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Des chercheurs se penchent sur les « destinées judiciaires » des plus vulnérables

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La justice est-elle plus sévère à l’encontre des classes sociales défavorisées et des minorités ? Existe-t-il des pratiques judiciaires discriminatoires ? C’est ce qu’ont voulu savoir deux chercheurs de l’université de Nantes, Virginie Gautron, maître de conférences en droit pénal et sciences criminelles, et Jean-Noël Rétière, professeur de sociologie, en menant une étude sur les pratiques décisionnelles dans cinq tribunaux correctionnels (1). Premier constat : l’écrasante présence des classes populaires, des personnes sans emploi ou déclarant de faibles revenus et n’ayant pas fait de longues études. Par ailleurs, l’étude montre que les filières pénales sont « socialement marquées » : les personnes sans emploi et déclarant moins de 500 € de revenus mensuels sont trois fois plus souvent jugées dans le cadre d’une comparution immédiate; les personnes nées à l’étranger le sont deux fois plus, les personnes sans domicile fixe (SDF) sont également surreprésentées. Il en va de même pour le placement provisoire : il concerne 11 % des SDF et moins de 1 % des prévenus déclarant une adresse personnelle. Les personnes sans emploi sont également plus fréquemment condamnées à un emprisonnement ferme (27 %, contre 11 % des personnes ayant un emploi).

Ces données « ne sont pas nécessairement la preuve, mais tout au plus des indices d’une discrimination négative à l’encontre des minorités et des populations défavorisées », affirment les chercheurs. Selon eux, il existe, par ailleurs, des corrélations étroites entre le fait de se trouver sans emploi, de commettre une infraction plus grave, et de posséder un casier judiciaire chargé. Ils notent, par exemple, que, sous-représentées dans les infractions de type « conduite en état d’ivresse ou sous l’emprise de stupéfiants », les personnes sans emploi sont plus souvent arrêtées pour atteintes aux biens ou aux personnes. Les indicateurs de « fragilité sociale » étant souvent liés à des hypothèses sur des comportements futurs, « il n’est dès lors pas illégitime que les classes socialement les plus défavorisées apparaissent plus sévèrement traitées par le système pénal ».

Par ailleurs, les magistrats se réfèrent principalement à la « carrière pénale » du prévenu pour décider de sa « destinée judiciaire ». Les indicateurs les plus probants sont relatifs à la gravité des faits et au passé judiciaire de l’auteur : la récidive augmente fortement la probabilité d’une comparution immédiate ou d’un placement en détention provisoire. Mais l’absence à l’audience – perçue comme un signe d’insoumission à la justice – augmente également les risques d’emprisonnement ferme. Or 36 % des personnes sans emploi n’étaient pas présentes à leur audience (contre 22 % des personnes en emploi), comme 65 % des personnes sans domicile et 40 % des prévenus nés à l’étranger. Cette non-(re) présentation à l’audience, tout comme la crainte d’une soustraction ou d’une difficulté d’exécution de la peine, « produit des discriminations négatives dès lors qu’elle motive, parfois de mauvais gré, une comparution immédiate, une détention provisoire et/ou un emprisonnement ferme. Le traitement spécifique que les magistrats réservent aux prévenus qui, comme les SDF, dissimulent mal les stigmates de leur désocialisation ou qui, comme les étrangers, n’inspirent pas plus confiance dans leurs garanties de représentation, obéit à une logique d’évaluation des dossiers complètement assumée par les magistrats. Tout se passe comme si ces discriminations négatives-là revêtaient, au nom de la légalité, une légitimité difficilement contestable. »

Au final, constatant des condamnations à l’emprisonnement ferme 1,5 fois supérieures pour les personnes sans emploi, 2,5 fois supérieures pour les SDF et 3 fois supérieures pour les personnes à faibles ressources, les chercheurs se demandent si les magistrats ne feraient pas plutôt preuve de discrimination positive en faveur des prévenus bien insérés. Une volonté de leur épargner les effets désocialisants de la prison ?

Notes

(1) L’étude, intitulée La justice pénale est-elle discriminatoire ?, se fonde sur l’analyse de 7?500 dossiers délictuels impliquant des majeurs durant les années 2000, 2003, 2006 et 2009 et une soixantaine d’entretiens auprès de magistrats du parquet et du siège, de policiers, d’élus, de chargés de mission, de responsables associatifs… – Disp. sur www.ardis-recherche.fr.

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