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Travail social : la quête du premier emploi

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A Pôle emploi, un manque d’offres dans les métiers de l’action sociale

Crédit photo Elsa Maudet, Audrey Guiller, Clémence Dellangnol, Jérôme Vachon
Pour les jeunes travailleurs sociaux, trouver un premier poste a longtemps été une simple formalité. Si le secteur reste créateur d’emplois, la période semble pourtant moins faste et les nouveaux diplômés peinent parfois à s’insérer. Pour en avoir le cœur net, les ASH ont enquêté dans trois régions : la Franche-Comté, la Bretagne et l’Ile-de-France.

« Le secteur social et médico-social reste privilégié en matière d’emploi, mais la situation est tout de même moins favorable qu’il y a quel­ques années. » Ce commentaire de Jean-Marie Vauchez, président de l’Organisation nationale des éducateurs spécialisés (ONES), résume assez bien la situation de l’emploi dans le secteur social. Habituellement, les jeunes qui s’y engageaient n’avaient guère de difficultés à trouver un poste. « J’ai passé le DEES [diplôme d’Etat d’éducateur spécialisé] dans les années 1980, se souvient Jean-Marie Vauchez. En juin, j’étais diplômé. En juillet, je commençais à travailler en CDI à temps plein. » Cette réputation de secteur porteur en matière d’emploi continue d’ailleurs d’être relayée par les professionnels de l’orientation. « Les métiers du social ne connaissent pas le chômage. Il faut dire que les besoins vont croissant : le vieillissement de la population, l’augmentation des situations d’isolement, de dépendance et de précarité appellent un accompagnement social par des personnels qualifiés », annonce le site de l’Onisep.

UN « FLEUVE TRANQUILLE » DÉSORMAIS TOURMENTÉ

Pourtant, lorsqu’on rencontre de jeunes travailleurs sociaux, lorsqu’on lit ce que certains d’entre eux écrivent sur les forums spécialisés, leur parcours vers l’insertion professionnelle ne ressemble pas toujours au long fleuve tranquille qu’on leur avait promis. Une illustration avec l’histoire, glanée sur Internet, de cette monitrice-éducatrice diplômée depuis cinq ans et toujours à la recherche d’un poste fixe dans sa région. « J’ai eu la possibilité d’exercer mon métier pendant plus de deux ans au sein d’un IME [institut médico-éducatif], mais aujourd’hui, c’est vogue la galère, très peu de remplacements ou alors à la semaine, ou même à la journée. Donc, par besoin d’un minimum de stabilité, je me retrouve agent de service hospitalier en EHPAD [établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes], mais mon métier me manque. » « Le marché du travail social est plus tendu, confirme Caroline Fierobe, directrice des ressources humaines (DRH) de l’association Rénovation, à Bordeaux, membre de la commission « ressources humaines » du Syneas, l’un des principaux syndicats d’employeurs de la branche sanitaire, sociale et médico-sociale à but non lucratif (BASS). Nous le mesurons par le nombre de candidatures spontanées que nous recevons, qui est plus important qu’il y a quelques années. »

Pour en avoir le cœur net, les ASH ont enquêté dans trois régions : la Franche-Comté, Rennes et ses environs, et enfin l’Ile-de-France. Dans chacune, nous sommes allés à la rencontre des acteurs du secteur, et surtout de jeunes professionnels qui ont accepté de témoigner de la réalité de leur insertion professionnelle. Nous avons aussi interrogé les principales organisations nationales du secteur, afin de dresser un état des lieux le plus précis possible (1).

Si l’on s’en tient aux chiffres disponibles, l’insertion professionnelle des jeunes travailleurs sociaux reste rapide. « L’offre d’accueil et d’accompagnement en direction des personnes âgées, handicapées ou rencontrant des difficultés sociales poursuit son développement et continue de créer des emplois », indique-t-on à la direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Ce que confirme l’étude publiée en 2012 par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) du ministère du Travail (2). Un document qui retrace les trois premières années de carrière des diplômés de 2007 des formations sociales. Son principal enseignement : le temps moyen d’accès à l’emploi des sortants diplômés des formations sociales de niveau III (assistants de service social, éducateurs spécialisés, conseillers en économie sociale et familiale) a été ramené de 2,8 à 1,6 mois entre 2004 et 2007. Pour les niveaux IV (moniteurs-éducateurs), ce délai est passé de 2,5 à 1,7 mois. Trois ans après la fin de leurs études, parmi les sortants des formations sociales, sept sur dix bénéficiaient d’un contrat à durée indéterminée. Au total, les travailleurs sociaux diplômés en 2007 ont passé, durant ces trois années, 90 % de leur temps en emploi.

