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Gardienne du droit

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Déléguée du défenseur des droits dans la Seine-Saint-Denis, Valérie Iaconelli assiste des usagers en litige avec une administration ou un service public. Avec une attention spécifique pour les publics précaires. Reportage à la maison de justice et du droit de Clichy-sous-Bois-Montfermeil.

« Alors voilà, je viens vous voir parce que, depuis février 2013, je ne touche plus l’allocation de soutien familial que la CAF [caisse d’allocations familiales] me versait, vu que mon ex-mari ne paie pas la pension », résume Ozlem U. Assise dans un bureau anonyme de la maison de justice et du droit (MJD) de Clichy-sous-Bois-Montfermeil (Seine-Saint-Denis), la jeune femme à la chevelure dissimulée sous un fichu coloré déroule le fil de son histoire, depuis le moment où elle a décidé de se séparer de son époux. « J’ai pourtant répondu à tous les courriers de la CAF et envoyé les justificatifs demandés », précise-t-elle, documents à l’appui. Face à elle, Valérie Iaconelli écoute patiemment et prend quelques notes. Déléguée du défenseur des droits en Seine-Saint-Denis depuis le 1er juin 2012, la retraitée reçoit deux mardis par mois dans cette permanence et deux jeudis dans un bureau de la sous-préfecture du Raincy.

Le défenseur des droits (1) est une institution créée en 2011 résultant de la fusion de quatre institutions préexistantes : le médiateur de la République, le défenseur des enfants, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité et la Commission nationale de déontologie de la sécurité (2). Son rôle est de veiller au respect des droits et des libertés et à la promotion de l’égalité. Dans toute la France, sont présents 450 délégués du défenseur – tous bénévoles –, répartis en fonction de la démographie et de la sociologie des départements. « Plus de 80 de nos délégués interviennent ainsi en Ile-de-France, remarque Jean-François Gratieux, directeur du réseau territorial du défenseur des droits. C’est parce que la région est très peuplée, mais aussi parce qu’on y trouve nombre de quartiers sensibles ou classés “politique de la ville”. Et c’est là que vivent les populations qui ont besoin de nous. » Le Nord est le dépar­tement qui compte le plus grand nombre de délégués : 12, contre 10 en Seine-Saint-Denis… et seulement 2 en Ariège.

PLUS DE 80 000 REQUÊTES EN FRANCE EN 2012

Valérie Iaconelli est assistante de service social de formation. Elle a fait carrière à la Mutualité sociale agricole, en occupant des postes de conseillère technique et de responsable de programme, avant de devenir déléguée générale de la Fédération nationale des aînés, puis directrice du bureau européen des organismes de sécurité sociale et, enfin, responsable de mission internationale. Un beau parcours professionnel qui s’est achevé en 2012. « Mais j’avais encore envie d’être utile, de rester dans l’actualité sociale, explique-t-elle d’une voix flûtée. La médiation, le règlement amiable m’ont toujours intéressée. En 2011, j’ai postulé auprès du médiateur de la République, mais c’était la période de fusion. Je les ai recontactés après ma prise de retraite. » Comme elle, la plupart des délégués du défenseur des droits sont recrutés en fonction de leur connaissance du droit, de la législation sociale, des règles de fonctionnement des services publics. Par conséquent, beaucoup sont d’anciens magistrats, des hauts fonctionnaires, des policiers, des inspecteurs du travail, des responsables associatifs… Chacun exerce dans son département de domiciliation.

Pour l’année 2012, le défenseur des droits a recueilli au total 80 162 sollicitations, dont 83 % ont été traitées par les délégués départementaux, le reste étant exclusivement pris en charge par les collaborateurs du siège parisien. « Nous traitons tout litige en lien avec des autorités ou administrations locales, précise Valérie Iaconelli. Si une administration centrale est en cause, ou que la demande concerne la déontologie de la sécurité, le dossier sera transmis au siège. » La plus grande partie des sollicitations (62 419) concerne des demandes de médiation avec un service public : caisse d’allocations familiales, caisse primaire d’assurance maladie, administration fiscale, etc. Et parmi celles-ci, 43 % relèvent de la protection sociale et de la solidarité (53 % en Seine-Saint-Denis). « Cela révèle que notre accès au droit n’est pas à la hauteur de la complexité de notre système, souligne Jean-François Gratieux. Et que ce dernier n’est pas suffisamment humanisé, certains usagers ne parvenant pas à s’y insérer. » Les délégués départementaux peuvent être saisis par courriel. « Il m’arrive, lorsqu’un dossier est bien constitué, et après m’être entretenue au téléphone avec le demandeur, de résoudre ainsi des situations », explique Valérie Iaconelli. Mais la plupart des demandes lui sont rapportées lors des entretiens sur rendez-vous qu’elle assure dans ses deux permanences.

