La réforme pénale tant voulue par Christiane Taubira est sur les rails. Le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines a en effet été présenté en conseil des ministres le 9 octobre dernier. Il ne devrait toutefois être examiné en première lecture, à l’Assemblée nationale, qu’à partir d’avril 2014… juste après les élections municipales de mars.
Objectifs de ce texte, selon son exposé des motifs : « mieux individualiser les peines lors de leur prononcé » et « construire un parcours d’exécution des peines efficace dans la prévention des risques de récidive ». S’inspirant des propositions de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive (1), il a fait l’objet cet été d’une passe d’armes entre la ministre de la Justice et le ministre de l’Intérieur, ce dernier réclamant notamment une plus grande « fermeté de la loi pénale » (2). Christiane Taubira, elle, considère que le texte propose « une réforme de rupture, telle […] qu’annoncée pendant la campagne présidentielle ». Elle a toutefois reconnu, le 10 octobre sur France Inter, qu’elle aurait aimé pouvoir aller plus loin, mais que cela n’avait pas été « politiquement possible ». Ce qui a déçu les professionnels du secteur qui ne trouvent pas le texte vraiment à la hauteur des enjeux (3).
La mesure phare du projet de loi est la création d’une nouvelle peine, la contrainte pénale. Applicable aux auteurs majeurs des délits punis d’une peine de prison inférieure à 5 ans, elle comportera des obligations et des interdictions que la personne condamnée sera tenue de respecter (obligation de réparer le préjudice causé, interdiction de rencontrer la victime ou d’aller dans certains lieux, obligation de formation, de travail ou de soins…). Sa durée pourra aller de 6 mois à 5 ans. « La contrainte pénale va s’enrichir au fur et à mesure » et sera évaluée au terme de trois années d’application, a indiqué Christiane Taubira. Et, pour permettre sa mise en œuvre, 1 000 postes supplémentaires de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation devraient être créés d’ici à 2017, dont 300 l’année prochaine (4). L’objectif étant que chacun d’eux ait la charge de 60 dossiers de condamnés – voire 40, selon le Premier ministre –, contre en moyenne 100 aujourd’hui. En outre, des postes pour les personnels administratifs et techniques des services pénitentiaires d’insertion et de probation ainsi que des postes de psychologues seront créés, a précisé la garde des Sceaux. Parallèlement, le recrutement de magistrats de l’application et de l’exécution des peines ainsi que de personnels de l’administration pénitentiaire se poursuivra.
Le projet de loi se penche également sur les modalités de la libération conditionnelle car, « lorsque les condamnés sortent de prison sans contrôle et sans suivi, le risque de récidive est nettement majoré », a rappelé le ministère de la Justice. Actuellement, sauf dans quelques cas particuliers, une libération conditionnelle ne peut intervenir qu’à la moitié de la peine, à la demande du condamné. Aussi le texte institue-t-il un examen systématique aux deux tiers de la peine de la situation des personnes condamnées à une peine inférieure ou égale à 5 ans afin d’envisager ou non leur libération anticipée sous contrainte (semi-liberté, placement sous surveillance électronique…). Pour les personnes condamnées à de longues peines, leur situation devrait aussi être obligatoirement examinée aux deux tiers de leur peine par le juge ou le tribunal de l’application des peines lors d’un débat contradictoire, même en l’absence de demande des intéressés.
Au-delà, le texte réaffirme le principe de l’individualisation des peines, notamment en supprimant les peines planchers instituées, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, par la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.
Le projet de loi énonce clairement les fonctions de la peine, affirme expressément le principe d’individualisation de la peine et définit les principes qui doivent régir sa mise en œuvre.
Selon la chancellerie, la question des finalités et des fonctions de la peine n’est « pas traitée de manière satisfaisante par le code [pénal] actuel, qui n’en parle que de façon très parcellaire et au surplus inexacte à l’article 132-24 ». C’est pourquoi le projet de loi précise que, afin de protéger la société, de prévenir la récidive et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des droits reconnus à la victime, la peine a pour fonctions :
→ de sanctionner le condamné ;
→ de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion.
