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Dans le Val-d’Oise, la fondation La Vie au grand air a ouvert deux accueils de jour pour les enfants de 2 à 12 ans en situation de danger potentiel. Couplés à des établissements d’hébergement, ils constituent un dispositif de prévention souple et rassurant.

Dans le saladier en verre, la pâte à gaufres fait des grumeaux. Stéphanie Navarro a beau tourner, mélanger, rien à faire : la farine s’est agglomérée en paquets, et l’heure du déjeuner approche. « Tant pis, les gaufres, ce sera pour le goûter », décide la monitrice-éducatrice. Dans la cuisine, la maîtresse de maison achève de préparer le repas. Agés chacun d’une dizaine d’années, Maxime et Agnès (1) sont chargés de dresser le couvert dans la pièce à vivre de l’accueil de jour, pour le repas entre éducatrices et enfants accueillis. Au programme de l’après-midi : fabrication de décorations de Noël et goûter gaufres, donc. A première vue, un peu comme dans un centre de loisirs… « C’est vrai qu’au début j’ai été moi-même un peu désarçonnée, reconnaît en souriant Lydia Ferreira, éducatrice spécialisée. Mais ici, rien n’est jamais fait au hasard. Toutes ces activités sont avant tout des activités de médiation. » Car sous ses airs de garderie, l’accueil de jour Camille-Claudel (2), géré à Pontoise (Val-d’Oise) par la fondation La Vie au grand air, est bien un dispositif de protection de l’enfance.

LIER LA STRUCTURE D’ACCUEIL À UNE MECS

Cette fondation dispose de deux accueils de jour dans le département. Le premier, celui des Eguerets, ouvert en novembre 2008, se trouve à Jouy-le-Moutier, une commune de la ville nouvelle de Cergy-Pontoise. Il offre 12 places pour des enfants de 2 à 12 ans vivant en famille mais pour lesquels les travailleurs sociaux estiment qu’il existe un risque de danger. Les enfants y sont accueillis après l’école, en soirées, les mercredis, les week-ends et pendant les vacances. « Le but est de préserver la dynamique familiale, les repères habituels de l’enfant (école, club de sport, etc.), tout en ponctuant sa vie quotidienne par la fréquentation de ce service », précise le livret des accueils de jour. La création de la structure des Eguerets relève d’une volonté du conseil général, séduit par un dispositif analogue de la fondation à Dreux (Eure-et-Loir) : un accueil de jour couplé à une petite maison d’enfants à caractère social (MECS). En février 2009, la fondation a donc ouvert à un jet de pierre des Eguerets une MECS de dix places, La Presté. Sans être réservée aux enfants fréquentant l’accueil de jour, celle-ci offre la possibilité d’une mise à l’abri temporaire lors d’une crise familiale, de l’absence du ou des parents, ou pour l’évaluation du développement de l’enfant et de l’impact de la situation familiale sur son évolution.

En cohérence avec les objectifs fixés par la loi de réforme de la protection de l’enfance (renforcement de la prévention et diversification des modes de prise en charge), le dispositif des accueils de proximité rejoint en outre une préoccupation plus locale : un meilleur repérage des situations à risques et une intervention plus précoce auprès des enfants de 2 à 10 ans, minoritaires dans les mesures d’assistance éducative à domicile (AED). Courant 2009, le comité régional de l’organisation sociale et médico-sociale (CROSMS) valide le projet de création d’un deuxième accueil de proximité, également confié à La Vie au grand air. En mai 2011, la Maison Rodin, un hébergement de 12 places, ouvre ses portes dans le centre-ville de Pontoise. Enfin, en mars 2012, c’est l’accueil de jour Camille-Claudel, également de 12?places, qui s’installe dans une maison bourgeoise située juste en face de la MECS.

