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« Ce qui guérit et apaise les adolescents borderline, c’est le temps relationnel »

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Adolescent « borderline »… L’expression est entrée dans le langage courant, mais qui sait ce qu’elle recouvre ? Le réseau de recherche Eurnet-BPD a mené une vaste étude sur le sujet. Maurice Corcos, psychiatre, a codirigé l’ouvrage qui en est résulté. Il décrit ces adolescents à la fois explosifs et fragiles et rappelle l’importance d’une relation vraie avec un adulte.
Cet ouvrage rend compte des travaux du réseau de recherche européen Eurnet-BPD Borderline Adolescent. Quel est son objectif ?

Ce réseau a été créé il y a une dizaine d’années dans la continuité de deux autres réseaux consacrés, pour l’un, à la boulimie et, pour l’autre, aux dépendances. Il existe en effet une continuité entre les troubles des conduites alimentaires, qui sont en réalité des toxicomanies, et les conduites de dépendance, toutes sous-tendues par des structures de personnalité de type limite ou « borderline ». Pour cette étude, le réseau Eurnet-BPD a travaillé sur une cohorte d’une centaine de patients. Ils ont été vus une première fois, puis réévalués trois ans après.

Quels enseignements tirer de cette enquête ?

Le premier résultat est que 40 à 50 % de ces patients présentent des antécédents traumatiques majeurs : maltraitances, négligences, abus, dysparentalités, troubles psychiatriques parentaux… On ne peut pas dire qu’ils aient bénéficié d’un développement favorable dans un environnement en capacité de s’adapter à leurs besoins. Le deuxième grand résultat concerne la nature de la dépression accompagnant ce type de profil. Elle est de type abandonnique, anaclitique, avec peu de capacités d’introspection. Elle menace en permanence les patients et, lorsqu’elle arrive, elle est déflagrante. Ces jeunes luttent en permanence contre elle par des conduites addictives et toxicomaniaques. Ils cherchent à s’étayer face à leurs émotions grâce aux sensations prodiguées par des produits. Nous avons également mis en évidence un nombre d’automutilations extrêmement important, près de 70 à 80 % des cas. Enfin, 15 % font des tentatives de suicide et 3 % mettent fin à leurs jours. Il faut donc être extrêmement vigilant.

L’expression « borderline » n’est-elle pas employée un peu abusivement ?

C’est en effet devenu une catégorie diagnostique fourre-tout. Ce sont les Américains qui ont défini la pathologie « borderline » mais il existe plusieurs autres appellations : « état limite », « cas limite », « fonctionnement limite »… Pour les psychanalystes, il s’agit de souffrances narcissiques identitaires. Ce qui marque essentiellement cette symptomatologie, c’est l’instabilité émotionnelle, l’impulsivité et les conduites toxicomaniaques. Ces jeunes présentent une très grande sensibilité à la déception, à la frustration, à l’abandon… Les passages à l’acte hétéro-agressifs et toxicomaniaques sont fréquents, comme on l’a vu. Dès que l’on observe cet ensemble de comorbidités sur une personnalité non structurée sur un mode névrotique ou psychotique, on peut parler d’état limite, même si le patient peut passer par des moments de débordements confusionnels parapsychotiques.

Sait-on combien de jeunes souffrent de ces troubles de la personnalité borderline ?

Environ 2 % de la population générale est concernée, aux alentours de 10 % de l’ensemble des adolescents et entre 15 et 25 % des patients consultant en psychiatrie. Les filles s’inscrivent plutôt dans des troubles des conduites alimentaires et des alcoolisations, et les garçons sont davantage utilisateurs de toxiques ou vont vers le passage à l’acte. La grande question est que, si ces troubles n’ont pas une origine génético-biologique, il existe alors nécessairement des facteurs environnementaux ou socioculturels favorisant leur émergence. Si le contenant de la société, sur le plan familial ou social, n’est pas suffisamment ferme sans être autoritaire, permettant de limiter la pulsionnalité de l’adolescent, cela participe sans doute à cette expression d’une souffrance.

Pourquoi ces troubles apparaissent-ils à l’adolescence ?

D’une façon générale, l’adolescence est une période révélatrice des pathologies mentales. L’organisation psychique se reconfigure sur fond de métamorphoses pubertaires. Avec un corps transformé et érotisé, on ne pense plus de la même manière, et il est préférable que la tête s’accorde avec le corps. Mais si les choses se sont mal passées durant l’enfance, cet accordage ne sera pas assez bon. Les jeunes qui ne sont pas suffisamment stables sur leurs assises vont subir de plein fouet l’arrachement qui se produit alors. On peut toutefois détecter des pathologies limites chez des enfants plus jeunes. Si l’on observe un fort degré d’impulsivité, une émotivité manifeste et des conduites autocalmantes, on peut penser que ce sont des signes avant-coureurs d’une pathologie limite. Surtout si le contenant familial est soit trop lâche, soit trop autoritaire, soit les deux à la fois.

