des pratiques départementales différentes. Concernant l’AAH, l’étude de la DREES citée en note (2) montre que les disparités d’attribution de l’AAH sont essentiellement liées au contexte socio-démographique des territoires mais que la réduction des écarts constatés entre 2008 et 2012 résulte de l’harmonisation des pratiques.
(8) Voir ASH n° 2829 du 18-10-13, p. 48.