Autre source d’informations plus récente : l’enquête « Emploi » réalisée en 2012 par Unifaf, l’organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) de la BASS (3). Menée tous les cinq ans auprès des employeurs (hors secteur public), elle montre notamment que les difficultés de recrutement, longtemps monnaie courante, sont en net recul. « Sur tous les métiers de la filière sociale, en particulier les métiers éducatifs, les tensions en matière de recrutement sont très résiduelles, confirme Pierre-Marie Lasbleis, responsable du service « études et prospective » d’Unifaf. Ainsi, dans le champ de la protection de l’enfance, 22 % des établissements expriment encore une difficulté de recrutement, contre environ 30 % en 2007. Là où l’on observe des problèmes, c’est avant tout pour des questions d’attractivité, comme en Ile-de-France, notamment dans des établissements en internat. » Les employeurs ont ainsi deux fois moins de mal à recruter des éducateurs spécialisés qu’il y a cinq ans. Un recul qui provient en partie des progrès réalisés en matière de qualification (voir infographie page 27). Ce qui, selon Unifaf, s’explique à la fois par l’augmentation des effectifs en formation, par le développement de la validation des aquis de l’expérience et par le renforcement de la formation continue.

LA CROISSANCE DE L’EMPLOI TIRÉE PAR L’AIDE À DOMICILE

La troisième source de données sur l’emploi dans le secteur social et médico-social est l’étude publiée en 2012 par la direction « études, statistiques et prévisions » de Pôle emploi (4). Chiffre frappant : entre 2000 et 2010, l’emploi dans le secteur social et médico-social a connu un taux de croissance annuel moyen de l’ordre de 4,1 %, contre 0,6 % pour l’ensemble de l’emploi privé, soit 320 000 créations nettes d’emplois. Reste que ce bon résultat a été tiré principalement par le développement de l’aide à domicile. L’effectif des professionnels de l’action sociale (5), hors secteur public, a doublé en treize ans, pour atteindre un total d’environ 300 000 personnes. Mais cette croissance tend à ralentir : au premier semestre 2011, l’emploi n’a progressé que de 0,3 % dans les activités d’hébergement social et médico-social et a baissé de 0,4 % dans l’action sociale sans hébergement. Au 31 décembre 2011, les services de Pôle emploi comptabilisaient 27 000 éducateurs à la recherche d’un travail, dont 34 % étaient au chômage de longue durée. Du côté des professionnels de l’action sociale, ces mêmes services relevaient 13 458 demandeurs d’emploi, dont 32 % de chômeurs de longue durée (voir infographie ci-dessous).

Si l’on s’en tient à ces données, le secteur social et médico-social apparaît plutôt mieux loti que d’autres. Pourtant, des signes de fragilité apparaissent. Ainsi, les jeunes travailleurs sociaux ont beaucoup moins qu’auparavant le choix du lieu et du secteur de leur premier emploi. C’est ce que pointent assez unanimement les organisations syndicales et professionnelles. « Beaucoup ont du mal à trouver un emploi, à part peut-être sur des territoires ruraux très reculés ou en banlieue parisienne. Ils trouvent peu de postes en CDI, sont souvent sur des contrats précaires avec une mobilité contrainte, s’inquiète Michèle Vantorre, assistante de service social et animatrice du collectif Travail social à l’UGICT-CGT. Je suis responsable d’un service social à Nantes, dans la fonction publique territoriale. Pour notre dernier recrutement d’assistant social, nous avons reçu 200 réponses ! »

