Xavier Bouchereau a été durant dix ans éducateur spécialisé en assistance éducative en milieu ouvert (AEMO), avant de devenir chef de service éducatif. Entre 2000 et 2010, il n’a pas cessé d’écrire, parfois « quelques mots griffonnés à la va-vite sur un carnet après un entretien difficile », parfois « des pages entières pour essayer de comprendre » ce père ivre, cette mère schizophrène, ces parents pervers et ceux qui tentent de le manipuler… Comprendre aussi les conditions de vie indécentes, ces familles sans règles ni limites, cette maman de 15 ans, la mort de ce jeune qu’il suivait… Ramassées dans Au cœur des autres à la façon d’un journal intime, ces pages sont un témoignage de ces dix années du quotidien des travailleurs sociaux, même si, comme l’affirme Xavier Bouchereau, « les mots atténuent toujours le réel pour le rendre acceptable ».
Dans ces chapitres, mois par mois, tous plus intéressants les uns que les autres, l’éducateur décrit ce monde « où les personnes s’habituent à la misère parce qu’insidieusement la misère s’est emparée d’eux ». Il n’omet pas d’évoquer ses petits bonheurs – telle sa satisfaction de voir le père du jeune Kévin, qui a réussi à refaire surface professionnellement et physiquement, à regarder, enfin, son fils dans les yeux.
Ce qui frappe, c’est l’analyse précise de son métier d’éducateur, fait de petites choses mais aussi de décisions graves et lourdes de conséquences. « C’est un art du quotidien qui s’apprend au plus près des personnes, loin du regard de tous, dans la banalité d’une rencontre, dans les pépites d’une parole », écrit-il. S’y mêlent et s’entremêlent forcément deux mots : « désir » et « impasse ». Désir de voir les gens s’en sortir, désir farouche qu’ils redressent la tête, face à l’impasse d’une pratique qui s’essouffle au contact de la misère et de la souffrance, qui s’enlise dans les inerties et les paradoxes de notre société qui le laissent « parfois découragé, jamais résigné ». Il avoue qu’il est bien forcé de faire parfois « du bricolage » : « Notre profession s’est depuis longtemps habituée aux grandes valeurs et aux petits budgets. » S’il reconnaît que d’autres professionnels (médecins, pompiers, etc.) côtoient la souffrance ordinaire, peu, dit-il, « la vivent comme nous, de l’intérieur, au sein même des familles, en franchissant une à une les frontières de l’intime ».
Au cœur des autres. Journal d’un travailleur social
Xavier Bouchereau – Ed. Sciences humaines – 12 €