« Ces deux fonctions sont en effet complémentaires, et non pas opposées, contrairement à ce que laisse croire la rédaction de l’article 132-24 », souligne l’exposé des motifs.
Le texte complète l’article 132-1 du code pénal afin d’affirmer clairement et de renouveler le principe d’individualisation de la peine.
Il énonce ainsi que toute peine prononcée par une juridiction doit être individualisée. Et, à ce titre, la juridiction devra, dans les limites fixées par la loi, déterminer la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur, de manière à ce que la peine remplisse les missions qui lui sont assignées (voir ci-dessus). L’objectif étant de permettre aux juges de prononcer des peines efficaces et adaptées.
Selon l’exposé des motifs, le projet de loi définit « d’une façon claire et cohérente » les principes devant régir la mise en œuvre des peines.
Le texte précise, tout d’abord, que « le régime d’exécution des peines restrictives et privatives de liberté vise à préparer l’insertion ou la réinsertion du condamné afin de lui permettre de mener une vie responsable, respectueuse des règles de la société et d’éviter la commission de nouvelles infractions ». Ce régime doit être « adapté au fur et à mesure de l’exécution de la peine en fonction de l’évolution de la personnalité du condamné, dont la situation fait l’objet d’évaluations régulières ». En outre, poursuit le projet de loi, « toute personne condamnée incarcérée en exécution d’une peine privative de liberté bénéficie, chaque fois que cela est possible, d’un retour progressif à la liberté, dans le cadre d’une mesure de semi-liberté, de placement à l’extérieur, de placement sous surveillance électronique, de libération conditionnelle ou d’une libération sous contrainte [modalité d’exécution de la peine instaurée par le projet de loi], afin d’éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire ».
Le projet de loi réaffirme aussi le principe du respect des droits de la victime. Ainsi, au cours de l’exécution de la peine, la victime devrait avoir le droit :
→ de saisir l’autorité judiciaire de toutes atteintes à ses intérêts ;
→ d’obtenir la réparation de son préjudice par l’indemnisation de celui-ci ou par tout autre moyen adapté ;
→ d’être informée, si elle le souhaite, de la fin de l’exécution d’une peine privative de liberté dans les cas et conditions prévus par le code de procédure pénale ;
→ à ce que soit, s’il y a lieu, prise en compte la nécessité de garantir sa tranquillité et sa sûreté.
L’autorité judiciaire sera tenue de garantir l’intégralité de ces droits tout au long de l’exécution de la peine, quelles qu’en soient les modalités.
Le projet de loi « supprime les automatismes qui entravent la liberté du juge et font obstacle à l’individualisation de la peine ». Individualisation qui vise à appliquer une sanction et des modalités de prise en charge adaptées à la situation particulière des personnes suivies dans l’objectif de limiter la récidive. Le texte abroge ainsi les dispositions ayant trait aux peines planchers, réduit les exceptions à l’excuse de minorité et met fin aux révocations de plein droit du sursis simple et du sursis avec mise à l’épreuve. Au-delà, il permet au juge d’ajourner le prononcé de la peine pour mieux connaître la personnalité du prévenu et adapter la sanction.
Le projet de loi instaure une césure du procès pénal, en créant une nouvelle possibilité d’ajournement du prononcé de la peine en faveur des personnes physiques lorsqu’il apparaît nécessaire d’ordonner des investigations complémentaires sur leur personnalité. En effet, souligne l’exposé des motifs, « les juges font le constat récurrent de la carence des procédures en éléments de personnalité, réduits le plus souvent à une fiche de renseignements de la police ou de la gendarmerie dressée sur l’unique base des déclarations de la personne mise en cause ». « Ces investigations complémentaires pourront notamment permettre au tribunal, en particulier quand il est saisi en comparution immédiate, de prononcer une peine d’emprisonnement d’une durée adaptée à la situation du condamné, de l’assortir s’il y a lieu d’un aménagement ab initio [5], en recourant à la semi-liberté, au placement extérieur ou à la surveillance électronique, ou encore d’éviter le prononcé d’une peine d’emprisonnement, au profit de la contrainte pénale » créée par le projet de loi.
