Recevoir la newsletter

La course aux contrats précaires

Article réservé aux abonnés

En Franche-Comté, l’insertion des jeunes travailleurs sociaux se dégrade et la précarité prend de l’ampleur. Au point que certains se demandent pourquoi les organismes de formation accueillent encore autant de personnes chaque année.

« Lorsque je suis entrée en formation, on me disait que c’était un métier qui avait de l’avenir, qu’il y avait de l’emploi. Là, c’est un peu le désenchantement. » Clara Moissenet est en troisième année de formation d’assistant de service social à l’institut régional du travail social (IRTS) de Franche-Comté. A la rentrée, les di­plômés du mois de juin sont venus rendre visite aux étudiants de sa promotion, pour leur dire où ils en étaient. « Ils nous ont expliqué que c’était compliqué pour eux de trouver un emploi stable. Une seule a trouvé un poste en CDI [contrat à durée indéterminée], et c’est à Paris », glisse la jeune femme de 22 ans, qui reconnaît avoir « un peu peur » pour la suite. « On nous dit que si on veut du travail, il faut aller là-bas… »

UNE VINGTAINE DE CANDIDATS POUR UN POSTE D’ÉDUCATEUR

Les travailleurs sociaux francs-comtois restent mieux lotis que pas mal d’autres professions : l’enquête emploi 2013 réalisée par l’IRTS de Franche-Comté (voir encadré page 30) montre que 81 % des assistants sociaux diplômés de l’IRTS de Franche-Comté en juin 2012 étaient en poste six mois après, tout comme 94,4 % des éducateurs de jeunes enfants (EJE) et plus des trois quarts des éducateurs spécialisés, conseillers en économie sociale et familiale (CESF) et moniteurs-éducateurs. Mais la situation s’est dégradée : parmi les assistants sociaux diplômés en 2008, ils étaient 96 % en poste six mois après l’obtention de leur diplôme… « Aujourd’hui, cela arrive dans un premier temps à certaines diplômées de ne pas être travailleuses sociales parce qu’elles ne trouvent pas, et de prendre par exemple un boulot de vendeuse. Quand je suis sortie de l’école, en 2001, on n’avait pas de difficultés à trouver un emploi », constate Laurence Mathioly, elle-même assistante sociale au centre hospitalier régional universitaire de Besançon et déléguée syndicale SUD Santé-sociaux.

Il y a près de un an et demi, Philippe Jean, directeur d’un institut médico-pédagogique à Choye (Haute-Saône), a dû procéder au remplacement d’un éducateur spécialisé qui partait à la retraite. « J’ai été surpris car au départ je me demandais si j’allais réussir à trouver un candidat, pas si j’allais être submergé de candidatures », s’étonne-t-il encore. Après diffusion de son annonce auprès de Pôle emploi et des IRTS de Besançon et de Dijon, il a reçu « entre 15 et 18 candidatures » – une situation inédite, pour lui qui a « l’impression que cela n’existait pas quelques années en arrière ». A l’institut thérapeutique, éducatif et pédagogique Courtefontaine, à Dole (Jura), le directeur, Philippe Adamy, reçoit « sans problème une vingtaine de candidatures pour un poste d’éducateur spécialisé », alors que, « il y a dix ans, on avait du mal à recruter, parce qu’on est à 20 kilomètres d’une ville, perdus à la campagne ». Il paraît loin, le temps où les travailleurs sociaux étaient assurés dès le mois de janvier d’avoir du travail en juin, sous réserve d’obtenir leur diplôme.

PARMI LES DIPLÔMÉS, UN TAUX DE CDI EN BAISSE

Le travail n’a certes pas disparu de la région, mais la précarité s’installe petit à petit. Chez les diplômés de l’IRTS, toutes formations confondues, le taux de CDI relevé environ six mois après l’obtention du diplôme est passé, entre 2008 et 2012, de 83,8 % à 76,8 % parmi les formations en cours d’emploi – signe que, même quand ils paient une formation, les employeurs n’ont pas toujours les moyens de réembaucher leur personnel après – et de 43,3 % à 32,8 % parmi celles en voie directe. « J’ai été étonné, beaucoup de candidats étaient sans activité depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, depuis leur diplôme, ou alors ils n’avaient eu que des CDD [contrats à durée déterminée] », se souvient Philippe Jean. Une jeune CESF de 24 ans a, pour sa part, décroché son premier emploi avant même d’être diplômée, grâce à un ancien stage. Elle reconnaît avoir trouvé « très facilement, très rapidement » du travail, mais toujours sur des remplacements de congés de maternité. « Nous savions bien que nous allions démarrer sur des postes de remplacement, ça ne me dérange pas », relativise-t-elle. Une situation que Sandra Kubiak, 25 ans et assistante sociale depuis juillet 2011, voit d’un moins bon œil. « Ce qui est contraignant, c’est qu’on ne sait jamais quand ce type de contrat se termine. Quand j’étais à l’aide sociale à l’enfance, on me disait le vendredi à 14 heures qu’on me gardait, puis à 16 heures qu’en fait on ne me gardait pas. On n’a pas de stabilité », regrette celle qui travaille aujourd’hui dans un conseil général. Elle n’a toutefois pas eu de mal à trouver son premier emploi, et s’est même offert le luxe de choisir son employeur. Selon elle, « ce qui rend compliquée l’insertion professionnelle des assistantes sociales, c’est le concours de la fonction publique ». Tant qu’elle ne l’aura pas, elle sait qu’elle sera ballottée de CDD en CDD.

