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Baliser le terrain dans l’entreprise

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Depuis 2003, en Alsace, le SARAH est chargé de développer l’accès aux formations en apprentissage pour les jeunes en situation de handicap, en lien avec les centres de formation d’apprentis et des entreprises. En 2013, l’équipe a accompagné quelque 420 jeunes.

Il arrive un peu en retard sur son lieu de travail, au premier étage de l’immeuble du groupe Electricité de Strasbourg, au cœur du quartier des Halles de la capitale alsacienne. Avec la pluie qui tombe dru en ce matin de novembre, ses béquilles ont glissé, si bien que le jeune homme est tombé en sortant du tramway. Ce qui, semble-t-il, ne l’empêche pas d’avoir la pêche. Mike Lagrange, 18 ans, souffre depuis toujours d’une infirmité motrice cérébrale et d’une dyspraxie (trouble de la coordination et de la spatialisation). Depuis la rentrée 2013, il effectue un contrat de professionnalisation en alternance afin de devenir téléconseiller. Son travail : répondre par téléphone aux clients d’Electricité de Strasbourg qui souhaitent des précisions sur leur facture d’électricité, établir un abonnement ou le résilier. Une semaine par mois, il suit des cours à l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), les trois semaines restantes se déroulant en entreprise. Pris en charge par une tutrice, Ghislaine Koessler, et une responsable clientèle, Aline Schnell, Mike Lagrange semble avoir pris ses marques. Il sait déjà naviguer sur le serveur interne et analyser une facture.

Les deux femmes qui chapeautent sa formation dans l’entreprise sont en contact avec Norbert Briant, chargé de coordination des accompagnements au Centre régional pour l’étude et l’action en faveur de l’insertion (CREAI) Alsace, et membre du Service d’accompagnement régional des apprentis handicapés (SARAH). Pour les deux professionnelles, la présence de Norbert Briant favorise « une meilleure connaissance de Mike, de l’historique de son parcours et de son handicap ». Le service de téléconseillers d’Electricité de Strasbourg avait déjà intégré des apprentis avec des handicaps plus légers mais sans l’appui du CREAI, se souvient Aline Schnell. « Dans le cas de Mike, la collaboration avec le SARAH va permettre un suivi plus fin, une meilleure intégration du handicap. Nous allons veiller, par exemple, à aménager l’espace de façon qu’il puisse se déplacer dans l’étage avec son fauteuil roulant, et installer une imprimante sur son bureau pour qu’il n’ait pas à se déplacer à chaque fois qu’il doit sortir un document… » Installé à l’écart dans un open space d’une dizaine de places, le jeune homme se dit satisfait d’être là. « Si M.Briant ne m’avait pas suggéré ce travail de conseiller clientèle, je n’y aurais pas pensé, affirme-t-il. Je suis suivi par plusieurs assistantes sociales qui m’ont orienté vers le SARAH. Ce service aide pas mal, notamment à faire le tri dans la masse de gens à appeler quand on cherche une formation et un employeur. »

EN MAJORITÉ, DES JEUNES HOMMES DE 18 À 25 ANS

Outre les contrats de professionnalisation – alternance entre l’entreprise et un organisme de formation –, le SARAH a vocation à suivre des jeunes et des adultes en contrat d’apprentissage – alternance entre l’entreprise et l’un des 33?centres de formation d’apprentis (CFA) que compte la région. En 2013, l’équipe a ainsi suivi près de 420 personnes. Il s’agit en grande partie de jeunes hommes (80 %) âgés majoritairement de 18 à 25 ans, même si le service peut théoriquement prendre en charge des personnes de 16 à 45 ans. Ils souffrent de toutes sortes de handicaps physiques et psychiques, certains étant atteints de maladies dégénératives ou orphelines.

