Il y a toujours eu de l’exclusion. Mais les besoins se sont tellement massifiés qu’on a peut-être eu tendance à perdre de vue les populations les plus complexes, qui étaient prises en charge avec plus de facilité il y a une trentaine d’années. Le concept de « surexclusion » est apparu avec les appels à projets, notamment des agences régionales de santé [ARS], et leur spécialisation sur des catégories de publics : femmes-mères toxicomanes, sortants de prison, etc. Nous sommes arrivés à un point où vouloir dépasser la simple mise à l’abri d’une personne à la rue suppose de composer avec des dispositifs de plus en plus étanches. Cette logique est à bout de souffle.
Il faut reconnaître que les associations ont contribué autant que les pouvoirs publics à créer des dispositifs dans les dispositifs, parfois pour la survie, parfois aussi par réflexe corporatiste. Mais avec la crise, l’explosion des demandes d’hébergement d’urgence a abouti à un paradoxe. A Paris, sur un budget de 170 millions d’euros, le SAMU social dépense 130 millions en chambres d’hôtel, attribuées pour la plupart à des publics qui, s’ils connaissent des problèmes sociaux ou d’émigration, ne sont pas forcément en situation d’exclusion. Les acteurs, y compris les décideurs politiques, sont tellement débordés par ce sentiment de puits sans fond que cela monopolise le débat et empêche de réfléchir à des réponses globales. Ainsi, nous venons seulement d’obtenir des moyens pour l’accompagnement des personnes placées dans les hôtels au titre de l’urgence. Quelle bonne nouvelle ! Peut-être ne va-t-on plus voir de familles hébergées depuis des années à l’hôtel sans qu’on ne leur demande rien.
Il faut tout remettre à plat. Sauf qu’on ne va pas créer du logement par miracle. Il faut donc s’adapter à la situation et inventer des solutions innovantes. L’intermédiation locative en est une, mais en garantissant mieux les bailleurs et en les impliquant dans la gestion de ces dispositifs. Cela coûte nettement moins cher que l’hôtel. Il faut aussi décloisonner les dispositifs, ce qui veut dire apprendre à travailler autrement, notamment en respectant le rythme des personnes exclues et non en les pliant aux exigences de nos institutions.
Sur la question de la mutualisation des moyens, un grand pas a été fait avec les services intégrés d’accueil et d’orientation. Dans beaucoup d’endroits, les acteurs ont monté des regroupements. C’est une révolution dans notre secteur. Cela correspond aussi à une réponse politique des associations qui ont préféré s’accorder entre elles plutôt que se laisser imposer un pilote. Après, il nous faut peut-être impliquer plus fortement nos structures dans la citoyenneté locale, par exemple dans les conseils de quartier. Si nous ne travaillons pas davantage avec les habitants et les bénévoles, nous n’y arriverons pas.
Il faut les convaincre de revenir sur la répartition des compétences entre ARS et directions régionales de la cohésion sociale, qui cloisonne les réponses. A minima, reconnaissons au gestionnaire en bout de chaîne la possibilité d’assurer une fongibilité entre ses budgets. Les départements, quant à eux, se disent prêts à assumer la veille sociale, mais en contrepartie d’engagements clairs de l’Etat pour être certains de pouvoir pérenniser les actions.