L’orientation en accueil de jour est préconisée par les travailleurs sociaux en contact avec la famille : le plus souvent ceux de la protection maternelle et infantile ou du service social départemental, plus rarement ceux du service social scolaire. Parfois, l’accueil de jour est évoqué comme possibilité d’accompagnement lors d’une réunion de la commission locale d’évaluation des situations. Ses préconisations sont ensuite validées par la cellule départementale de recueil de traitement et d’évaluation, qui transmet les rapports sociaux aux chefs de service territoriaux. La prise en charge en accueil de jour relève d’une mesure administrative (3). Le profil des familles accompagnées s’apparente à celui des bénéficiaires de mesures d’AED, souligne Dominique Patron, chef de service territorial de l’aide sociale à l’enfance (ASE) pour le secteur de Cergy-Pontoise-Vexin : « Plutôt des parents démunis dans leurs réponses éducatives, fragilisés par leur situation sociale (isolement familial, hébergement chaotique) ou des problématiques de santé, et qui n’ont plus assez d’énergie pour se mobiliser sur tous les fronts », décrit-elle. A cette différence – essentielle – près que « l’accompagnement démarre bien plus en amont des difficultés ». La souplesse du dispositif permet aussi de répondre à des situations plus conjoncturelles, comme l’accompagnement de ce père après le décès de son épouse. « Le père et la tante étaient anéantis, ne sachant comment aborder les choses, raconte Aline Dauwe, éducatrice spécialisée aux Eguerets. Il a fallu soulager le père mais aussi étayer la tante, qui a accueilli les deux petits. »

UNE PROCÉDURE MOINS LOURDE QUE L’AED

Très souvent, les parents ont eux-mêmes subi « des images familiales qui laissent des empreintes », ajoute Sylvine Boucher, diplômée en sciences de l’éducation et faisant fonction d’éducatrice à Jouy-le-Moutier : éducation excessivement rigoureuse, maltraitances, placements… L’orientation vers un service de l’ASE fait alors surgir le spectre angoissant du placement. Afin d’assurer l’adhésion des deux parents – indispensable pour engager une mesure fondée sur la réassurance parentale et la coéducation –, le conseil général a donc misé sur une procédure d’admission moins solennelle que la signature d’un contrat d’AED. Après une première « rencontre de présentation » dans les locaux de l’accueil de jour, un simple courrier vient confirmer l’intervention du service, complété par un document de prise en charge fixant les modalités de l’accueil.

Ce jour-là, six enfants sont attendus à Camille-Claudel. A l’heure du déjeuner, Christopher rejoint Maxime et Agnès, accueillis depuis le matin. Le regard dans le vague, il s’attable à côté de son édu­catrice référente. « J’ai pas faim », marmonne-t-il en repoussant l’assiette de poisson et de légumes que lui tend la maîtresse de maison de l’hébergement Rodin, présente à l’accueil de jour le mercredi midi. Lydia Ferreira fronce les sourcils. « Tu n’as pas faim ou tu n’es pas prêt ? Va faire un tour dans l’autre pièce si tu veux, et reviens quand tu seras prêt. » Mais le garçon reste immobile et mutique. Maxime, lui, chipote et se balance sur sa chaise. « Quand est-ce qu’on mangera la paella ? », réclame-t-il. Ici, les menus sont composés avec les enfants – une occasion d’introduire des règles d’équilibre et de diététique –, et voilà déjà plusieurs semaines que le préadolescent a suggéré ce plat. « Tu as signé un petit contrat à ce sujet, tu te souviens ? lui rappelle Sté­phanie Navarro. C’est noté pour la paella, mais il faut que tu t’impliques davantage dans le repas. »

L’OBSERVATION AFFINÉE DU CONTEXTE FAMILIAL

La question du positionnement des adultes arrive en bonne place dans les difficultés éducatives éprouvées par les familles : enfants parentalisés, absence de règles… A l’accueil de jour, les professionnels n’ont de cesse de maintenir un cadre stable, quels que soient les efforts des enfants pour l’ébranler. « Dans le fonctionnement quotidien, rappelle Aline Dauwe, il est très important que la règle soit la même pour tous et qu’ils obtiennent la même réponse de la part de tous les adultes. Il ne doit pas y avoir de petit écart. » Avant que Sylvine Boucher complète : « Au début de la mesure, les enfants s’appliquent généralement à secouer le cadre dans tous les sens. Quand ils voient qu’on tient bon, cela s’apaise. Du coup, chaque pic d’agi­tation doit nous alerter et être abordé avec les parents. »