TRÈS SOUVENT, UN PREMIER CONTRAT PRÉCAIRE

De fait, les disparités entre régions se révèlent importantes. « L’Ile-de-France est plus ouverte au niveau de l’emploi, notamment parce que les travailleurs sociaux expérimentés ont tendance à partir vers d’autres régions. A Paris, le coût de la vie est très élevé pour les salaires des travailleurs sociaux », analyse Caroline Fierobe. « Pour ceux qui postulent à Paris et en région parisienne, il y a globalement du travail, atteste Antoine Guillet, vice-président de l’Association nationale des assistants de service social (ANAS). Mais si on cherche dans le sud de la France, cela devient compliqué. » Une illustration en est donnée par André Giral, secrétaire fédéral à SUD Santé-sociaux : « A Montpellier, où je travaille, il est de plus en plus difficile de trouver un emploi dans le secteur. Et c’est pour les métiers de niveau III que cela se révèle le plus difficile. » Et à la CFDT Santé-sociaux, premier syndicat du secteur social, qu’en pense-t-on ? « Nous nous occupons des salariés lorsqu’ils sont embauchés, et il est difficile d’avoir des informations sur ce qu’il se passe avant leur embauche », se contente de répondre Claudine Villain, secrétaire nationale, renvoyant vers les organismes de la branche professionnelle. Justement, à Unifaf, Pierre-Marie Lasbleis se montre peu inquiet : « Localement, certaines organisations d’employeurs ou de salariés peuvent faire état de situations difficiles avec du chômage mais, je n’ai pas l’impression que ce soit un phénomène massif. »

Autre évolution : pour le premier emploi, les contrats précaires sont désormais la norme. Ce que confirme l’enquête de la DREES. En 2007, les premiers emplois des jeunes diplômés étaient en CDD dans les deux tiers des cas, et à temps partiel pour près de 20 %. « C’est une réalité, mais beaucoup d’employeurs constatent que les jeunes professionnels eux-mêmes ne sont pas nécessairement demandeurs d’un CDI. Ils préfèrent faire des expériences diversifiées avant de se fixer durablement », affirme Pierre-Marie Lasbleis. Elle-même DRH, Caroline Fierobe voit surtout des avantages à l’usage du CDD : « C’est plus un atout qu’autre chose. On fait connaissance avec le professionnel, lequel peut vérifier que le poste lui plaît. Je m’attache à valoriser ce passage en CDD auprès du directeur qui pourra recruter la personne en CDI. » Du côté des organisations syndicales et professionnelles, à l’inverse, on dénonce cette forme de précarisation de l’emploi. « Il y a toujours eu cette période de tâtonnement en début de carrière, rappelle Jean-Marie Vauchez. Mais autrefois on passait d’un CDI à un autre. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. » Dans le secteur public, la situation est d’ailleurs identique, à en croire Antoine Guillet : « Pour les assistants sociaux employés dans la fonction publique territoriale, les emplois contractuels sont un peu le passage obligé avant de devenir titulaires. Or ils peuvent se renouveler plusieurs fois avant de réussir le concours sur titres. En fait, ce qui évolue, dans le public comme dans le privé, c’est le temps qu’on met à trouver un poste stable. » Des craintes que la DGCS entend tempérer : « Le recours au CDD pour le premier emploi est effectivement un peu plus fréquent que dans d’autres professions, surtout pour les formations de niveau III. Mais la situation s’inverse trois ans après l’obtention du diplôme. La proportion des personnes occupant un emploi sans limitation de durée y est alors nettement supérieure à la moyenne. »

Les organisations syndicales et professionnelles formulent une autre inquiétude : la tentation, chez certains employeurs, de réduire les dépenses de personnel en embauchant des professionnels de niveau IV ou V à la place de ceux de niveau III. Ce qui pourrait expliquer les difficultés d’insertion de jeunes diplômés. « La déqualification est un phénomène général. La génération du baby-boom part à la retraite, mais les remplacements se font par des professionnels moins qualifiés. On embauche des moniteurs-éducateurs à la place d’éducateurs spécialisés », affirme ainsi André Giral, de SUD Santé-sociaux. Même crainte chez Michèle Vantorre : « Il y a concurrence dans la fonction publique avec des professionnels venant du domaine de l’insertion qui n’offrent pas les mêmes niveaux de qualification. On trouve aussi des administratifs qui postulent sur des postes sociaux ! » Sans compter la concurrence entre diplômés de même niveau. « Lors du dernier concours sur titres de Paris et de la petite couronne, 100 places d’assistants socio-éducatifs étaient proposées, dont 80 ont été prises par des CESF. Il n’y a pas si longtemps, le rapport était inverse », souligne Antoine Guillet. Du côté des employeurs de la branche, là encore le son de cloche diffère légèrement. « Ces pratiques existent, mais à la marge. Pour faire des économies, au lieu de déqualifier, la tendance serait plutôt au temps partiel. On remplace un éducateur à temps plein par un trois quarts temps pendant quelques mois », décrit Caroline Fierobe. Pierre-Marie Lasbleis, d’Unifaf, se montre plus catégorique. « Il existe des dynamiques d’emploi plus favorables pour les diplômes de niveau IV et V, car les activités qui se développent sont plutôt autour de l’accompagnement des personnes dépendantes et des personnes handicapées. Mais quand on observe la structure de l’emploi sur une catégorie d’établissements – IME, foyers de vie ou MECS [maisons d’enfants à caractère social] –, l’équipe type ne présente pas d’évolution significative depuis 2007. Il n’y a donc pas, statistiquement, de remplacements massifs des éducateurs spécialisés par des moniteurs-éducateurs. » Une analyse contestée par Jean-Marie Vauchez : « L’enquête emploi d’Unifaf est fondée sur les déclarations volontaires des employeurs. Les “faisant fonction” sont ainsi officiellement en voie de régression, mais il m’arrive d’aller dans des structures où ils représentent 80 % du personnel éducatif, surtout dans des établissements difficiles. Aujourd’hui, plus on se rapproche de l’usager, moins on est qualifié. » A la DGCS, on se montre prudent sur cette question sensible : « Les enquêtes réalisées par la DREES et l’observatoire de la branche montrent qu’au cours des dernières années, les effectifs d’éducateurs spécialisés ont progressé plus vite que ceux de moniteurs-éducateurs. Il serait donc important d’analyser plus précisément les évolutions des équipes socio-éducatives, afin d’y voir plus clair sur ces substitutions de personnels qui ne sont pas systématiques et sont probablement circonscrites à certains “segments” ou certaines régions. »

