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Aidants familiaux : plus d’exigences envers les femmes !

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Quel est l’impact du sexe de l’aidant sur la quantité d’aide accordée par les pouvoirs publics pour la prise en charge de la perte d’autonomie ? C’est sur cette question que s’est penchée Emmanuelle Piechowicz, assistante sociale dans un service départemental d’évaluation de l’APA et diplômée en sociologie. Elle met en exergue les représentations sexuées des professionnels de l’action sociale.

« Le maintien à domicile des personnes âgées dépendantes suppose qu’une aide dans les actes de la vie quo­tidienne leur soit apportée. Cette aide est bien souvent familiale et complétée par l’intervention de professionnels, aides-ménagères, infirmières, auxiliaires de vie sociale se relayant alors au domicile des personnes.

Assistante sociale dans un service départemental d’évaluation de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), diplômée en sociologie, avec pour spécialité les études de genre, je me suis interrogée sur l’impact de ce dernier dans la prise en charge par les pouvoirs publics de la perte d’autonomie. Les aides publiques qui permettent de financer l’intervention de professionnels se veulent tout à la fois équitables et adaptées à la situation du demandeur. Cette équité s’applique-t-elle de façon uniforme ­malgré les différences de genre ? Le fait que l’aidant soit un homme ou une femme entraîne-t-il une différenciation dans la quantité d’aide accordée ?

Pour reprendre les analyses de la so­ciologue Florence Weber (1), les parents de personnes âgées dépendantes se trouvent soit piégés, soit assignés à un rôle d’aidant, souvent qualifié de “naturel” dans la mesure où il découle de la nature même de leur lien matrimonial ou filial avec la personne en perte d’autonomie. Qu’il soit “piégé” parce qu’il est le seul à même de pouvoir aider, ou “assigné” parce que désigné au sein d’un ensemble d’aidants potentiels, l’intéressé se trouve confronté à des attentes sociales fortes de la part des politiques publiques et des professionnels de ce secteur.

La construction des politiques publiques du maintien à domicile s’inscrit dans une tension permanente entre l’instauration d’un droit à la compensation des effets du vieillissement et le maintien d’une prise en charge familiale de la vieillesse. Si, dans le secteur du handicap, le droit à compen­sation est devenu en France, depuis 2005, un fait établi, il n’en est pas de même pour ce qui est du handicap causé par les effets du vieillissement, les politiques publiques se maintenant dans un entre-deux mal défini.

Ainsi, depuis 2002, l’APA permet le financement d’heures d’aide-ménagère, de garde-malade, d’auxiliaire de vie, ainsi que d’aides techniques diverses. Elle est ouverte à tous mais n’intègre pas pour autant le système d’assurance de la sécurité sociale. La prise en charge de la dépendance devient un droit, mais un droit modulable en fonction de la situation personnelle des demandeurs. Par exemple, au cours d’une évaluation à domicile effectuée par des travailleurs sociaux, vont être pris en compte le niveau de dépendance de la personne, les besoins d’aide qu’elle exprime et les apports potentiels des membres de la famille. Il y aura, par exemple, des réticences à accorder des heures d’auxiliaire de vie le dimanche : il sera considéré comme normal par les évaluateurs que la famille assume l’aide ce jour-là.

Un rôle contraint et sous-valorisé

Autre entre-deux : le statut des tâches ménagères et du travail de care oscille entre marchandisation et maintien dans l’espace privé. Depuis la mise en œuvre de l’APA, les tâches ménagères connaissent un processus de marchandisation et d’étatisation, comme le décrit Florence Weber, dans la mesure où les allocations sont versées aux bénéficiaires et que ces derniers rémunèrent eux-mêmes des aides à domicile du secteur privé. Mais, en parallèle, l’aide familiale reste cruciale dans le maintien à domicile des personnes dépendantes (GIR 1 à 4) : elle est estimée à 70 % du coût des besoins d’aide exprimés (2). Economiquement, l’aide familiale est donc une nécessité, et les politiques publiques s’orientent vers une dynamique de soutien de ces aidants naturels [voir notre “Décryptage”, ce numéro, page 28].

Le rôle de l’aidant est considéré comme une obligation : il se doit d’être un partenaire sur lequel les professionnels vont s’appuyer et de coordonner les interventions de ces derniers. Assigné à résidence, il doit être présent pour que les professionnels puissent entrer au domicile, veiller au renouvellement des ordonnances, s’assurer que le matériel de soin est approvisionné, assurer des soins pour lesquels il n’a aucune qualification, et surtout assurer la surveillance du malade parfois désorienté jour et nuit, sept jours sur sept. Son absence de qualification le place sous l’autorité des experts, en particulier médicaux. Et dans le même temps, il subit une prise de possession de son espace privé du fait du défilement des différents intervenants.

Rôle contraint, certes, mais en même temps rôle sous-valorisé dans la mesure où il est considéré comme “naturel”. Celui du conjoint l’est tout par­ticulièrement car, si via l’APA l’aide des enfants peut être rémunérée à hauteur du SMIC, il n’est en pas de même pour l’aide du conjoint qui ne bénéficie d’aucune reconnaissance financière, même s’il se trouve toujours en activité et doit réduire son temps de travail.

Tenaces inégalités hommes-femmes

Au-delà de ces considérations générales, il apparaît que les attentes des professionnels envers les aidants dits “naturels”, en termes d’investissement comme de limite à cet investissement, sont sexuées. L’aidant n’est pas “assigné” ni soutenu par les pouvoirs publics de la même façon selon qu’il est homme ou femme. Deux fois sur trois, l’aidant principal est une femme, quatre fois sur cinq lorsque l’aide concerne des personnes totalement dépendantes. Pourquoi ? La prise en charge de la perte d’autonomie s’inscrivant dans l’univers domestique et du soin à la personne, le fait d’être une femme ­prédispose socialement à cette obligation.

Une démographe d’un service départemental et moi-même avons analysé les différences de plans d’aide attribués au titre de l’APA en étudiant l’impact du sexe de l’aidant naturel. Nous avons utilisé comme base de données les volumes horaires d’intervention d’aide-ménagère et d’auxiliaire de vie financés par un conseil général auprès de 626 personnes âgées vivant en couple et présentant une perte d’autonomie importante (GIR 2), physique ou psychique, et nécessitant une surveillance permanente. Ces données statistiques sont complétées par une observation des entretiens menés par les travailleurs sociaux du service d’évaluation.

Nous avons constaté que les volumes horaires alloués aux personnes dépendantes fluctuent en fonction de leur sexe et donc de celui de l’aidant naturel qui se trouve être le conjoint. A niveau de dépendance et âge égaux, les femmes bénéficient de moins d’heures d’aide lorsque leur mari devient dépendant. Un homme aidant sur quatre perçoit plus de 50 heures d’aide par mois, alors que c’est seulement le cas d’une femme sur six. En revanche, trois femmes sur dix bénéficient de moins de 25 heures d’aide, alors que c’est seulement le cas de deux hommes sur dix.

Auprès de cette génération marquée par une forte division sexuée du travail, les différences de propositions d’aide s’expliquent par plusieurs raisons. Tout d’abord, il s’agit pour les politiques publiques d’assurer une compensation du travail – ménage, repas – que la femme dépendante ne peut plus assurer.

Ensuite, il est accordé aux hommes une plus grande possibilité de délégation de l’aide aux professionnels. Les hommes eux-mêmes présentent une plus grande facilité à mettre en place un étayage professionnel et les attentes des professionnels vont être moindres à leurs égards. Les situations d’épuisement touchent alors plus particulièrement les femmes qui se trouvent lourdement impliquées dans les tâches de nursing. Les comptes rendus des professionnels mentionnent des propositions de relais lorsque cet épuisement est constaté. Mais ils précisent également que les femmes ne sont pas toujours prêtes à accepter de déléguer ce qu’elles jugent relever de leur rôle d’épouse.

En outre, l’entrée en institution est évoquée plus rapidement par les conjoints lorsque s’accentue la perte d’autonomie. Les femmes représentent 40 % des personnes très dépendantes à domicile, alors que, parmi les moins dépendantes, ce chiffre s’élève à 56 %.

Enfin, lors des évaluations à domicile des pro­fessionnels, il apparaît rapidement nécessaire que les hommes n’assurent pas auprès de leur épouse l’aide à la toilette et les soins intimes et que ceux-ci soient effectués par des professionnels. Alors que le fait qu’une épouse assume la toilette de son mari n’est pas considéré comme problématique. Cette affirmation est également valable pour les fils aidants : s’il n’est pas choquant pour les professionnels qu’une fille fasse la toilette de sa mère, voire de son père, le fait qu’un fils effectue la toilette de sa mère apparaît difficilement concevable, et l’intervention des belles-filles est privilégiée. Les hommes cantonnent alors leurs interventions dans le registre de la gestion des biens, des courses et des accompagnements à l’extérieur.

Ainsi, l’évaluation personnalisée des besoins dans la prise en charge de la perte d’autonomie permet, certes, un ajustement aux desiderata de la personne à aider. Mais, dans le même temps, la proposition d’aide est soumise à des contraintes budgétaires… ainsi qu’aux normes de pensée des évaluateurs qui vont également conditionner les aides attribuables, et par là même l’investissement nécessaire des aidants. Les femmes se trouvent alors moins aidées, objets d’attentes plus fortes dans leur rôle d’épouse, qui intègre sans interrogation la prise en charge quotidienne d’un conjoint devenu dépendant.

Contact : emmanuelle.piechowicz@gmail.com

Notes

(1) Handicap et dépendance, drames humains, enjeux politiques – Editions Rue d’Ulm, 2011.

(2) Alain Paraponaris, « Un acteur menacé de rupture », in Proximologie, regards croisés sur l’entourage des personnes malades, dépendantes ou handicapées – Hugues Joublin (dir.) – Flammarion, 2006.

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