A l’avenir, selon le texte, lorsque la juridiction ajournera le prononcé de la peine, elle devra fixer dans sa décision la date à laquelle il sera statué sur la peine. Et elle pourra placer ou maintenir la personne déclarée coupable sous contrôle judiciaire, sous assignation à résidence avec surveillance électronique ou en détention provisoire. La juridiction devra se prononcer sur la peine au plus tard dans un délai de 4 mois. Si l’intéressé est placé en détention provisoire, ce délai sera abaissé à 2 mois suivant le jour de sa première comparution au tribunal. Faute de décision au fond à l’expiration de ce délai, il sera mis fin à la détention provisoire. Et, s’il n’est pas détenu pour une autre cause, le prévenu sera mis d’office en liberté.
Le projet de loi supprime les articles 132-18-1, 132-19-1, 132-19-2 et 132-20-1 du code pénal et l’article 706-25 du code de procédure pénale qui permettent de prononcer des peines minimales en cas de délits et crimes commis en état de récidive légale ou en cas de délits violents (violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ou une incapacité totale de travail de plus de 8 jours…). « Outre qu’elles portaient directement atteinte au pouvoir d’individualisation des juridictions, ces dispositions n’ont eu aucun impact sur la prévention de la récidive, elles ont uniquement aggravé la surpopulation carcérale » (6), estime le gouvernement dans l’exposé des motifs. Selon Christiane Taubira, « si rien ne change, le maintien des peines planchers, qui ont généré 240 siècles d’emprisonnement supplémentaires depuis 2007, et l’allongement des peines prononcées par les tribunaux depuis plusieurs années permettent d’estimer que la France comptera 85 000 personnes sous écrou en 2017, voire 95 000 si l’escalade observée depuis 2011 se poursuit ».
S’agissant des mineurs, le texte supprime aussi les peines planchers prévues aux alinéas 14 et 15 de l’article 20 et à l’alinéa 1 de l’article 20-2 de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante (7).
Le projet de loi réforme les dispositions de l’article 20-2 de l’ordonnance de 1945 qui prévoit les exceptions à ce que l’on appelle communément « l’excuse de minorité ».
Cet article pose en effet le principe selon lequel les peines encourues par les mineurs de plus de 13 ans sont la moitié de celles encourues par les majeurs (au plus 20 ans si la peine encourue par les majeurs est la réclusion à perpétuité et au plus 7 500 € en cas d’amende). Il prévoit aussi des exceptions à ce principe, exceptions dont le nombre a été multiplié par trois par la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs. Le projet de loi porté par Christiane Taubira propose de revenir à une seule exception. Il prévoit ainsi que, si le mineur est âgé de plus de 16 ans, le tribunal pour enfants et la cour d’assises des mineurs peuvent, à titre exceptionnel, et compte tenu des circonstances de l’espèce et de la personnalité du mineur, décider qu’il n’y a pas lieu de faire application de l’excuse de minorité. Une décision qui doit être spécialement motivée.