A Clichy-sous-Bois, la maison de justice et du droit est un lieu bien connu des travailleurs sociaux et des associations. « Les gens viennent exposer leurs difficultés à la greffière, qui gère également l’accueil et les oriente vers les différentes permanences organisées », résume la déléguée. Certains prennent directement rendez-vous par téléphone. Jusqu’à 12 ? entretiens de trente minutes peuvent être calés en une journée. « Je découvre en arrivant le nombre de rendez-vous et leurs thématiques qu’a notées la greffière », poursuit Valérie Iaconelli. Tous les rendez-vous ne sont cependant pas honorés. « Que certaines personnes ne viennent pas nous laisse du temps pour les dossiers plus délicats ou pour prendre quelqu’un en urgence », positive la déléguée. « Mais cela empêche aussi d’autres demandeurs potentiels de bénéficier de notre aide », souligne Radija Mechmache, la greffière de la MJD. Aujourd’hui, sur les 12 rendez-vous prévus, seules 6 personnes se seront finalement déplacées : un couple mixte qui estime que la municipalité leur refuse indûment le mariage, trois personnes dont la demande de naturalisation a été ajournée, un homme qui ne comprend pas pourquoi la CAF, à qui il doit rembourser un trop perçu d’indemnités journalières, a interrompu les prélèvements pour ensuite les reprendre en majorant sa dette de frais de dossier… Le dernier est un habitant de Montfermeil qui vient se plaindre de la gestion d’une association dont la nouvelle équipe cherche à l’évincer. Valérie Iaconelli l’écoute quelques minutes avant de lui conseiller de rencontrer un interlocuteur plus approprié.

UNE FORMATION POUR BIEN IDENTIFIER LES SITUATIONS

Entre deux rendez-vous, la déléguée du défenseur peut passer des coups de téléphone ou rédiger des courriels qui lui permettront d’interpeller les services publics concernés et d’obtenir la régularisation de certaines situations litigieuses. Lorsqu’elle redescend à l’accueil, alors qu’un autre rendez-vous vient d’être annulé, elle apprend qu’un demandeur, dont elle a déjà pris le dossier en main, était passé pour la voir. Victime d’une usurpation d’identité, il ne peut se faire délivrer ses papiers, et ne peut donc ni travailler ni bénéficier des allocations chômage… « Je sais que sa situation est extrêmement difficile. J’aurais bien aimé savoir s’il a reçu de nouvelles informations. » Plus tard, c’est un homme d’origine asiatique qui se présente à l’accueil. « Je voudrais un rendez-vous pour ma fille, qui a tout le temps des problèmes à l’école, explique-t-il avec un fort accent. Elle est tapée, cassée. » La greffière l’interroge : « Vous avez demandé à parler avec l’institutrice ? Qu’est-ce qu’elle dit » « C’est pareil, elle est avec eux », rétorque le père, à la limite de l’affolement… « Et l’inspection d’académie ? le changement d’école » Il n’est pas certain que la situation relève clairement du défenseur des droits, mais Radija Mechmache sait que Valérie Iaconelli préfère recevoir les gens et leur accorder un entretien plutôt que de les laisser dans le désarroi. Le père de famille repart donc avec une date en poche.