Initié par le CREAI Alsace, le SARAH existe depuis 2003 et emploie cinq personnes en équivalent temps plein. L’équipe comprend deux profils différents. En premier lieu, les trois chargés d’accompagnement – « en charge de la globalité du projet du jeune », précise Frédéric Bauer, directeur du CREAI. Il y a Norbert Briant, référent de Mike et ancien professeur de français, ainsi qu’un éducateur spécialisé et un ancien chargé de mission du CREAI ayant bénéficié d’une reconversion en interne. Le second profil est celui des deux chargés d’intégration en entreprise, l’un dans le Haut-Rhin et l’autre dans le Bas-Rhin. Le premier est psychologue de formation et le second éducateur technique, précédemment employé dans un établissement socio-éducatif. Ces cinq postes sont financés presque exclusivement par le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées (Agefiph) Lorraine-Alsace et par la région Alsace, à hauteur d’environ 400 000 € par an.

LA RÉORIENTATION VERS LE MILIEU ORDINAIRE

L’histoire du SARAH s’enracine dans celle du CREAI Alsace. Créés en 1964 dans chaque région, les CREAI avaient pour mission première d’animer le réseau associatif du secteur social et médico-social et d’apporter une aide technique aux établissements, mais aussi d’assurer la gestion directe d’établissements et de services. Au début des années 1980, à la suite d’une réforme, ils perdent leur rôle de gestionnaire pour devenir des structures d’expertise et de concertation. Afin de réaliser ses nouvelles missions, le CREAI Alsace avait alors développé une offre sur trois axes : « La contribution au développement des connaissances, l’accompagnement de l’évolution des organisations et des pratiques et l’accompagnement de la formation des personnes en difficulté. » Toutefois, en 1996, son équipe avait été sollicitée par les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP) et les instituts médico-éducatifs (IME) de la région en vue d’apporter un soutien aux jeunes issus de ces structures et capables d’accéder à un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) mais pas en milieu ordinaire. La décision avait alors été prise de créer un centre de formation d’apprentis spécialisé (CFAS). Malheureusement, celui-ci n’est jamais parvenu à atteindre un effectif suffisant pour justifier les financements reçus des collectivités. Les dernières années, seuls cinq ou six jeunes y étaient inscrits pour toute l’Alsace. « Nous sommes arrivés trop tard, analyse a posteriori Frédéric Bauer. D’un côté, les enfants admis dans les ITEP-IME étaient de plus en plus lourdement handicapés, de l’autre l’Education nationale commençait à se donner les moyens d’assurer la scolarisation des élèves handicapés dans les CFA. »

Cependant, tout au long de ces années, les salariés du CREAI ont côtoyé des directeurs de CFA qui accueillaient de plus en plus souvent des jeunes handicapés et leur faisaient part de leurs difficultés à les prendre en charge. « Finalement, nous avons décidé en 2002 d’arrêter le CFAS et de créer le SARAH, un accompagnement pour ces jeunes mais en milieu ordinaire, raconte Frédéric Bauer. La bascule s’est faite au 1er janvier 2003. La mission principale du service est de permettre à des jeunes reconnus handicapés de suivre une formation en alternance, comme tout le monde, en CFA et en entreprise. La seule différence est le suivi que nous assurons en parallèle auprès du jeune, de sa famille, généralement très impliquée, du CFA, que nous aidons à organiser la formation en fonction du handicap, et de l’entreprise. »

Il peut se révéler nécessaire d’adapter le poste de travail pour que l’entreprise continue à fonctionner au mieux. Dans le cas de Mike Lagrange, il a fallu, par exemple, espacer suffisamment les bureaux pour qu’il puisse circuler, déplacer l’imprimante, etc. En outre, le SARAH a aidé à la mise en place au sein des CFA de « référents handicap ». Ces volontaires – un par établissement – peuvent être des formateurs, des conseillers principaux d’éducation ou des directeurs adjoints de CFA, qui deviennent les interlocuteurs privilégiés des accompagnateurs du service, des jeunes et de leur famille.

POUR ÊTRE APPRENTI, DÉNICHER UN EMPLOYEUR

Les jeunes intéressés entrent en contact avec le SARAH par le biais des instituts médico-professionnels (IMPro) et des IME, des missions locales, des services sociaux de secteur ou encore des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). « En plus de leur handicap, physique ou psychique, ils sont souvent sous-qualifiés, et l’alternance est pour eux le moyen le plus efficace de s’insérer dans la vie active », note Frédéric Bauer. D’où le recours au SARAH.