A l’heure actuelle, une juridiction qui prononce une peine peut ordonner, sous certaines conditions, qu’il soit sursis à son exécution, c’est-à-dire qu’elle peut dispenser l’auteur d’une infraction d’exécuter sa peine. Toutefois, si la personne condamnée commet un nouveau délit ou crime dans un délai de 5 ans à compter de sa condamnation initiale pour crime ou délit, ou commet une nouvelle contravention dans un délai de 2 ans suivant sa première condamnation pour contravention de 5e classe, ce sursis est révoqué. Toujours dans l’optique de faire tomber les automatismes, le projet de loi prévoit que la révocation du sursis simple ne sera plus de plein droit mais, comme le sursis avec mise à l’épreuve, devra être décidée par la juridiction prononçant la nouvelle condamnation. L’objectif étant d’« éviter des révocations intervenant en aveugle de façon inopportune, alors même que le tribunal n’en avait pas connaissance, explique l’exposé des motifs. Les juridictions apprécieront ainsi librement et en toute connaissance de cause, en raison des circonstances, de la personnalité du prévenu et de la gravité des faits, si les sursis doivent être révoqués. » Concrètement, indique le projet de loi, « la juridiction peut, par décision spéciale, révoquer totalement ou partiellement pour une durée qu’elle détermine le sursis antérieurement accordé quelle que soit la peine qu’il accompagne, lorsqu’elle prononce une nouvelle condamnation à une peine de réclusion ou à une peine d’emprisonnement sans sursis ». Dans les mêmes conditions, elle pourra également « révoquer totalement ou partiellement le sursis antérieurement accordé qui accompagne une peine quelconque autre que la réclusion ou l’emprisonnement, lorsqu’elle prononce une nouvelle condamnation d’une personne physique ou morale à une peine autre qu’une peine de réclusion ou d’emprisonnement sans sursis ».
Une juridiction peut aussi, sous certaines conditions, dispenser le condamné d’exécuter tout ou partie de sa peine prononcée tout en le soumettant à certaines obligations (interdiction d’apparaître dans certains lieux, de rencontrer certaines personnes…). On parle alors de sursis avec mise à l’épreuve. Le projet de loi, explique l’exposé des motifs, tend à « mettre un terme à la révocation en cascade des sursis avec mise à l’épreuve prononcés successivement ».
Actuellement, l’article 132-50 du code pénal dispose en effet que, lorsque la juridiction ordonne l’exécution de la totalité de l’emprisonnement et si le sursis avec mise à l’épreuve a été accordé après une première condamnation déjà prononcée sous le même bénéfice, la première peine est d’abord exécutée à moins que, par décision spéciale et motivée, elle ne dispense le condamné de tout ou partie de son exécution. Le projet de loi met fin à l’automaticité de la révocation du sursis avec mise à l’épreuve, en prévoyant que son prononcé sera laissé à la libre appréciation du juge.
Le projet de loi tend à « construire un parcours d’exécution des peines efficace dans la prévention des risques de récidive » via la création de la contrainte pénale et des aménagements aux conditions de libération anticipée.
Le projet de loi crée une nouvelle peine alternative à l’emprisonnement, la contrainte pénale, qui participe à la fois à l’individualisation de la peine, à la prévention des risques de récidive et à la lutte contre la surpopulation carcérale. Contrairement à ce que préconisait la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, cette peine « ne se substitue pas aux peines existantes mais s’y ajoute, de sorte que les juges disposeront d’un nouvel outil de répression », a expliqué la garde des Sceaux. Précisant qu’il s’agit là d’une « première étape », une commission étant chargée notamment de « réfléchir à la mise en place d’une nouvelle architecture simplifiée des peines dans laquelle la contrainte pénale pourrait remplacer le sursis avec mise à l’épreuve, voire d’autres peines alternatives et restrictives de droit, et avoir, aux côtés de la prison et de l’amende, une place essentielle ».
( A noter ) La contrainte pénale ne concernera pas les mineurs.
Selon le projet de loi, lorsqu’un délit est puni d’une peine d’emprisonnement n’excédant pas 5 ans et que la personnalité de son auteur et les circonstances de la commission des faits justifient un accompagnement socio-éducatif individualisé et renforcé, la juridiction peut prononcer une peine de contrainte pénale. Sont donc exclus, a assuré la garde des Sceaux, « les délits les plus graves, punis de 7 ans ou de 10 ans d’emprisonnement ».