Au sein de ce cadre sécurisant, l’accompagnement éducatif se nourrit d’abord de l’observation que permet la relation quasi quotidienne avec les enfants et les parents – auxquels il est demandé d’effectuer au moins l’un des trajets, à l’aller ou au retour du service. « En AED, la disponibilité des professionnels est beaucoup moins importante : les rencontres n’ont lieu en moyenne que tous les quinze jours. Qu’il s’agisse de la relation de l’enfant à ses parents, à sa fratrie ou à ses pairs, l’accueil de jour agit comme un formidable révélateur », souligne Dominique Patron, de l’ASE. « Il faut rester en alerte sur tous les petits indices, insiste Sophie Luong, chef de service des accueils de jour. Même sans entrer au domicile, par exemple, le retour d’un enfant dans sa famille constitue un moment informel assez riche. » Comme cette famille pour laquelle une double mesure d’assistance éducative à domicile-accueil de jour a été mise en place. Alors que les enfants ne montraient rien de particulier dans le service, ils se métamorphosaient chaque soir au contact d’un parent toujours excédé, ne manifestant aucun intérêt pour le récit de leur journée. « Rien qu’en restant sur le palier, les professionnels des accueils de jour pouvaient percevoir tout ce qu’il y avait d’inadapté, explique Dominique Patron. En confirmant nos inquiétudes, ces observations nous ont permis de gagner du temps. »

Parfois, à l’inverse, l’accompagnement quotidien renverse la perception d’une situation. « Pendant un an, nous avons accompagné une dame qui vivait en CHRS [centre d’hébergement et de réinsertion sociale], se souvient Sophie Luong. Elle cumulait les petits boulots et passait assez peu de temps avec sa fille. Les collègues de ce centre s’inquiétaient beaucoup de la qualité de leur relation. Avec le temps, on s’est aperçu qu’au fond, la fillette ne souffrait d’aucune carence éducative ou affective et que le cadre mis en place par la mère était tout à fait solide et sécurisant, en dépit de ses conditions de vie. »

Présente à temps partiel sur les deux structures, Diane Languedoc Hugot, psychologue, apporte un regard complémentaire. « J’accueille la parole de l’enfant et de chacun, situe et assouplis parfois la manière dont elle circule. Je partage un goûter, continue à tisser les liens sur des temps informels de réflexion, résume-t-elle. Lors de moments de crise, je peux proposer un entretien de soutien, ajuster le cadre en diversifiant les approches favorisant la construction subjective : une promenade, une sortie. Ce sont des enfants : j’adapte les outils psychologiques, j’élargis les lieux d’écoute clinique et par là-même le champ des possibles thérapeutiques. »

Travailler avec les parents : tel est le deuxième ressort de l’accompagnement mis en œuvre par les équipes des accueils de jour. La relation se tisse d’abord au quotidien, à partir des difficultés concrètes vécues tous les jours dans les familles. Autorité, devoirs, places respectives… « Nous travaillons d’abord sur le vécu des personnes, ce qu’elles présentent de leur fonctionnement, expose Sophie Luong. Nous partons de leur grille de lecture, puis nous apportons notre paire de lunettes pour les aider petit à petit à se repositionner. » En évitant surtout de leur amener une solution toute faite. « Il s’agit d’étayer les parents dans leur recherche et de les renforcer dans leurs capacités parentales, résume Aline Dauwe, des Eguerets. La relation est parfois devenue si conflictuelle qu’ils ont perdu toute capacité à réfléchir. Leur enfant est méchant, point. A nous de les faire changer de regard. » L’éducatrice se souvient ainsi d’un garçonnet de 5 ans très brutal avec sa mère. « Peu à peu, nous avons fini par décrypter son comportement : la mère souffrait d’une grave maladie et s’effondrait littéralement quand elle rentrait chez elle. Ce relâchement induisait chez l’enfant une profonde angoisse de perdre sa mère : s’il la secouait, lui rentrait dedans, c’était pour vérifier qu’elle était toujours là, et bien vivante. »

Ce travail en profondeur avec les familles repose aussi sur des temps plus formels. Le samedi, en particulier, est consacré à des ateliers familiaux. A tour de rôle, chaque éducatrice référente passe la journée avec une famille, à laquelle elle propose sorties ou activités. « Il peut s’agir d’effectuer ensemble des démarches administratives, ou de se rendre au supermarché pour apprendre à manger équilibré tout en respectant son budget », détaille Aline Dauwe. D’autres fois, il s’agira simplement – du moins en apparence – de conduire les enfants au parc ou de partager un temps de jeu dans une ludothèque. « On cherche toujours à proposer des activités que les familles peuvent reproduire sans nous, même si, au départ, elles ont besoin d’une impulsion », précise Lydia Ferreira, sa collègue de Pontoise. Cette journée passée en commun offre un formidable support d’observation. « Les gens parviennent à donner le change sur une ou deux heures, mais ensuite, si l’on sait se faire oublier, on s’aperçoit de beaucoup de choses », confirme Aline Dauwe.