La première étape, à l’entrée dans le dispositif, consiste en une série d’entretiens avec un chargé d’accompagnement. Ces rendez-vous se tiennent dans les locaux du CREAI, à Strasbourg, mais aussi dans des cafés ou des lieux relais un peu partout en Alsace. L’objectif est de clarifier les possibilités du jeune en fonction de ses envies, de ses capacités, de son parcours scolaire et des offres sur le marché du travail. « On recherche un parcours qualifiant pour ce jeune qui, souvent, ne veut plus entendre parler d’école, où il a connu en général des difficultés scolaires et relationnelles, explique le directeur. L’idée est de ne pas l’envoyer dans le mur… » Nombreux sont en effet les jeunes qui souffrent de troubles spécifiques du langage et des apprentissages (TSLA) ou de troubles du spectre autistique (TSA). Passés parfois par des sections d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA), ils ont souvent besoin de retrouver le goût d’apprendre. « A nous de les convaincre qu’ils ont tout intérêt à décrocher un diplôme s’ils en ont les capacités », embraye Norbert Briant.

Après cette première rencontre, le chargé d’accompagnement oriente la famille et le jeune majeur vers un CFA de même que vers Pôle emploi, les centres d’information et d’orientation des collèges, les missions locales et les chambres consulaires qui compilent les offres des entreprises. Car la condition première pour entrer en apprentissage est d’avoir un employeur. Il n’est d’ailleurs pas rare que le chargé d’accompagnement du SARAH décroche lui-même son téléphone pour trouver un poste dans l’une des entreprises ou des collectivités dont il sait qu’elles embauchent des personnes handicapées dans de bonnes conditions. « Nous avons notre liste noire, glissent Frédéric Bauer et Norbert Briant. Certaines entreprises ne sont pas délicates avec ces jeunes. Il est arrivé qu’en cas de malveillance, quand le jeune devient le souffre-douleur d’une équipe, il doive changer de tuteur ou d’entreprise… » « On regarde aussi si l’entreprise et le ­centre de formation sont compatibles en termes de déplacement pour le jeune », précise Norbert Briant. Par la suite, les rencontres entre le jeune et son chargé d’accompagnement se font à un rythme variable : toutes les semaines si le jeune est fragile ou si son handicap rend sa situation instable ; une fois par mois, voire moins souvent, lorsque tout va bien. Quant aux rencontres entre le jeune, son enseignant et son maître d’apprentissage, elles restent trimestrielles.

Du côté du CFA, outre l’aide à la mise en place du référent handicap au sein de l’établissement, les professionnels du SARAH coordonnent des réunions régulières avec les formateurs et le personnel d’encadrement. Ils participent aussi à des manifestations en commun (semaine de l’apprentissage, forum emploi…) et répondent aux questions ponctuelles des équipes de formateurs, qui n’ont pas une connaissance fine des différents troubles liés aux handicaps des jeunes. « La pédagogie à adopter varie en fonction de ces handicaps, précise Norbert Briant. Si la porte d’entrée est orale pour l’un, elle sera écrite pour l’autre. En fonction de ce que l’on sait du jeune, on pourra conseiller certaines approches. Paradoxalement, tous les moyens de compensation existent pour adapter la pédagogie ainsi que les postes de travail. Théoriquement, il ne devrait donc plus y avoir de discrimination, mais c’est au niveau des représentations que ça coince encore. Le professeur comme le patron imaginent que la personne handicapée va être une charge entraînant une perte de productivité. Quand ces freins culturels sont levés, au cas par cas, ça se passe généralement bien. » Ce que confirme Laurence Lejeune, responsable de la mission handicap à la direction des ressources humaines du groupe Electricité de Strasbourg : « Le SARAH, qui connaît bien nos besoins, nous aide à nous adapter et, surtout, à préparer le terrain avec les tuteurs et les managers, à qui le handicap fait souvent peur. Sans la volonté de l’entreprise d’intégrer les apprentis handicapés [reconnus RQTH, pour « re­connaissance de la qualité de travailleur handicapé »] et sans le SARAH, on arriverait moins bien à amener ces jeunes vers la réussite au diplôme. »