Que deviennent ces jeunes par la suite ?

S’ils ne meurent pas précocement du fait de leurs toxicomanies, s’ils parviennent à contrôler leur dépressivité et, surtout, s’ils peuvent faire de leurs souffrances un champ de créativité, il est possible qu’ils se stabilisent. Bon nombre d’artistes ont une démarche créatrice de ce type. Ils n’évoluent ni vers la psychose ni vers un état maniaco-dépressif. Ce qui permet d’infléchir une évolution tragique, c’est d’abord la qualité des rencontres que peuvent faire ces jeunes en dehors ou à côté du milieu familial. Je pense à des proches, des enseignants, des travailleurs sociaux, des médecins… Il ne manque pas d’exemples d’enfants impulsifs et émotifs que des adultes ont accompagnés magnifiquement. Lorsque ces rencontres ne se font pas, que ces jeunes restent dans un huis clos familial sans oxygène, il se produit le plus souvent une évolution toxicomaniaque qui peut déboucher sur de graves pathologies somatiques. Ceux qui s’en sortent vont se maintenir dans cette instabilité et parfois la déployer dans une démarche de créativité. En tout cas, il n’y a pas de résolution à l’âge adulte, pas de retour à un état d’équilibre névrosé. Ces jeunes restent des personnalités réactionnelles, émotives, avec des fulgurances mais aussi de grandes instabilités socio-affectives.

En termes thérapeutiques, l’approche apparaît multiple…

Aucun traitement des troubles de l’état limite n’est possible sans un accompagnement, voire un traitement, de la famille. C’est essentiel, car c’est là que se jouent les dysfonctionnements. Encore faut-il que cela soit possible… Par ailleurs, pour traiter les symptômes, il ne faut pas hésiter à prescrire, y compris des anxiolytiques ou des neuroleptiques. Il n’existe pas de traitement étiologique de ce type de troubles. Ces traitements servent uniquement à juguler les angoisses importantes et à accompagner les moments dépressifs. De même, il ne faut pas hésiter à hospitaliser lorsque la menace suicidaire, toujours latente, augmente. Ensuite, on peut recourir à une approche psychodynamique psychanalytique pour travailler sur la question du trauma. Celle-ci n’est cependant pas exclusive d’une approche de type cognitivo-comportementale de rementalisation afin d’essayer de tenir cette pulsatilité dans une perspective dynamique.

Quelle est la part du soutien social dans cette stratégie thérapeutique ?

Elle est considérable. Le premier facteur de risque pour les troubles de la personnalité borderline est la pauvreté, avec toutes les carences, les maltraitances et les négligences parentales qu’elle peut favoriser. L’assistante sociale, l’éducateur, le juge qui peut porter une loi dans une famille, sont des éléments essentiels afin de donner des repères et des limites à ces jeunes qui ont vécu une succession d’accrochages passionnels et de lâchages. Il faut leur redonner des perspectives, sortir du huis clos familial, les accompagner au jour le jour. De ce point de vue, le travail social est très important.

Que nous apprennent ces jeunes sur la société actuelle ?

Que nous ne consacrons pas assez de temps relationnel à nos enfants. Ce qui les guérit et les apaise, c’est ce temps relationnel. C’est pour cette raison que les éducateurs et les assistantes sociales sont indispen­sables. Les médecins ne sont présents que de manière ponctuelle, alors qu’il existe une véritable proximité avec les travailleurs sociaux. Ce temps d’accompagnement fait toute la différence par rapport à ce qui leur a manqué dans leur enfance d’une présence vivante et authentique. Il suffit d’être là et de survivre à leurs attaques pour les voir développer des potentialités. On peut ainsi infléchir des destins. Certains nous manifestent d’ailleurs leur gratitude plusieurs années après.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Psychiatre et psychanalyste, Maurice Corcos enseigne à l’université Paris?V. Il dirige par ailleurs le département de psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte de l’Institut mutualiste Montsouris (Paris). Il publie, avec Alexandra Pham-Scottez et Mario Speranza, Troubles de la personnalité borderline à l’adolescence (Ed. Dunod, 2013) et est également l’auteur de La terreur d’exister (Ed. Dunod, réédition 2013).

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