Avant de prendre leurs fonctions, les délégués bénéficient tous d’une semaine intensive de formation. « Cela m’a permis de compléter mes connaissances professionnelles dans des domaines qui m’étaient assez étrangers, comme la fiscalité ou l’urbanisme, résume la déléguée de Seine-Saint-Denis. J’ai pu également rencontrer des collègues qui avaient des compétences complémentaires aux miennes et apprendre à connaître le rôle du défenseur des droits, la manière dont les dossiers doivent être traités, quels experts nous pouvons solliciter au siège pour nous aider dans nos démarches. » Surtout, la formation permet aux futurs délégués d’apprendre à discerner quels sont les dossiers recevables. « Le litige doit concerner une des quatre thématiques du défenseur des droits, résume Valérie Iaconelli. Nous devons également représenter le dernier recours, c’est-à-dire que la personne doit avoir déjà engagé des démarches qui se sont révélées infructueuses auprès de l’institution dont elle conteste la réponse, le retard ou l’absence de réponse. » Enfin, la situation doit pouvoir se régler à l’amiable. Parfois, la simple écoute suffit à apaiser un demandeur très tendu. « Souvent les personnes se sont heurtées à des murs de silence pendant des mois, remarque-t-elle. On entend toutes les conséquences de la maltraitance administrative – surtout lorsque le premier contact se fait par téléphone – qui peuvent se traduire par de l’agressivité, des larmes, de l’exaspération, de la peur même, quand vous avez des personnes sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français. Et voilà quelqu’un qui les écoute, qui les reçoit assez rapidement, qui cherche à comprendre, les appelle par leur nom… » Françoise Le Berre, assistante de service social de secteur à Livry-Gargan, a ainsi eu recours aux services de Valérie Iaconelli en 2012. « Un bénéficiaire du RSA [revenu de solidarité active] s’est retrouvé à devoir régler la redevance audiovisuelle alors qu’il était exonéré de taxe d’habitation, et nous ne comprenions pas. J’avais fait des recherches dans les textes officiels, une demande de dégrèvement auprès des Impôts puis contacté à deux reprises le conciliateur fiscal avant d’écrire à la déléguée. »

Près de la moitié des rendez-vous en Seine-Saint-Denis débouchent sur une simple information. « Parfois, remarque la déléguée, mon intervention, c’est simplement de la pédagogie pour expliquer une situation, une décision, ses motivations ». Comme avec Sissi M., une Congolaise qui vit en France depuis trente ans et qui vient de recevoir un courrier annonçant l’ajournement de sa demande de naturalisation. Cette femme déclare avoir roulé sans permis parce que tous ses points lui avaient été retirés sans qu’elle en ait été informée. Sa condamnation figure à son casier judiciaire, ce qui interdit toute attribution de la nationalité française. Valérie Iaconelli le lui explique, car elle connaît bien ce genre de situation. « Vous pouvez attendre deux ans pour représenter votre demande de naturalisation ou demander dès maintenant l’effacement de la condamnation, précise-t-elle à la demanderesse. Mais si vous voulez faire cette démarche, cela ne relève pas de ma compétence, il vous faut aller voir le délégué du procureur. » Toujours, la déléguée cherche à proposer une orientation. « J’essaie de ne pas laisser repartir la personne bredouille, insiste-t-elle. A la MJD, c’est assez pratique car il y a de nombreuses permanences vers lesquelles je peux réorienter : délégué du procureur, avocats, SOS Victimes… »

Dans la plupart des cas, un seul rendez-vous est nécessaire. Le plus souvent, dès le lendemain, la déléguée départementale contacte les interlocuteurs identifiés. « Je me mets en rapport avec l’administration en cause, je lui fournis les pièces manquantes ou je pointe le dysfonctionnement, et le dossier suit son cours. » Au besoin, elle sera amenée à recontacter les demandeurs pour obtenir une pièce supplémentaire. L’activité occupe facilement un mi-temps. « Certaines situations sont très complexes à saisir. Or, si je dois me mettre en lien avec un interlocuteur, je dois être en mesure de les expliquer simplement. »

Avec la création du défenseur des droits, les délégués sont censés faire « de l’accueil unifié » – à la différence des quatre institutions précédentes, qui possédaient chacune des spécificités très marquées. « Même si nous avons un domaine de prédilection (pour moi, en l’occurrence, la médiation avec les services publics), les délégués doivent recevoir et évaluer toutes les demandes, résume Valérie Iaconelli. A nous, ensuite, de nous mettre en rapport avec des spécialistes pour nous appuyer dans notre dé­marche. » Ainsi, lorsqu’elle doit gérer une situation relevant de discrimination ou de la protection de l’enfance, elle se met en contact soit avec les experts du siège, soit avec un collègue spécialisé dans l’un de ces deux domaines. Pour la protection de l’enfance, elle sollicite Hélène Martignac, également déléguée dans la Seine-Saint-Denis. Cette ancienne directrice de la protection judiciaire de la jeunesse a d’abord exercé sous l’égide du défenseur des enfants. « La fusion a fait perdre beaucoup de visibilité aux missions relatives aux droits de l’enfance, regrette-t-elle. Beaucoup ont pensé que nous avions disparu et il y a une image à recréer. »

