Comment les appels à projets sont-ils vécus par les acteurs de terrain ? L’Uriopss (Union régionale interfédérale des organismes privés sanitaires et sociaux) Ile-de-France a interrogé ses adhérents en juin dernier sur cette nouvelle procédure en vigueur depuis bientôt trois ans. Malgré le faible nombre de répondants – 171 sur les 1 880 adhérents –, les résultats ont l’intérêt d’apporter des éléments qualitatifs (1). Premier constat : parmi les associations qui se sont portées candidates à un appel à projet, la moitié gère de un à dix établissements et « certaines d’entre elles les ont gagnés, ce qui va à l’encontre de l’idée selon laquelle seules les grosses associations peuvent remporter les appels à projets », commente Anne Lepicard, conseillère technique « handicap, personnes âgées, parcours de vie » à l’Uriopss. Parmi celles qui ne se sont pas portées candidates, 56 % évoquent le manque de temps pour monter le dossier. Les choses pourraient évoluer puisque la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) envisage, dans le cadre de son projet de réforme de la procédure, de porter les délais (de deux à trois mois actuellement) à quatre mois (2).
Autre difficulté : le manque de temps dont disposent les gestionnaires pour défendre leur projet devant la commission de sélection. 43 % des associations ayant répondu à un appel à projet émanant d’un conseil général estiment n’avoir pas pu exposer correctement leur dossier – ils sont 30 % à faire le même constat pour ceux des agences régionales de santé (ARS). « La présentation du porteur de projet devant la commission ne dure que dix minutes – parfois même cinq minutes – suivies de dix minutes d’échanges, c’est très court, relève Anne Lepicard, Avec les CROSMS [comités régionaux d’organisation sociale et médico-sociale], les candidats étaient présents pendant la présentation de l’instructeur du dossier [qui analysait le dossier et en faisait une synthèse aux membres de la commission] ».
En cas de rejet de leur dossier, les associations n’ont – à 47 % pour les appels à projets des conseils généraux et à 67 % pour les ARS – souvent pas d’explication sur les motifs. « Il faut faire une demande formelle pour savoir sur quels critères le dossier n’a pas été retenu. D’où la crainte que les choses soient jouées d’avance, poursuit Anne Lepicard. C’est une inquiétude qui n’est pas toujours justifiée car les membres de la commission notent les projets selon des critères affichés dans l’avis d’appel à projets. » Pour la première fois en Ile-de-France, une association a déposé un recours auprès du tribunal administratif de Paris pour contester le résultat d’un appel à projet. Le respect de la procédure est mis en doute par près de 20 % des acteurs dans le cas des appels à projets émanant des conseils généraux. « Les ARS ayant été créées dans le même cadre législatif que les appels à projets, il y a moins de suspicion sur la manière dont elles appliquent le texte », commente Anne Lepicard.
Certains appels à projets sont ouverts au co-portage, c’est-à-dire que deux associations peuvent postuler ensemble. Cette pratique reste peu répandue, 50 % des cahiers des charges auxquels ont répondu les adhérents de l’Uriopss étaient ouverts à des réponses coordonnées et la majorité des candidats (60 %) ne se sont pas concertés avec les autres associations du même territoire ou de la même filière. « On touche au paradoxe de la procédure: d’un côté, elle installe de la concurrence entre les associations, de l’autre, elle veut les inciter à coopérer ! » Dernier enseignement : les dispositifs innovants ou expérimentaux ne concernent qu’une dizaine d’appels à projets.
Difficile à ce stade de savoir si la réforme de la procédure envisagée par la DGCS viendra remédier aux difficultés pointées par les acteurs. Lancée avant l’été, la concertation avec les fédérations (3) avance à petits pas. Si les deux parties ont quelques points de convergence (allongement du délai de réponse aux appels), les associations rejettent plusieurs propositions avancées par l’administration centrale comme l’exonération de la procédure des établissements départementaux en régie directe. Plus globalement, elles réclament toujours un diagnostic de l’application d’une procédure qui a bouleversé les rapports entre acteurs et décideurs. « Nous savons que les pratiques diffèrent d’une région à l’autre mais nous manquons de bilan, en particulier sur les appels à projets portés par les conseils généraux. Comment mettre en place une réforme sans bilan préalable ? », s’interroge Ronald Maire, conseiller technique à l’Uniopss. Les associations réclament toujours la création d’un observatoire des appels à projets relevant du ministère de la Santé et des Affaires sociales, de la Justice, de l’Intérieur ou des conseils généraux, afin de réfléchir à « une réforme de la régulation du secteur ».
(1) Or seul un bilan quantitatif des appels à projets a été réalisé par la DGCS et la CNSA – Voir ASH n° 2803 du 29-03-13, p. 6.
(3) APF, CNAPE, Fegapei, FEHAP, FHF, FNARS, Unapei et Uniopss.