SEULS 1 % DES JEUNES SORTENT SANS DIPLÔME NI EMBAUCHE

Afin d’appâter des entreprises pas forcément sensibilisées à cette démarche, les chargés d’intégration et de relation en entreprise – Olivier Friant pour le Bas-Rhin et Jérôme Pichon pour le Haut-Rhin – font souvent valoir les avantages financiers proposés à l’embauche de personnes handicapées. « Au démarrage, nous présentons des simulations financières aux entreprises pour leur montrer ce que l’apprenti va réellement leur coûter, indique Frédéric Bauer. Par la suite, une fois engagés dans l’opération, les employeurs constatent parfois que la présence d’une personne handicapée dans l’entreprise permet aussi de relativiser les problèmes des autres membres du personnel. » Une présence qui peut même, précisent certains, déboucher sur une solidarité accrue et un meilleur esprit d’équipe. De leur côté, la plupart des jeunes comprennent rapidement que ce qu’ils apprennent en CFA peut être valorisé en entreprise, ce qui en motive plus d’un à continuer ses études. Ils enchaînent parfois sur un baccalauréat professionnel, voire sur une licence pro, suivis le plus souvent par leur référent du SARAH. Celui-ci peut ainsi les accompagner pendant sept ou huit ans d’affilée.

D’après les responsables du SARAH, seul 1 % des situations débouche sur des « sorties brutes » du dispositif, sans diplôme ni embauche. « 80 % des jeunes obtiennent leur diplôme et 15 à 20 % sont embauchés, assure le directeur du CREAI. Ce sont les mêmes pourcentages que pour les apprentis en général. En revanche, ils disparaissent ensuite de nos radars et sont, pour certains, absorbés dans les statistiques de Pôle emploi. Nous n’avons pas d’idée globale de leur employabilité à long terme. » Sachant que le taux de chômage des personnes handicapées reste deux fois supérieur à celui de la moyenne de la population active, malgré l’obligation faite aux entreprises de plus de 20?salariés d’employer au moins 6 % de personnes handicapées.

Le SARAH réfléchit aujourd’hui au sens à donner à cette insertion professionnelle. « Se former, pour quoi ? Notre but n’a jamais été de forcer un jeune à intégrer un emploi en milieu ordinaire alors qu’il serait mieux en milieu protégé, insiste Frédéric Bauer. Dans certains cas, le travail est une façon de s’épanouir, il n’est pas une fin en soi. Les personnes que nous accompagnons sont rarement autonomes, elles ont notamment des problèmes de compréhension des consignes. Nous leur trouvons alors des postes en milieu protégé, en chantiers ou entreprises d’insertion, voire en contrat d’avenir dans des collectivités. » Des menaces planent néanmoins sur l’avenir du service. Alors que sa fréquentation est en augmentation quasi constante depuis sa création en 2003, le rapport d’activité 2012 fait état d’une « incertitude sur le financement du SARAH ». Il pointe en particulier « les nouvelles procédures, notamment les décomptes mensuels des prestations, la baisse des primes Agefiph aux employeurs et la suppression de celles destinées aux apprentis accompagnés par rapport à 2011 ». Des inquiétudes heureusement contrebalancées par des points positifs, dont « le renforcement du partenariat avec les MDPH » et d’autres structures et la bonne coordination avec les CFA.

Le SARAH

En Alsace, le Service d’accompagnement régional des apprentis handicapés propose :

→ un appui à la validation du projet professionnel de l’apprenti ;

→ une préparation à son accueil en entreprise et au centre de formation d’apprentis (CFA) ;

→ un accompagnement individualisé de l’apprenti au CFA et en entreprise ;

→ une coordination entre les partenaires impliqués dans le parcours de l’apprenti : employeur et maître d’apprentissage, équipe pédagogique des CFA, famille, travailleurs sociaux, médecin, orthophoniste, psychologue ;

→ un passage de relais à l’issue du parcours d’apprentissage.

Notes

(1) CREAI-SARAH : 15, place des Halles – 67000 Strasbourg – Tél. 03 88 32 47 94 – www.creaialsace.org.

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