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Laïcité : une « étude » du Conseil d’Etat précise la règle du jeu dans les services publics

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« Il est urgent de préciser la “règle du jeu” car l’incertitude est l’ennemie du droit. » C’est en ces termes que le défenseur des droits avait interpellé le Conseil d’Etat en septembre dernier, afin de lui demander des éclaircissements sur plusieurs questions relatives à l’application de la neutralité religieuse dans les services publics. La Haute Juridiction lui a répondu dans une « étude » de 35 pages, adoptée par son assemblée générale le 19 décembre (1). Une étude qu’elle qualifie elle-même de « purement descriptive » et « qui n’a par conséquent pour objet ni de dresser un panorama de la laïcité, ni de proposer des évolutions, quelles qu’elles soient, mais de dresser un constat du droit en vigueur ».

C’était la première fois que Dominique Baudis faisait usage de cette prérogative de demander au Conseil d’Etat de procéder à une étude. Saluant la « célérité » avec laquelle la Haute Juridiction a conduit ses travaux, il a estimé, le 23 décembre dans un communiqué, que ces conclusions « seront précieuses pour apporter des réponses aux réclamants ».

La frontière entre mission de service public et mission d’intérêt général

Dans son étude, le Conseil d’Etat commence par rappeler que la liberté des convictions religieuses doit être conciliée, dans les services publics, « avec les exigences particulières découlant des principes de laïcité de l’Etat et de neutralité des services publics ». La Haute Juridiction s’arrête ensuite sur la notion même de service public. C’était une des « zones grises » pointées par Dominique Baudis, apparues à la suite des deux arrêts rendus en mars dernier par la Cour de cassation (2). Deux arrêts fondés sur la distinction entre les structures privées exerçant une mission de service public – par exemple une caisse primaire d’assurance maladie– , soumises au principe de neutralité, et les structures poursuivant une mission d’intérêt général – par exemple une crèche privée telle que celle de l’affaire dite « Baby-loup » (3) –, qui sont dispensées de ce principe de neutralité. Où se situe la frontière entre mission de service public et mission d’intérêt général ?

Réponse de la Haute Juridiction : « une mission de service public se distingue d’une mission d’intérêt général par le fait qu’elle est, soit assurée directement par une personne publique (Etat, collectivité territoriale, établissement public), soit lorsqu’elle est exercée par une personne privée, organisée et contrôlée par la personne publique qui la lui a confiée ». Autrement dit, au-delà du but d’intérêt général poursuivi, tout dépend, pour les personnes privées, du rattachement de l’activité à une personne publique. Ainsi, selon qu’elles sont ou non prises en charge par une personne publique, des activités d’intérêt général « sont un service public ici, mais ne le sont pas nécessairement là ».

L’importance de la nature du contrôle exercé par la personne publique

Le Conseil d’Etat insiste, du reste, sur cette notion de rattachement à la personne publique. En effet, une activité d’intérêt général conduite par une personne privée n’est pas soumise aux règles et principes du service public « lorsqu’elle est uniquement subventionnée et réglementée ». Il faut pouvoir constater que la personne publique « assume » véritablement l’activité, « c’est-à-dire dispose, grâce aux pouvoirs de contrôle qui sont les siens sur celle-ci, des moyens de définir les objectifs poursuivis, de préciser le contenu des prestations offertes, de vérifier la façon dont l’organisme privé assume la satisfaction des besoins ainsi identifiés et d’adapter l’activité en conséquence ». Ainsi, tel n’est pas le cas d’un contrôle administratif prenant la forme d’un régime d’autorisation ou de déclaration. De nombreuses professions, qui satisfont des besoins d’intérêt général, font l’objet aujourd’hui de telles réglementations sans pour autant que les intéressés exercent des missions de service public, indique l’étude. C’est le cas notamment des structures d’accueil de jeunes enfants, pour lesquelles le caractère de service public ne peut être déduit du simple fait qu’elles sont soumises à un régime d’autorisation. Ce qui compte, c’est la nature du contrôle exercé par la personne publique sur l’activité. « Dans un ordre d’idée voisin, si l’action sociale et médico-sociale comporte de nombreuses missions d’intérêt général et d’utilité sociale […], l’accomplissement de ces missions par des établissements privés ne fait pas […] de ceux-ci », de ce seul fait, des gestionnaires d’un service public.

Pour les mêmes raisons, l’attribution d’une subvention à un organisme au titre d’une activité d’intérêt général, même lorsqu’elle fait l’objet d’une convention précisant les modalités selon lesquelles cet organisme s’engage à exercer son activité, ne peut pas, en elle-même, être regardée comme une dévotion de service public.

Il reste que, pour une mission d’intérêt général qui n’est pas un service public, des restrictions à la liberté de manifester des opinions ou croyances religieuses peuvent toujours être édictées, comme le droit du travail le prévoit, à la condition qu’elles soient « justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché ».

Des restrictions possibles à la liberté des « tiers » au service public

Le Conseil d’Etat a également abordé, au-delà, la question de la portée de l’exigence de neutralité religieuse dans les services publics. Cette exigence, indique-t-il, interdit aux agents des personnes publiques et aux employés des personnes morales de droit privé auxquelles a été confiée la gestion d’un service public de manifester leurs convictions dans l’exercice de leurs fonctions. Cette interdiction doit toutefois être conciliée avec le principe de proportionnalité au regard duquel la Cour européenne des droits de l’Homme apprécie les restrictions portées à la libre manifestation des convictions religieuses.

Quid des autres acteurs du service public, en particulier de ces « autres personnes qui sont parfois amenées à collaborer ou à participer à ce service » et pour lesquelles « il n’existe pas de véritable catégorie juridique » ? Ces « tiers », comme les usagers du service, ne sont pas soumis en tant que tels à l’exigence de neutralité, indique le Conseil d’Etat. Toutefois, une obligation de neutralité religieuse ou des restrictions à la liberté de manifestation des opinions religieuses peuvent résulter soit de textes particuliers (c’est le cas par exemple pour les visiteurs de prison ou les jurés de cour d’assises), soit de considérations liées à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service. C’est ainsi que « les exigences liées au bon fonctionnement du service public de l’éducation peuvent conduire l’autorité compétente, s’agissant des parents d’élèves qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, à recommander de s’abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses ». Dans un communiqué du 23 décembre, le ministère de l’Education nationale a réagi sur ce point particulier de l’étude, pour enfoncer le clou et souligner que la circulaire du 27 mars 2012, qui demande aux parents d’élèves accompagnant les sorties scolaires de faire preuve de neutralité dans l’expression de leurs convictions, « reste valable ». « Le milieu scolaire est un cadre qui doit être particulièrement préservé », indiquent les services de Vincent Peillon.

Notes

(1) Etude disponible sur www.defenseurdesdroits.fr.

(2) Voir ASH n° 2802 du 22-03-13, p. 36 et n° 2803 du 29-03-13, p. 11.

(3) Sur les suites de l’affaire Baby-loup, voir ASH n° 2835 du 29-11-13, p. 40 et n° 2836 du 6-12-13, p. 18.

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