TOUJOURS DU TRAVAIL, MAIS À QUELLES CONDITIONS ?

Des inconnues continuent à peser sur le marché du travail social, notamment l’impact du turn-over lié aux départs en retraite, qui, de l’avis général, se montre moins important que prévu au début des années 2000. « Les professions sociales connaissent depuis plusieurs années un développement important et restent relativement peu touchées par le vieillissement, précise la DGCS. Trois professions font néanmoins exception à ce constat, avec une proportion de salariés de 50 ans ou plus atteignant les 40 % : les aides à domicile, les professionnels de l’aide par le travail et les cadres socio-éducatifs. » Autre question sans réponse : l’adéquation entre le nombre des postes disponibles et les effectifs de nouveaux diplômés. « C’est particulièrement complexe. Il y a d’importants effets de mobilité interrégionale difficiles à piloter. En réalité, personne ne sait aujourd’hui résoudre cette équation », avoue Pierre-Marie Lasbleis.

Au final, le secteur social et médico-social sera-t-il encore à l’avenir porteur en matière d’emploi ? La plupart des acteurs en sont convaincus, même si c’est avec quelques réserves. « Je suis plutôt confiante sur la situation de l’emploi dans le travail social. Nous avons cependant encore besoin de communiquer sur nos métiers afin d’avoir toujours des candidats motivés pour travailler dans la relation humaine », développe Caroline Fierobe. « Je demeure malgré tout optimiste, indique également Michèle Vantorre, car il y aura toujours besoin de la régulation qu’apportent les métiers du social. Ce ne sera jamais un secteur complètement sinistré. Mais ce sont les conditions de travail qui se dégradent. » Une conviction partagée par Antoine Guillet : « En dépit des difficultés, je conseillerai encore à un jeune intéressé de s’engager dans le travail social. Ne serait-ce que parce qu’il aura de bonnes chances de trouver un emploi. Mais la question qui se pose, c’est plutôt quel travail, dans quelles conditions et avec quel statut ? » Signe des temps : certaines promotions, notamment d’assistants sociaux, peinent désormais à faire le plein…

Notes

(1) Cette enquête porte sur les métiers canoniques du travail social : éducateurs spécialisés, assistants de service social, conseillers en économie sociale et familiale, moniteurs-éducateurs.

(2) « Les trois premières années de carrière des diplômés de formations sociales en 2007 », Etudes et résultats n° 818 – Voir ASH n° 2780 du 26-10-12, p. 16.

(3) Enquête « Emploi 2012 » d’Unifaf, en partenariat avec l’Observatoire prospectif des métiers et des qualifications de la branche – Voir ASH n° 2798 du 22-02-13, p. 24.

(4) Repères et analyses n° 44 (mai 2012).

(5) Dans la famille des « professionnels de l’action sociale », Pôle emploi regroupe les éducateurs (entendus comme l’ensemble des professions éducatives) et les professionnels de l’action sociale proprement dits : les assistants de service social, les conseillers en économie sociale et familiale, les délégués aux mesures de protection juridique, les médiateurs familiaux, les professionnels de l’orientation et divers métiers de la médiation.

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