D’après l’étude d’impact du projet de loi, « ce sont environ 320 000 condamnations par an qui pourraient théoriquement relever de la contrainte pénale, dont 60 000 sursis avec mise à l’épreuve ». Selon la chancellerie, cette nouvelle peine devrait « s’appliquer en priorité aux personnes présentant des difficultés personnelles, sociales et de santé lourdes justifiant un suivi intense ; de même qu’aux personnes ancrées dans certaines formes de délinquance, en état de réitération et en état de récidive ». Partant de là, elle estime que le nombre de peines de contrainte pénale prononcées chaque année devrait se situer entre 8 000 et 20 000, et la durée moyenne de la peine devrait être « comprise entre 2 et 3 ans ».
Selon le projet de loi, la personne condamnée à une contrainte pénale sera astreinte, pour une durée comprise entre 6 mois et 5 ans, aux mesures d’assistance et de contrôle prévues à l’article 132-44 du code pénal (répondre aux convocations du juge de l’application des peines [JAP] ou du travailleur social désigné, prévenir ce dernier de ses changements d’emploi…), qui s’appliqueront dès le prononcé de la décision de condamnation et pour toute la durée de sa peine. Elle sera aussi astreinte, sous le contrôle du JAP, à des obligations et interdictions particulières destinées à prévenir la récidive en favorisant son insertion ou sa réinsertion au sein de la société, à savoir :
→ aux obligations et interdictions prévues à l’article 132-45 du code pénal (établir sa résidence en un lieu déterminé, s’abstenir d’entrer en relation avec certaines personnes, dont la victime, ou certaines catégories de personnes, et notamment les mineurs…) ;
→ à l’obligation d’effectuer un travail d’intérêt général ;
→ à l’injonction de soins s’il a été condamné pour un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru et qu’une expertise médicale a conclu qu’il était susceptible de faire l’objet d’un traitement.
« Ces obligations ou interdictions seront ainsi celles justifiées par la personnalité du condamné, les circonstances de l’infraction ou la nécessité de protéger les intérêts de la ou des victimes », souligne l’exposé des motifs.
En outre, précise le projet de loi, la juridiction pourra, à titre provisoire, imposer à la personne condamnée les interdictions et les obligations prévues à l’article 132-45, 4° à 14° du code pénal (contribuer aux charges familiales ou s’acquitter des pensions alimentaires dont elle est débitrice, ne pas détenir ou porter une arme…). Enfin, elle pourra prononcer, le cas échéant, tout ou partie des obligations et interdictions auxquelles était astreinte la personne dans le cadre de son contrôle judiciaire.
Après le prononcé de la décision, le président de la juridiction avertira la personne condamnée, lorsqu’elle est présente, des interdictions et obligations qui lui incombent ainsi que des conséquences qui résulteraient de leur violation (voir ci-dessous).
En cas de condamnation à la contrainte pénale, il est prévu que la situation sociale et criminologique ainsi que la personnalité du condamné soient, dans un délai qui sera fixé par décret, évaluées par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP). A l’issue de cette évaluation, ce dernier adressera un rapport au JAP comportant des propositions relatives au contenu et aux modalités de mise en œuvre des mesures, obligations et interdictions. Sur cette base, et après avoir entendu le condamné, le juge fixera par ordonnance les obligations et interdictions particulières auxquelles sera astreint l’intéressé. Et lui notifiera cette ordonnance (8), tout en lui rappelant les conséquences du non-respect de ses obligations et interdictions (voir ci-dessous).
Selon le projet de loi, la situation du condamné devra être réévaluée « à intervalles réguliers […] et au moins une fois par an par le SPIP et le JAP ». Au regard de cette nouvelle évaluation, le magistrat pourra, par ordonnance, modifier ou compléter les obligations et interdictions particulières, ou en supprimer certaines.
Si le condamné a satisfait aux mesures, obligations et interdictions qui lui étaient imposées pendant au moins 1 an, que son reclassement paraît acquis et qu’aucun suivi ne paraît plus nécessaire, le juge de l’application des peines pourra, par ordonnance, sur réquisitions conformes du procureur de la République, décider de mettre fin de façon anticipée à la contrainte pénale.
En l’absence d’accord du ministère public, le magistrat pourra saisir à cette fin, par requête motivée, le président du tribunal (ou un juge désigné par lui) qui statuera à la suite d’un débat contradictoire public. En cas de refus opposé à cette demande, une autre demande ne pourra être présentée qu’une année après. Il en est de même, éventuellement, des demandes ultérieures.
En cas d’inobservation par la personne condamnée des mesures, obligations et interdictions qui lui auront été imposées, le JAP pourra, d’office ou sur réquisitions du procureur de la République, compléter ses obligations ou interdictions. Toutefois, précise le projet de loi, si la solution ainsi prévue est insuffisante pour assurer l’effectivité de la peine, le JAP, d’office ou sur réquisitions du procureur de la République, pourra saisir, par requête motivée, le président du tribunal de grande instance (ou un juge qu’il aura désigné) afin que soit mis à exécution contre le condamné un emprisonnement d’une durée qui ne pourra excéder la moitié de la durée de la contrainte pénale ni le maximum de la peine d’emprisonnement encourue. Ce magistrat statuera à la suite d’un débat contradictoire public et fixera dans cette limite la durée de l’emprisonnement à exécuter. L’emprisonnement pourra s’exécuter sous le régime de la semi-liberté, du placement à l’extérieur ou de la surveillance électronique. Pour la chancellerie, « il s’agit d’un système très souple, qui permet de coller au plus près des parcours de sortie de la délinquance qui sont souvent chaotiques sans être définitivement compromis ».
Au cours de l’exécution de la contrainte pénale, le juge de l’application des peines pourra appliquer ces dispositions à plusieurs reprises dès lors que la durée totale des emprisonnements ordonnés ne dépasse pas la moitié de la durée de la contrainte pénale prononcée par le tribunal ou le maximum de la peine d’emprisonnement encourue. Si le ou les emprisonnements ordonnés atteignent cette durée, il sera mis fin à la contrainte pénale.
Lorsque le renforcement des interdictions et obligations du condamné se révèle insuffisant, le JAP pourra aussi ordonner son incarcération provisoire. A défaut de tenue du débat contradictoire devant le président du tribunal (ou le juge désigné par lui) dans un délai de 15 jours suivant l’incarcération de l’intéressé, celui-ci sera remis en liberté s’il n’est pas détenu pour une autre cause.
D’après le projet de loi, si, pendant l’exécution de la contrainte pénale, le condamné commet un nouveau crime ou délit de droit commun suivi d’une condamnation à une peine privative de liberté sans sursis, la juridiction de jugement pourra, après avis du JAP, ordonner également la mise à exécution de tout ou partie d’un emprisonnement d’une durée qui ne pourra excéder la moitié de la durée de la contrainte pénale prononcée par le tribunal ni le maximum de la peine d’emprisonnement encourue.
Le projet de loi met en place une procédure de libération sous contrainte pour les condamnés à de courtes peines ayant déjà effectué les deux tiers de leur peine, et prévoit, pour ceux condamnés à de longues peines, un examen systématique de leur situation aux deux tiers de leur peine en vue d’une éventuelle libération conditionnelle.
Selon la chancellerie, « 63 % des personnes libérées en fin de peine sans contrôle postérieur ont été recondamnées dans les 5 ans. Ce taux chute de 8 à 24 points lorsque les personnes détenues sont suivies après leur sortie par un aménagement de peine ». Elle souhaite donc « généraliser ce sas qui conduit à un retour progressif à la liberté et réduit le risque de récidive ». C’est pourquoi le projet de loi prévoit d’instaurer une procédure d’examen obligatoire de la situation des personnes condamnées à une peine maximale de 5 ans lorsqu’elles auront exécuté les deux tiers de leur peine (9). L’objectif étant « d’apprécier s’il y a lieu qu’elles bénéficient ou non d’une mesure de sortie encadrée », explique l’exposé des motifs.
Cet examen sera effectué par la commission de l’application des peines réunissant le JAP, le SPIP, le chef de l’établissement pénitentiaire et le procureur de la République. Sur la base de son avis, le JAP pourra décider ou non de prononcer une mesure de libération sous contrainte. Dans l’affirmative, la libération sous contrainte entraînera la fin de l’incarcération du condamné, alors placé sous le régime de la semi-liberté, de la surveillance électronique, du placement à l’extérieur ou de la libération conditionnelle, y compris en ce qui concerne les conséquences de l’inobservation de ces mesures, pour une durée égale à la durée de l’emprisonnement restant à subir. Signalons que, s’il n’est pas procédé à l’examen du condamné dans les délais prévus, le premier président de la chambre de l’application des peines de la cour d’appel pourra, d’office ou sur saisine du procureur de la République ou de la personne condamnée, ordonner la libération sous contrainte.
La chancellerie insiste : « ces nouvelles dispositions n’instituent pas un mécanisme de libération conditionnelle automatique, mais instaurent un examen obligatoire dans le cadre d’une nouvelle procédure rapide et adaptée ». L’étude d’impact soulignant que « les modalités de mise en œuvre et la conception [de la libération sous contrainte] se distinguent de la libération conditionnelle au sens où elle ne constitue pas un aménagement octroyé en fonction des efforts menés par la personne condamnée, mais une étape normale et nécessaire de l’exécution d’une peine destinée à encadrer et accompagner une personne condamnée à une courte et moyenne peine sortant de détention ». Toujours selon le document, la libération sous contrainte devrait aussi s’appliquer aux mineurs. Toutefois, « son application restera limitée au regard du faible nombre de mineurs condamnés éligibles à cette mesure ». En effet, le nombre de mineurs dont le quantum de peine (ou cumul) est inférieur ou égal à 5 ans et qui ont dépassé les deux tiers de leur peine sans bénéficier d’aménagement de peine est de 1 474.
( A noter ) Pour assurer une lisibilité au nouveau dispositif de libération sous contrainte, le projet de loi supprime les dispositions du code de procédure pénale relatives à la procédure simplifiée d’aménagement de peine et à la surveillance électronique de fin de peine, qui visent également à prévenir les sorties sèches de prison. Des dispositions en outre jugées « complexes et peu efficaces », indique l’exposé des motifs.
Le projet de loi aménage également les conditions d’octroi de la libération conditionnelle pour les personnes condamnées à de longues peines. Il prévoit ainsi que, lorsque la durée de la peine accomplie est au moins égale au double de la durée de la peine restant à subir, la situation des personnes condamnées exécutant une ou plusieurs peines privatives d’une durée totale de plus de 5 ans devra être examinée par le juge ou le tribunal de l’application des peines à l’occasion d’un débat contradictoire afin qu’il soit statué sur l’octroi d’une libération conditionnelle. Si l’intéressé a été condamné à une peine de réclusion à perpétuité, cet examen interviendra à l’issue de sa 18e année de détention. Le texte précise toutefois que le juge ou le tribunal de l’application des peines ne sera pas tenu d’examiner le dossier à l’occasion d’un débat contradictoire si le condamné a préalablement indiqué qu’il refusait toute mesure de libération conditionnelle. Signalons que, si le débat contradictoire n’intervient pas dans les délais, le président de la chambre de l’application des peines de la cour d’appel pourra, d’office ou sur saisine du condamné ou du procureur de la République, tenir ce débat.
Le projet de loi abaisse de 2 à 1 an pour les non-récidivistes et de 1 an à 6 mois pour les récidivistes les seuils d’emprisonnement à partir desquels le tribunal correctionnel ou le juge de l’application des peines peuvent ordonner de les placer sous le régime de la semi-liberté ou de la surveillance électronique, ou de leur faire bénéficier d’un fractionnement de peine. Cette disposition sera aussi applicable aux condamnés non incarcérés. Pour la chancellerie, cette modification devrait mettre « fin aux dispositions de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 qui permettaient l’aménagement immédiat de lourdes peines, et dénaturaient par là même le sens de la peine de prison. En outre, s’agissant des aménagements prononcés par le JAP, cette procédure avait pour effet de ralentir le processus d’exécution de la peine puisque la décision éventuelle d’aménagement pouvait prendre plusieurs mois durant lesquels la peine n’était d’aucune façon ramenée à exécution, même sous une forme aménagée ».