EN CAS DE CRISE, UN ACCUEIL MODULABLE

Parents exerçant une surveillance insuffisante ou limitant leur attention aux besoins primaires (faim, soif…), sans manifestation affective, en difficulté avec la notion de jeu, se plaçant en position d’enfants vis-à-vis des éducatrices… Autant de clés de décryptage des situations, évoquées lors des entretiens familiaux, qui constituent le « nœud » de l’accompagnement. Ils se déroulent au minimum une fois par mois. Parents et enfants y sont reçus ensemble et/ou séparément par l’éducatrice référente et la psychologue du service, avec éventuellement un cadre. Les observations des professionnels comme les difficultés exprimées par les membres de la famille permettent de décoder peu à peu les mécaniques familiales, de creuser à la racine d’un mal-être ou d’un positionnement inadapté. « C’est souvent là que les parents nous amènent leur histoire », constate Sylvine Boucher. Parfois, les éducatrices sont amenées à jouer un rôle de tiers entre enfants et adultes, étayant la parole des uns, faisant écran à l’émotion des autres. « Il arrive que des mots très forts surgissent : “J’aurais mieux fait de ne pas te mettre au monde, ou de ne pas rencontrer ton père.” S’ils tombent à ce moment-là, c’est qu’ils existent aussi à la maison. A nous de rebondir dessus. »

Comme toute intervention éducative, celle des accueils de jour bute sur certaines résistances. Parfois l’adhésion des parents n’est que de façade et, quand les professionnels soulèvent les difficultés, « ils prétendent que tout va bien ou prennent la fuite, rendant tout travail impossible ». Ou bien les dysfonctionnements se révèlent si profonds qu’ils mettent les enfants en danger. Ces cas ont beau représenter, selon Dominique Patron, « une minorité de situations », l’articulation avec une MECS relevant du même gestionnaire prend alors tout son sens, car elle offre des possibilités d’accueil séquentiel ou provisoire, « plus facile à préparer avec les familles, et qui permettent de maintenir les enfants dans un environnement familier ». Enfin, les éléments d’observation récoltés par les professionnels constituent un matériau précieux lorsque le passage par la case judiciaire apparaît inévitable.

Après cinq ans de fonctionnement, l’action des accueils de jour semble perçue plutôt positivement par les familles et les partenaires. La durée moyenne des mesures, autour de dix-huit mois, permet de consolider des situations fragiles, à condition d’assurer un étayage suffisant en prévision de la sortie du service. « On se retire progressivement, insiste Aline Dauwe. Ce n’est pas toujours facile car, sans le garde-fou de l’accueil de jour, certaines familles ont peur de ne pas y arriver. » Centre médico-psychologique, assistantes sociales scolaires ou hospitalières, service social départemental… Pendant toute la durée de l’accompagnement, des liens sont conservés avec les autres travailleurs sociaux qui gravitent autour de la famille. Et les professionnels s’attachent à redonner confiance aux parents. « Le discours est clair d’entrée de jeu, conclut Sylvine Boucher. Le processus sera long, il ne faut pas s’attendre à ce que les choses progressent vite et sans souffrance… Mais à condition d’accepter de bouger, plein de choses peuvent s’éclaircir. Et quoi qu’il arrive, on sera là. »

Notes

(1) Les prénoms des mineurs ont été modifiés.

(2) Accueil de jour Camille-Claudel : 45, rue de Gisors – 95300 Pontoise – Tél. 01 30 36 52 11.

(3) « Sur décision du président du conseil général, le service de l’aide à l’enfance et les services habilités accueillent tout mineur, pendant tout ou partie de la journée, dans un lieu situé, si possible, à proximité de son domicile, afin de lui apporter un soutien éducatif, ainsi qu’un accompagnement à sa famille dans l’exercice de sa fonction parentale. » (code de l’action sociale et des familles, art. L 222-4-2).

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