Plus encore que les contrats à durée déterminée, les contrats d’insertion posent question. Les structures y ont recours depuis longtemps, mais les dérives semblent se multiplier, aux dires des employeurs comme des employés. « Je connais un éducateur spécialisé qui avait le bon profil et qu’on a forcé à prendre un contrat unique d’insertion, pourtant censé remettre le pied à l’étrier à quelqu’un éloigné de l’emploi », dénonce Norbert Marteau, délégué CFDT Santé-sociaux du Doubs. Çà et là, on se permet d’embaucher une personne en contrat aidé sur un poste de remplacement, et plus uniquement en supplément des effectifs inscrits dans l’organigramme. Par ailleurs, « parfois, des employeurs embauchent des personnes sous le titre de “travailleur social”, ce qui fait qu’on peut être tout et n’importe quoi », regrette Laurence Mathioly. Les moniteurs-éducateurs (niveau IV) sont de plus en plus préférés aux éducateurs spécialisés (niveau III), et les conseillers en économie sociale et familiale jugés plus « pratiques » et proches du « terrain », privilégiés face aux assistants de service social. « Nous assistons à une déqualification rampante », alerte Louis Cornet, délégué régional du Syneas (Syndicat des employeurs associatifs de l’action sociale et médico-sociale) et président de l’IRTS de Franche-Comté. Une situation d’autant plus préoccupante que les publics accueillis dans les structures sociales et médico-sociales sont de plus en plus difficiles et requièrent un plus grand savoir-faire. « Si on pense à l’argent, on va se planter sur le recrutement. Nous sommes garants de la qualité du service rendu », insiste Michel Hug, chef de service à l’atelier et chantier d’insertion Interm’aide, à Vesoul (Haute-Saône).

SAVOIR S’ADAPTER AU POSTE QUI SE PRÉSENTE

L’insertion des jeunes travailleurs sociaux en Franche-Comté n’a, bien sûr, rien d’homogène. Au-delà des différences entre les métiers – les EJE ont un taux d’emploi proche du sans-faute –, des divergences géographiques se font sentir : en zone rurale, les structures peinent encore à recruter, certaines devant s’y prendre des mois à l’avance pour être assurées d’avoir l’effectif nécessaire en cas de départ à la retraite ou de congé maternité. En effet, nombre de professionnels préfèrent rester à Besançon, en ville, là où, souvent, ils ont fait leurs études. « La personne qui veut travailler, elle peut trouver. Mais il faut être mobile et accepter de ne pas être dans son domaine de prédilection », prévient Lysiane Perrier, conseillère en économie sociale et familiale de 24 ans, en poste dans un centre hospitalier. De fait, les secteurs du handicap lourd et de l’accueil d’enfants difficiles peinent davantage à recruter que les structures relevant du handicap ordinaire. De même, les internats sont moins prisés que les horaires de jour. « Nous disons aux étudiants qu’ils doivent avoir une grande adaptabilité, chose dont nous ne parlions pas forcément auparavant. Aujourd’hui, ils n’ont plus un choix extraordinaire, ils prennent le poste qui se présente », reconnaît Louis Cornet.

Il est en tout cas des travailleurs sociaux pour lesquels la recherche d’un emploi se révèle moins complexe que pour d’autres : les hommes. Jamais une annonce ne précisera qu’un travailleur social sera préféré à une travailleuse, la pratique étant illégale. Mais, dans les faits, nombre de recruteurs reconnaissent privilégier des hommes, au nom de « l’équilibre » au sein des équipes, nécessaire selon eux notamment pour s’occuper de publics difficiles. Jean-Sébastien Gay, éducateur spécialisé de 36 ans, a été diplômé en 2011. « Je n’ai pas eu le temps de chercher du travail, concède-t-il. Une semaine après avoir eu mon diplôme, la structure où j’avais fait mon stage de deuxième année m’a appelé pour savoir si je pouvais venir. J’avais décidé de partir un peu en vacances avant de commencer là-bas et, sur la route, j’ai eu un coup de fil de l’endroit où j’avais fait mon troisième stage. » Employé à présent dans un dispositif d’accueil pour demandeurs d’asile, il refuse d’attribuer sa rapide insertion à son sexe – même s’il reconnaît qu’il y a « besoin d’un peu de mixité » –, d’autant, dit-il, que des hommes de sa formation, « même brillants », ont aujourd’hui encore des difficultés à trouver un emploi. Depuis quelques années, la situation des éducateurs spécialisés se complique un peu plus avec la validation des acquis de l’expérience : nombre de moniteurs-éducateurs l’utilisent pour devenir éducateurs spécialisés, ce qui favorise, certes, la mobilité interne, mais bloque le recrutement des professionnels de niveau III.

