« SBIM et SBAM sont dans un bateau, la suite est archiconnue. L’inconnue, en revanche, c’est jusqu’où va-t-on aller dans cette logique d’industrialisation du social ? Où sera la limite ? Puisque nul n’ignore que les deux, à la fin des fins, tombent à l’eau.
SBIM est moins connu, mais SBAM est un acronyme en usage de bas en haut dans les services régaliens ou territoriaux. SBAM fait voler en éclat ce qu’il pourrait rester d’autonomie au travailleur, social ou non, mais restons centrés sur ceux qui mettent tout en œuvre, s’engagent, risquent quelque chose d’eux auprès des personnes les plus cassées. On dirait qu’on veut les casser tous, les aidants et les aidés, et SBAM n’y est pas étranger.
SBAM, c’est ce qu’on nomme en industrie, un process. S pour “s’il vous plaît”. B pour “bonjour”. A pour “au revoir” et M pour… devinez ! Rappelez-vous, enfant, on vous l’a chanté sur tous les tons de “dire à la dame au revoir et merci” et de biser le menton un peu épais et griffu de l’arrière-grand-mère. Vous prîtes sur vous et bisâtes donc ! Eh bien, à présent que l’âge a coulé sous vos ponts, vous voilà agent de MDPH [maison départementale des personnes handicapées], opérateur de mission locale, acteur proactif d’une circonscription sociale, vous voilà, lors d’un entretien de professionnalisation par exemple, dûment invité par votre hiérarchie tout sourire à signer une “charte d’accueil” centrée sur SBAM. Vous voilà étonné, vous qui vous souvenez que, enfant, vous disiez “merci” à la dame en pensant très fort à un autre mot commençant par M. Donc, vous êtes effroyablement déçu que votre administration ou votre association vous prenne à ce point-là pour un gamin, oui voilà, ce sentiment aigu d’être infantilisé vous traverse. SBAM ou pas, il vous donne la furieuse envie de tout casser et de vous casser non sans claquer la porte. Ce serait adolescent, fichtrement contre-productif. Alors vous restez. L’âge adulte est ainsi, bourré de refoulés. Car ce n’est pas le surgé (le CPE) qui vous a convoqué et vous n’êtes pas en éva de troisième à la vie sco de votre lycée, mais bel et bien reçu dans un entretien dit de professionnalisation ! Ah bon. SBAMons donc.
Allons encore un peu plus loin, car dans cette MDPH où l’agent est considéré comme devant se débarrasser de sa vie privée à l’entrée et “de ses soucis psychologiques” (sic), afin que son SBAM soit dénué de mauvaises intentions, pur en quelque sorte, il faut que le professionnel chargé des destins les plus complexes soit, après avoir appris la politesse, à même de tout savoir. Cela s’appelle le “secret partagé”. Ce sera, Madame l’agent ou Monsieur l’opérateur, votre deuxième signature à apposer. Vous voilà habilité par votre griffe à savoir tout de l’usager, y compris des aspects médicaux de son dossier, recoin assez intime, auquel vous accéderez si vous signez, hardis les stylos !, la “charte d’éthique”.
L’éthique se découpe en morceaux, une charte ici, une commission là… Permettons-nous de dire que ce n’est pas si bon pour elle qu’ainsi l’éthique soit de moins en moins universelle mais se joue et se rejoue selon le périmètre de l’entreprise, la fantaisie de l’organisation ou la grosseur du trait institutionnel. Plus grave encore, pour l’usager. Mettons-nous un instant à sa place : mon VIH est connu de l’agent territorial, appelons-le SBIM ; mon scanner est susceptible d’être lu par les enseignants référents, SBIM et SBIM ; et mon mauvais caractère avec tendance hallucinatoire est su du conseil général !
Il existe un Comité national d’éthique et nul n’imagine le contester. Qu’il y en ait un appendice dans chaque recoin d’hôpital, et que l’éthique d’une unité soit posée différemment de l’éthique de l’unité d’à-côté devrait d’abord, éthiquement, inquiéter. L’éthique est un mouvement permanent, une réflexion entre soi et l’institution et l’institution et soi, mais aussi un rapport à l’écart. Ce double mouvement se révèle déjà pas mal fatigant, mais que l’employeur – associatif ou territorial – s’en mêle et fasse signer de telles chartes dans le cadre de la subordination ! Drôle d’encastrement ! De l’encastrement à la castration, quoi, sinon un chouïa ?
SBIM et SBAM, à la toute fin, ne nous étonnons pas qu’ils se noient. En même temps, dans le même SGLOURP. Les malades ou les handicapés et les agents, les opérateurs et même, mort du petit cheval, le président du conseil général ! Ceux qui souffrent suffoqueront les premiers, néanmoins. »
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(1) Il est aussi l’auteur de l’ouvrage Le diagnostic participatif – Ed. L’Harmattan, 2013.