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SAMU social : la vingtaine problématique »

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Julien Damon. Professeur associé à Sciences-Po. Ancien chef du service Questions socialesau Centre d’analyse stratégique.

Créé fin 1993 par Xavier Emmanuelli, le SAMU social de Paris a vingt ans. On cite souvent à l’occasion d’un tel anniversaire le propos de Paul Nizan : « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie », toute célébration consistant à dire, pour celui ou celle qui arrive à la vingtaine, que Nizan a tort. Mais dans le cas du SAMU social, n’a-t-il pas raison ?

Si des SAMU sociaux existent sur tout le territoire national, celui de Paris est aussi spécifique qu’iconique. Devenu une institution de gros volume (150 millions d’euros de budget, avec environ 500 salariés), il incarne les difficultés à gérer ce qu’il a contribué à nommer « urgence sociale » à Paris.

Il s’agit, dans son principe fondateur, d’un recueil nocturne des personnes SDF stricto sensu (vivant dans la rue). Le recueil, à vocation médicalisée, s’accompagne de la gestion de places d’hébergement et de soins. Le SAMU social de Paris est né du constat de l’insuffisance de la prise en charge des SDF les plus en difficulté, correspondant à la figure du clochard. Créée en 1954 par la préfecture de police de Paris sous le nom d’« équipe de ramassage des vagabonds », la brigade d’assistance aux personnes sans abri (BAPSA) est alors contestée. Il faut dire que les délits de vagabondage et de mendicité viennent d’être supprimés.

Au milieu des années 1990, dans une dynamique improvisée associant volontarisme et messianisme, s’est ainsi peu à peu imposé un nouvel instrument visant à réduire la « fracture sociale » en se concentrant sur la « grande exclusion ». Le SAMU social de Paris se présentait comme un dispositif d’« extrême urgence », un « outil de sauvetage au service des grands exclus ». A côté de ses premiers salariés, il mobilisait des bénévoles, baptisés « samaritains ».

Dès ses balbutiements – en pleine lumière médiatique –, il a été critiqué, plus ou moins en sourdine. En tant, d’abord, qu’il participait à la dualisation de la protection sociale. En tant, ensuite, qu’il n’inventait rien, son principe d’action « aller vers » relevant déjà de la pratique des éducateurs de prévention spécialisée. En tant, enfin, qu’il n’était qu’un « taxi social », détourné par des personnes qui n’en avaient pas vraiment besoin.

La principale réserve n’a fait que se renforcer. Elle porte sur l’empilement et la concurrence des équipes mobiles. La « maraude » (terme dont l’usage peut aussi être attribué au SAMU social) dans les rues de Paris a ceci de particulier qu’aucune autre ville ne voit autant d’équipes, pédestres ou automobiles, financées en tout ou partie sur fonds publics, aller au-devant des sans-abri. Avec le temps, en effet, les opérations et flottilles de maraude chargées de sillonner les rues de la capitale se sont accumulées. En sus des policiers de la BAPSA, on compte les équipes du SAMU social, celles de la RATP et de diverses associations, plus ou moins complètement soutenues par les pouvoirs publics. Jusqu’à la Croix-Rouge et aux Restos du cœur, en passant par Médecins du Monde ou encore, depuis 2013, une « Mobil’douche », salle de bains itinérante pour les sans-abri. La conséquence de cette inflation est connue : une quête permanente de coordination, et des SDF parfois réveillés plusieurs fois par nuit par des services différents.

Mais ces défauts de coordination (qui, répétons-le, distinguent Paris du reste de la France) ne sont pas le principal sujet d’interrogation. Il en va, plus largement, de la mission même du SAMU social. Celui-ci est devenu un outil de masse. Gérant du 115, il reçoit 2 millions d’appels et en traite le quart. Alors que ce numéro gratuit était destiné à des habitants désireux de signaler des difficultés de personnes à la rue, il est devenu outil de réservation des hébergements. Si le SAMU social concentre toujours sa communication sur les individus isolés, dans 80 % des cas, les 3 millions de nuits d’hébergement proposées en 2012 concernent des familles. Sur ses 150 millions d’euros de budget (ce qui n’est pas mince), 80 % sont consacrés à des dépenses hôtelières. En un mot, le SAMU social n’a plus grand-chose à voir avec son projet d’origine. Certes, les problèmes ont évolué, et le SAMU social a certainement contribué à faire bouger des cartes. Confronté à l’ouverture des frontières européennes, aux problématiques sensibles du droit d’asile et de la clandestinité, il reste au cœur de l’actualité de la question SDF. Créé pour aller au-devant des clochards parisiens, développé aujour­d’hui pour héberger, dans des hôtels coûteux, des sans-papiers venus du monde entier, son avenir apparaît complexe. Ses 20?bougies, une nouvelle présidence qui vient de prendre place et les prochaines élections municipales doivent inviter à une profonde reconfiguration. Pour le bien-être de tous, des SDF aux finances publiques, en passant par l’ensemble des personnels investis.

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