La question est revenue à plusieurs reprises, sous des formes plus ou moins abruptes, au fil du parcours d’agrément ou des entretiens d’embauche dans des services de placement familial : « Avez-vous des comptes à régler avec l’aide sociale à l’enfance ? » Visiblement, selon Patrick Cauche, son histoire suscitait autant d’admiration que de méfiance. Et pour cause : enfant placé pendant près de dix ans, il s’est tourné après une vie chaotique vers la carrière d’assistant familial. Ce parcours atypique, il le raconte avec autant de recul que possible dans Souvenirs et itinéraire d’un gosse de la DDASS, une autobiographie sincère et dépourvue d’acrimonie. Séparés de leurs sœurs, Patrick Cauche et ses frères sont ainsi placés chez Parrain et Marraine, un couple d’ouvriers agricoles d’un petit village du Pas-de-Calais, au milieu des années 1960. Une « bonne famille nourricière de l’époque », écrit-il. Comprendre : où les soins affectifs n’avaient guère de place. Derrière sa carapace, le petit garçon cache « une sensibilité à fleur de peau », exacerbée par le mystère entourant les raisons de son placement. « Une partie de moi n’arrivait pas à accepter cette énigme, se souvient-il. Pourquoi étais-je là ? Pourquoi moi ? Où sont mes parents ? » D’ailleurs, ce ne sont pas tant ces derniers qui lui manquent que « de pouvoir parler à quelqu’un, tout simplement ». Peu à peu, l’enfant se renferme et sent naître en lui une « révolte intérieure » qu’il ne parvient ni à comprendre ni à canaliser. Il passera son adolescence puis le début de sa vie d’adulte « paumé dans sa solitude », de foyer de jeunes travailleurs en foyer évangélique, tenté par la rue, la drogue et la délinquance. Ce n’est que bien plus tard, avec son épouse elle-même assistante familiale, qu’il entrera sur le chemin de la résilience, guidé par son « bon cœur » et sa « volonté d’aider ». A ce titre, l’ouvrage constitue également un plaidoyer pour la reconnaissance et la professionnalisation des assistants familiaux, appelés à s’éloigner autant que possible de cette « institution fantôme d’antan », « invisible, sourde et muette ». Car avec le recul, reconnaît Patrick Cauche, si comptes à régler il y avait, « ce serait plutôt avec la souffrance ».
Souvenirs et itinéraire d’un gosse de la DDASS
Patrick Cauche – Ed. L’Harmattan – 17 €