Pour les situations les plus simples, tels les refus d’inscription scolaire pour des enfants sans titre de séjour, Valérie Iaconelli gère elle-même : « La loi dit que tout enfant doit être inscrit à l’école, c’est clair. Je dis donc aux familles qu’elles peuvent se rendre à l’établissement, quelle que soit la position du maire, avec cet argument. Par ailleurs, il y a dans le département un tissu associatif fort qui peut les soutenir dans leurs démarches. » Mais certains cas sont plus complexes. « Je pense à ce grand frère qui est venu nous voir parce qu’on lui interdisait l’inscription de sa petite sœur à l’école, se rappelle Hélène Martignac. Mais il ne bénéficiait pas d’une délégation d’autorité parentale. Or le père était décédé et il n’avait aucun moyen de retrouver la mère vivant en Haïti. » L’affaire sera finalement traitée par le pôle « enfant » du siège du défenseur, car elle impliquait des échanges administratifs avec un pays étranger…

DES INTERLOCUTEURS DANS CERTAINES ADMINISTRATIONS

Pour Ozlem U., en difficulté avec la caisse d’allocations familiales, les démarches s’annoncent plus simples. Après avoir visé les documents que la jeune femme a apportés avec elle, Valérie Iaconelli remarque : « C’est à partir du moment où vous avez envoyé la copie de votre livret familial avec la mention du divorce que la caisse a suspendu les versements… » Sur le document bilingue, il est précisé que la séparation a été prononcée en Turquie, alors que le jugement a été rendu en France. Une incohérence qui incite peut-être la CAF à s’interroger sur la validité soit du jugement de divorce, soit du livret de famille… « Je vous propose que nous contactions plutôt la médiatrice de la CAF de Seine-Saint-Denis pour essayer de comprendre, suggère la déléguée. Soit ils prendront acte que les autorités turques se sont alignées sur la décision de justice française, soit il y aura lieu de faire enregistrer votre changement de nom à l’état civil français et, dans ce cas, c’est le siège qui devra se charger de votre dossier. »

Grâce, notamment, à l’action des délégués du défenseur, de nombreuses administrations ont d’ores et déjà mis en place des médiateurs ou des conciliateurs qui constituent leurs interlocuteurs naturels. « Lorsque nous contactons ces professionnels, ils répondent toujours très rapidement aux usagers », se réjouit la déléguée de Seine-Saint-Denis. Ces conciliateurs, même s’ils n’osent avouer que la priorité pourrait être donnée aux demandes présentées par les délégués, apprécient leurs dossiers bien présentés comprenant toutes les pièces nécessaires au traitement de la demande. « Nous avons connu une forte augmentation des réclamations entre 2011 et 2012, observe Brigitte Photirath, responsable de la cellule médiation de la CPAM de Seine-Saint-Denis. C’est lié au développement de la précarité, mais aussi à notre réorganisation interne qui a engendré un allongement des délais de prise en charge. Alors quand des dossiers complets nous sont présentés et qu’ils concernent des demandes prioritaires comme le versement d’indemnités journalières ou des ouvertures de droits pour les enfants, nous essayons toujours de les faire passer au plus vite. »

A la MJD, la journée se termine pour Valérie Iaconelli. Mais avant la fin de sa permanence, le couple mixte qui s’estime entravé dans son projet de mariage est revenu avec les éléments de son dossier montrant les démarches entreprises et les réponses fournies par la municipalité. Pour la déléguée départementale, du travail en perspective pour tenter de démêler les données objectives de la situation et voir comment une solution de droit pourra être apportée.

Notes

(1) Défenseur des droits : 7, rue Saint-Florentin – 75409 Paris cedex 08 – Tél. 09 69 39 00 00 – www.defenseurdesdroits.fr.

(2) Voir ASH n° 2712 du 3-06-11, p. 41.

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