Ajournement de la peine. Le juge devrait pouvoir différer, d’au plus 4 mois, le prononcé de la peine pour investiguer sur la personnalité de l’auteur de l’infraction. Objectif : prononcer une peine adaptée à la situation du condamné.
Contrainte pénale. Les auteurs de délits punis de moins de 5 ans de prison devraient pouvoir exécuter leur peine en milieu ouvert, sous réserve de respecter un certain nombre d’obligations et d’interdictions. La durée de cette nouvelle peine devrait être comprise entre 6 mois et 5 ans.
En cas d’inobservation de la mesure, le juge pourrait renforcer les obligations ou interdictions des condamnés ou prononcer leur incarcération.
Libération sous contrainte.
Les condamnés à de courtes peines devraient voir leur situation systématiquement examinée par le juge aux deux tiers de leur peine pour savoir s’ils peuvent ou non bénéficier d’une mesure de sortie encadrée. Si oui, leur incarcération prendrait fin et ils seraient placés sous le régime de la semi-liberté, du placement sous surveillance électronique, du placement à l’extérieur ou de la libération conditionnelle.
Personnalisation de la peine. Pour assurer l’individualisation des peines, le projet de loi supprime les peines planchers et met fin aux révocations automatiques du sursis simple et du sursis avec mise à l’épreuve.
Il abaisse en outre à 1 an pour les non-récidivistes et à 6 mois pour les récidivistes les seuils d’emprisonnement à partir desquels un aménagement de peine peut être ordonné.
Insertion des condamnés (art. 12)
En vertu de l’article 3, al . 1 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, le service public pénitentiaire est assuré par l’administration pénitentiaire sous l’autorité du garde des Sceaux, avec le concours des autres services de l’Etat, des collectivités territoriales, des associations et d’autres personnes publiques ou privées. Une mission que le projet de loi précise en stipulant que chacun doit veiller, en ce qui le concerne, à ce que les personnes condamnées accèdent de façon effective à l’ensemble des droits de nature à faciliter leur insertion.
Rapports SPIP/JAP (art. 13 et 14)
Conformément à l’article 13 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) doivent mettre en œuvre les politiques d’insertion et de prévention de la récidive, assurer le suivi ou le contrôle des personnes placées sous main de justice et préparer la sortie des personnes détenues. Dans ce cadre, prévoit le projet de loi, ils devront procéder à l’« évaluation régulière » de la situation des personnes condamnées et définir, au vu de ces évaluations, le contenu et les modalités de leur prise en charge. Mais aussi informer le juge de l’application des peines de ces modalités de prise en charge que le magistrat pourra modifier s’il l’estime nécessaire pour renforcer le contrôle de l’exécution de la peine.
(5) C’est-à-dire décidé dès le prononcé de la peine.
(6) Le nombre de détenus a augmenté de 35 % entre janvier 2001 et janvier 2012, entraînant un taux d’occupation moyen de 118 % des établissements pénitentiaires.
(7) Des dispositions qui s’appliquent aussi à Mayotte.
(8) Le condamné, le procureur de la République ou le procureur général pourront, dans un délai de 10 jours à compter de sa notification, contester cette ordonnance devant le président de la chambre de l’application des peines de la cour d’appel. Cet appel ne sera pas suspensif.
(9) Le temps d’épreuve a été fixé aux deux tiers de la peine afin de « ne pas créer de régime concurrentiel avec la libération conditionnelle classique octroyée à la moitié de la peine », explique l’étude d’impact du projet de loi.