Comment se vivre viril quand on ne répond pas aux normes valorisant la performance individuelle et la vigueur des corps ? Et comment penser la spécificité de son expérience autrement qu’en la ramenant de façon dépréciative à celle des valides lorsqu’on ne dispose pas de mots adéquats pour la dire ? Ces interrogations sont au cœur de l’enquête sur les « masculinités en fauteuil » réalisée par le sociologue Pierre Dufour, lui-même « handi », auprès d’une vingtaine de ses pairs. « Le paysage langagier qui s’offre à chacun érige la stature verticale en indicateur de santé », tandis que la position assise évoque la faiblesse et « relègue au rang de perdant », souligne Pierre Dufour. Que faire ? Essayer perpétuellement de courir après ce que l’on n’est pas, ou bien s’avouer vaincu ? Les occasions de verser dans ce deuxième terme de l’alternative sont légion dans la vie quotidienne, notamment lorsqu’il s’agit de se déplacer. Quant à la sphère professionnelle, si « l’inscription salariée vaut gage d’intégration dans le monde des valides », adopter le comportement de ces derniers constitue non seulement une épreuve – et une épreuve à occulter – mais revient aussi à gommer sa singularité. Pourtant, à l’instar de grains de sable « dans les rouages valido-virils » selon lesquels la société est ordonnée, d’autres manières de s’appréhender comme homme, et en particulier comme homme sexuellement désirable, commencent à émerger, affirme le sociologue. C’est à cette émergence que Pierre Dufour entend contribuer, « car elle s’impose comme la condition d’un accueil de soi qui, pour l’heure, demeure précaire ».
L’expérience handie
Pierre Dufour – Ed. Presses universitaires de Grenoble – 18 €