Face à ce constat global, une même interrogation revient dans la bouche des professionnels du social franc-comtois, à l’instar de Jean-Sébastien Gay : « Comment se fait-il que l’IRTS sélectionne autant de gens dans chaque promotion ? » Lorsqu’il était en formation, il regardait régulièrement les offres proposées sur le site de Pôle emploi, qui tournaient à chaque fois autour d’une trentaine. Par curiosité, il continue d’y jeter un œil aujourd’hui. Et le constat est sans appel : « Il y avait ce mois-ci trois offres sur toute la Franche-Comté, dont une en contrat d’accompagnement dans l’emploi. »

RÉÉVALUER LES EFFECTIFS DES PROMOTIONS ?

Chaque année, l’IRTS forme en moyenne une petite soixantaine d’éducateurs spécialisés (dont sept ou huit personnes en cours d’emploi), 35 assistants de service social, 25 CESF, une trentaine de moniteurs-éducateurs et autant d’éducateurs de jeunes enfants. « Il ne s’agit pas d’effectifs pléthoriques. Et puis l’insertion est encore bonne », assure un partenaire de l’école. Pourtant, pour Philippe Adamy, qui croule sous les demandes de stage, « les prévisions de départs en retraite ont été exagérées ». D’autant que les candidats ne sont pas toujours à la hauteur. « Parmi toutes les candidatures que l’on reçoit, on peut d’emblée en éliminer la moitié. On a l’impression qu’ils ne sont pas tout à fait dans le métier, même avec leur formation », note Didier Bailly, directeur général de l’association Saint Michel le Haut, qui gère une quinzaine d’établissements et services dans le champ du handicap, de l’enfance et de la précarité.

L’IRTS de Franche-Comté a diminué ses effectifs d’assistants sociaux cette année, passant de 40 à 35. Rien à voir, cependant, avec un souci d’insertion : le nombre de candidats au concours a tellement chuté qu’il a été décidé de réduire les promotions. Le nombre d’inscrits est en effet passé de 238 en 2007 à 115 en 2013 – conséquence, semble-t-il, d’une dégradation de l’image du métier, qui pousse l’école à puiser ses effectifs jusqu’au dernier de la liste complémentaire, voire à admettre des personnes qui n’avaient objectivement pas le niveau. Mais à part ce petit dégraissage, pas question de toucher aux effectifs globaux, officiellement encore parce que les taux d’insertion restent « bons ». Et parce que la préoccupation de l’IRTS se situe plutôt du côté de la gratification des stages (1). Certains admettent pourtant que la logique est d’un tout autre ordre : l’IRTS va mal financièrement, il ne faudrait pas tirer sur l’ambulance en réduisant le nombre d’étudiants qu’il accueille…

Malgré tout, les jeunes travailleurs sociaux ne sont pas les plus mal lotis en Franche-Comté, pour la simple et bonne raison qu’ils coûtent moins cher que leurs aînés. « Entre deux personnes qui me semblent très compétentes, dont l’une a trois ans d’ancienneté et l’autre vingt, la décision de recrutement sera orientée par le budget. On va plutôt jouer la prudence », reconnaît Philippe Jean. Certaines personnes expérimentées peinent ainsi à changer de poste et se retrouvent bloquées, quand d’autres, en fin de carrière, sont priées de se dépêcher de prendre leur retraite pour laisser la place aux jeunes. Mais jeune ou moins jeune, une question se pose : peut-on prendre efficacement soin des plus fragiles si l’on est soi-même précaire ?

FOCUS
Un dispositif de recherche original

Précurseur en la matière, l’Institut régional du travail social (IRTS) de Franche-Comté réalise depuis 2002 une enquête Emploi annuelle. Celle-ci concernait initialement les nouveaux diplômés assistants de service social, éducateurs spécialisés et moniteurs-éducateurs. Elle englobe aujourd’hui les 14 formations proposées par l’IRTS. Cette enquête est pilotée par le sociologue Gérard Creux, attaché de recherche, qui intervient depuis 2001 au sein de l’institut. « L’enquête Emploi nous permet de savoir ce que deviennent les étudiants, explique-t-il. Par ailleurs, depuis l’enquête 2007, la région utilise nos résultats dans le cadre de l’élaboration du schéma des formations sociales. » A compter de 2014, cette enquête Emploi sera d’ailleurs pilotée par les services du conseil régional, avec l’appui de l’IRTS. Gérard Creux a en outre piloté, en 2008, la création du Centre régional de recherche et de ressources en travail social (C3RTS) (2), en réponse à une proposition de la DGAS (actuelle DGCS). Objectifs : développer une base de données documentaire recensant les travaux d’étudiants de niveaux I à III, et promouvoir le développement de la recherche en lien avec les problématiques de l’intervention sociale et le contexte régional.

Notes

(1) Voir ASH n° 2827 du 4-10-13, p. 18.

(2) C3RTS : www.irts-fc.fr, menu « Recherche ».

Côté terrain

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur