A trop vouloir prendre en considération les aidants, ne risque-t-on pas d’en faire les pivots du dispositif d’aide ? C’est le péril que pointe le blog Repolitiser l’action sociale (1) en constatant que l’aidant est désormais « positionné comme coordonnateur voire comme manager » – avec, parfois, la complicité des personnes elles-mêmes qui revendiquent avec force leur « expertise de l’expérience ». Il y a là une « forme de zone grise entre l’aide, qui procède de relations privées, affectives, et l’intervention des professionnels qui opère sur d’autres registres », observe le site militant.
Or, dans un contexte de maîtrise des dépenses publiques, ce brouillage de l’intervention des uns et des autres n’est pas insignifiant : il n’y a qu’un pas à franchir pour que les aidants deviennent les instruments d’une politique de prise en charge de la dépendance à bon marché. « Consciemment ou inconsciemment, ce processus tend à introduire des éléments d’un modèle familiariste, très présent en Europe du Sud, de nature à pallier les insuffisances de l’offre professionnelle en matière de maintien à domicile », s’inquiète Repolitiser l’action sociale. « L’enjeu est clairement financier : sans l’aide bénévole délivrée par les familles, les pouvoirs publics se rendent bien compte que la prise en charge des personnes dépendantes ne serait pas à la hauteur », renchérit Valérie Luquet, chargée d’étude au Cleirppa (Centre de liaison, d’étude, d’information et de recherche sur les problèmes des personnes âgées). Sur le terrain, Patricia Cordeau, directrice de la fédération UNA-Paris, le constate : « Du fait des contraintes de pouvoir d’achat et d’une solvabilisation insuffisante des personnes fragiles, la durée de nos interventions à domicile a tendance à se réduire, ce qui rend d’autant plus fondamental le relais avec les aidants. »
De quoi susciter la circonspection des associations à propos de la future loi d’orientation et de programmation pour l’adaptation de la société au vieillissement (2) : « Il faut être vigilant : toute personne dépendante doit pouvoir recourir aux interventions professionnelles dont elle a besoin. Cela fait partie de notre pacte social et il est hors de question que les aidants deviennent les intervenants prioritaires », met en garde Florence Leduc, présidente de l’Association française des aidants.
Même son de cloche au sein du Collectif interassociatif d’aide aux aidants familiaux : « Les aides aux proches aidants familiaux ne doivent en aucun cas être le prétexte à un désengagement de la solidarité nationale. » Pour Jérôme Reyne, directeur de l’autonomie au sein du conseil général de la Loire, département qui a engagé plusieurs actions en direction des aidants, tout miser sur ces derniers serait une « erreur stratégique compte tenu des effets négatifs de l’aide sur la santé des aidants – dont la prise en charge aurait elle-même un coût ».
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(2) La concertation préalable à l’élaboration de ce texte a été lancée le 29 novembre – Voir ASH n° 2836 du 6-12-13, p. 9.