Elle l’a annoncé le 17 décembre dans un communiqué: la ministre de la Justice a décidé de reporter l’ouverture – prévue initialement le 1er janvier 2014 – de l’annexe du tribunal de grande instance (TGI) de Bobigny dans la zone d’attente pour personnes maintenues en instance (ZAPI) de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, dont le projet de mise en service avait suscité l’émotion de plusieurs associations spécialisées et syndicats de professionnels de la justice (1).
Christiane Taubira veut en effet prendre le temps d’« étudier avec attention, avant de faire connaître [son] arbitrage », le rapport que lui ont remis le même jour Jacqueline de Guillenchmidt, ancien membre du Conseil constitutionnel, et Bernard Bacou, premier président honoraire de la cour d’appel d’Aix-en-Provence (2). La garde des Sceaux les avait mandatés en octobre dernier pour préciser le cadre juridique de cette juridiction délocalisée – la première du genre en zone d’attente – et étudier sa conformité aux exigences européennes et nationales de respect des droits de la défense et du droit au procès équitable. Au final, les rapporteurs recommandent plusieurs aménagements – notamment matériels – présentés comme un préalable indispensable à la mise en service de l’annexe.
La ministre a également indiqué qu’elle saisira « rapidement le ministre de l’Intérieur pour l’informer de ses observations et l’interroger sur les travaux recommandés ».
L’annexe judiciaire du TGI de Bobigny est, rappelons-le, destinée à juger le seul contentieux des prolongations du maintien en zone d’attente des étrangers auxquels la police aux frontières (PAF) a refusé l’accès au territoire (3). Dans leur rapport, Jacqueline de Guillenchmidt et Bernard Bacou analysent son cadre juridique et s’arrêtent en particulier sur les critères de localisation des locaux controversés par rapport à la zone d’attente elle-même. Ils estiment ainsi que, en la matière, bien que les lois qui les régissent soient différentes, les règles appliquées aux salles d’audience délocalisées situées auprès des centres de rétention administrative (CRA) – qui ont été précisées par une jurisprudence établie (4) – peuvent être transposées pour les zones d’attente dans la mesure où il s’agit, dans les deux cas, de connaître de la prolongation d’une privation de liberté. Ainsi, comme pour les centres de rétention administrative, les salles d’audience délocalisées peuvent être « à proximité immédiate » de la ZAPI mais ne doivent en aucun cas être situées « au sein » de la zone elle-même. Plusieurs décisions de jurisprudence ont précisé cette notion de « proximité immédiate » en ce qui concerne les centres de rétention, posant un certain nombre de conditions pour bien marquer la distinction entre la salle d’audience et le centre lui-même. Les rapporteurs en ont tenu compte, par transposition, pour examiner la situation des locaux controversés.
Les conditions de fonctionnement de l’annexe du TGI de Bobigny ont, plus précisément, été passées au crible sous trois angles: celui de la garantie des droits de l’étranger non admis, celui de la publicité des audiences, et celui de l’impartialité de la juridiction. Soit les trois principes qui synthétisent les exigences européennes et nationales quant au déroulement du procès équitable.
Les rapporteurs estiment, en premier lieu, que la délocalisation des audiences dans l’annexe de Roissy ne porte pas atteinte aux droits à un avocat et à un interprète. « Il conviendra cependant que l’organisation tant du service des interprètes de Bobigny que de celui de l’aide juridictionnelle accordée aux étrangers qui la sollicitent ne soit pas entravée par les contraintes inévitables dues à l’éloignement du tribunal », indiquent-ils. Ce bémol mis à part, leur appréciation est positive. Ils évoquent par exemple des locaux « correctement conçus, tant pour favoriser les entretiens préalables avec les avocats et une assistance continue des interprètes que pour permettre aux proches des étrangers déférés d’apporter le cas échéant sur place tous éléments utiles à la défense ». Ou bien encore une salle de réunion « réservée exclusivement aux avocats » et jugée comme « suffisamment spacieuse » et « pouvant être équipée de liaisons informatiques et contenir un fonds documentaire ».
En clair, pour les rapporteurs, « les conditions pratiques apportées à l’exercice effectif de la garantie des droits de l’étranger semblent remplies ».
