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Supprimons la gratification des stages de tous les étudiants !

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L’Unaforis organisait le 18 décembre au Cédias-Musée social, à Paris, une table ronde sur l’alternance dans les formations en travail social, et notamment sur la gratification des stages, avec l’ambition de proposer des solutions en la matière. Mais pour Eric Lepointe, responsable de filière dans un IRTS, le principe même de la gratification est à remettre en question, et pas uniquement dans le domaine du travail social. Non seulement elle ne constitue pas une réponse à la précarité des étudiants, mais elle peut faire perdre de vue la dimension formative des stages.

« La gratification des étudiants en stage semble manifestement faire l’unanimité… chez les étudiants et leurs organisations représentatives (1), dans la presse, évidemment chez nos parlementaires puisqu’ils en ont voté la généralisation en juillet dernier (contre l’avis du gouvernement qui, in fine, a laissé faire), chez certaines organisations professionnelles de travailleurs sociaux (2). Enfin l’Union nationale des associations de formation et de recherche en intervention sociale (Unaforis), consciente du péril que cette loi fait peser sur nos formations fondées sur l’alternance, la défend néanmoins : elle estime en effet qu’un étudiant en travail social doit bénéficier des mêmes droits que tous les étudiants.

Puisque nous partageons ce dernier argument, et puisque nous voulons être cohérent, alors passons au crible la gratification de tous les étudiants, dans son principe même. Puis proposons une voie qui vaille pour tous les étudiants.

N’y a-t-il pas lieu de mettre en doute la pertinence de ce qui se voudrait être la solution aux deux problèmes suivants : d’une part, la précarité des étudiants, d’autre part, l’utilisation qui serait faite de certains stages pour s’assurer une main-d’œuvre bon marché, sinon gratuite ?

Toutes les enquêtes montrent, notamment celles de l’Observatoire de la vie étudiante, que la précarité des étudiants est une réalité qui va s’amplifiant. Jusqu’à un tiers d’entre eux pourrait être touché. La nécessité de soutenir financièrement les étudiants semble faire consensus au sein la société française.

Par ailleurs, le mouvement Génération précaire a montré et dénoncé depuis le début des années 2000 l’existence de ces stages « bidons » dans lesquels les apprentissages seraient réduits et l’exploitation maximale (3). Ici aussi, il y a globalement consensus pour estimer qu’il convient de mettre un terme à ces abus.

Mais tout le raisonnement collectif dérape depuis la loi de 2006 relative à l’égalité des chances, qui a introduit la notion de gratification des stages effectués par les étudiants de l’enseignement supérieur, récemment généralisée par la loi du 23 juillet dernier à l’ensemble des secteurs de la vie professionnelle : le secteur privé et les trois fonctions publiques. Et le dérapage se poursuit puisque les parlementaires s’apprêtent à reconnaître les stages comme des périodes de travail devant entrer dans le calcul des retraites.

Production ou formation ?

Un curieux consensus semble s’être formé pour abandonner toute exigence de qualité des stages et considérer même qu’ils relèvent davantage du registre du travail que de la formation ; et ainsi accepter l’idée que les étudiants-stagiaires puissent être en situation de produire au lieu de développer leurs apprentissages. Dès lors, on en est venu à exiger des entreprises, des hôpitaux, des associations et des administrations qu’ils leur versent quelques subsides en échange (environ 430 € par mois), ce qui permet en dernier ressort à l’Etat – et incidemment aux conseils régionaux, qui versent des bourses aux étudiants en travail social – d’esquiver la question cruciale de la précarité des étudiants.

C’est qu’en effet on a amalgamé deux questions distinctes en leur apportant une seule réponse… qui d’ailleurs n’y répond pas. Pire, elle crée un problème nouveau. Explications :

→ la précarité des étudiants n’ayant pas de stage (ou ayant un stage inférieur à deux mois) dans leur cursus n’est toujours pas traitée ;

→ les terrains de stage peuvent désormais (tous) se sentir légitimes à exiger de leurs stagiaires une production puisqu’ils les rémunèrent, tandis que la qualité des stages reste impensée ;

→ la pénurie de stages constatée est sur le point de mettre gravement en péril les formations professionnelles en alternance dans le champ du travail social.

La ministre de l’Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, semble en avoir pris conscience, qui, par une instruction du 25 octobre dernier aux préfets, invite finalement à mettre la loi entre parenthèses (4). Ce qui n’est pas sans jeter le trouble: l’exécutif pourrait s’affranchir d’une loi promulguée ? Au-delà, le risque n’est-il pas que l’Etat décide finalement d’adapter nos formations à la loi actuelle en réduisant à deux mois la durée des stages en faisant fi de tout argument pédagogique ?

Arrêtons le pilotage à vue et retournons au Parlement pour une loi d’ensemble qui définirait le stage, lui donnerait un statut en l’encadrant d’obligations (adossement à un cursus de formation en alternance, agrément du lieu de stage par l’université ou l’école, établissement d’une convention, d’objectifs et de critères d’évaluation…) – obligations déjà mises en place dans le champ de la formation en travail social – et prévoirait des sanctions en cas de manquement. Ce cadre permettrait de situer le curseur là où il doit être : ni du côté de la production en lieu et place d’un salarié, ni du côté de la simple observation, mais bien sur le registre de l’apprentissage accompagné en situation.

Simultanément, que la précarité de tous les étudiants, quel que soit leur cursus, soit traitée par des dispositifs redistributifs équitables tels que les bourses (à revaloriser le cas échéant) ou par une allocation d’études à créer.

Les étudiants doivent pouvoir subvenir à leurs besoins. La dimension formative de leur stage doit être assurée de garanties minimales. Et l’offre de stage doit correspondre aux besoins de l’appareil de formation. »

Contact : e.lepointe@gmail.com

Notes

(1) Génération précaire, UNEF (Union nationale des étudiants de France) et FAGE (Fédération des associations générales étudiantes) notamment.

(2) L’Organisation nationale des éducateurs spécialisés (ONES) et la Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants (FNEJE) notamment. L’Association nationale des assistants de service social (ANAS) a estimé, de son côté, que « la gratification n’est pas une réponse satisfaisante à la précarité des étudiants en travail social ».

(3) Le champ du travail social ne semble guère concerné par ces dérives, probablement du fait de l’encadrement des stages.

(4) Voir ASH n° 2831 du 1-11-13, p. 15.

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