L’emplacement de l’annexe à Roissy n’est pas, à leurs yeux, davantage susceptible de porter atteinte à la publicité des débats. Pour assurer le respect de ce principe – qualifié de « garantie de procédure essentielle » –, « une accessibilité satisfaisante est exigée », indique le rapport. Ce qui implique à la fois « une claire identification des lieux et leur signalisation extérieure ». Sur ces deux plans, les rapporteurs notent que des mesures d’amélioration ont d’ores et déjà été prises et que d’autres sont en cours de réalisation (déplacement des clôtures extérieures sur la voie publique et de clôtures intérieures vers la ZAPI de Roissy, meilleure signalisation extérieure de l’annexe sur la voie publique mais aussi sur la zone aéroportuaire, à partir notamment de la station « Charles de Gaulle 1 » de la ligne B du RER). Tant et si bien que, à leurs yeux, « les arguments qui sont avancés pour contester le projet de mise en service de l’annexe et qui sont relatifs à l’impossibilité pratique pour le public de la rejoindre et d’assister aux audiences […] ne paraissent pas devoir être retenus ».
Reste la question de l’impartialité de la juridiction qui, indique le rapport, « s’apprécie non seulement en elle-même mais aussi au regard de la représentation du tribunal perçue par celui qui est l’objet du procès ». Sur l’impartialité du juge des libertés et de la détention (JLD) en elle-même, Jacqueline de Guillenchmidt et Bernard Bacou disent « ne pas bien voir en quoi le fait pour les juges des libertés et de la détention de se trouver dans une salle d’audience ainsi délocalisée pourrait représenter un risque de nature à entacher leur impartialité ». Ils estiment notamment que l’isolement physique du juge « sera atténué par les liaisons informatiques prévues », qui « lui permettront de communiquer rapidement et facilement par courrier électronique avec ses collègues, notamment avec ceux qui ont eu à connaître d’une question similaire » ou bien encore « de rechercher une jurisprudence sur les bases de données accessibles au tribunal ». Ils notent en outre que, selon le système en vigueur au TGI de Bobigny, les audiences relatives au contentieux de la prolongation du maintien en zone d’attente sont confiées à tour de rôle à chacun des six JLD que comprend la juridiction. « C’est donc un jour par semaine que chacun d’entre eux devrait se rendre à l’annexe de Roissy », ce qui « limite la portée des pressions susceptibles d’être exercées sur eux ».
Le rapport se fait, en revanche, plus critique dans son appréciation de « l’impartialité apparente » de la juridiction. En effet, pour ses auteurs, « il serait porté atteinte à ce principe […] si les lieux restaient en l’état ». L’accès direct de l’étranger depuis une zone privative de liberté à la salle d’audience sans sortir de cette zone est à cet égard pointé du doigt : « une simple porte [fait] communiquer directement la ZAPI à la salle d’audience ». Or pour les rapporteurs, « seule une sortie effective de la zone d’attente par l’extérieur avec un contournement du bâtiment judiciaire pour y accéder – après un passage devant l’entrée principale – par une autre entrée secondaire serait susceptible […] de satisfaire à la nécessité de l’apparence d’impartialité ». « L’étranger maintenu doit avoir conscience de rejoindre un lieu particulier destiné exclusivement à l’exercice de la justice », indiquent-ils, recommandant en conséquence qu’un tel itinéraire d’accès soit défini (5). Ils jugent également indispensable que soit murée la porte communicante entre l’annexe et la ZAPI.
Un autre point pose problème, toujours au regard de l’impartialité apparente : le fait qu’il soit prévu que l’accueil, le contrôle de l’entrée et la surveillance de l’audience soient confiés à la police aux frontières (PAF), qui a placé les étrangers en zone d’attente et est partie à l’audience. « Située sur l’emprise de l’aérodrome, l’annexe du TGI de Bobigny doit apparaître comme un lieu autonome où la justice est rendue », estiment les rapporteurs, qui recommandent en conséquence de substituer à la PAF un autre service public de sécurité pour exercer ces fonctions.
(1) Une émotion motivée par la crainte que cette salle d’audience délocalisée porte atteinte aux principes fondamentaux qui régissent le procès équitable, en raison de la proximité de la zone d’attente elle-même – Voir ASH n° 2825 du 20-09-13, p. 18.
(2) Rapport disponible sur
(3) Le maintien initial en zone d’attente est de quatre jours. Passé ce délai, seul le juge des libertés et de la détention peut prolonger ce maintien (jusqu’à 20 jours, voire 26 pour les demandeurs d’asile).
(4) A l’inverse, il n’y a aucune jurisprudence sur les secteurs judiciaires des zones d’attente, l’annexe construite à Roissy étant la première sur le territoire national.
(5) Les rapporteurs en proposent un dans un document annexé au rapport.