La parution, le 7 novembre, du décret qui définit la notion d’« information préoccupante » introduite par la loi du 5 mars 2007 sur la protection de l’enfance (1), répond-elle aux attentes des professionnels ? Elle était en tout cas très attendue, l’absence de texte réglementaire ayant entraîné des ambiguïtés et des divergences d’interprétation. En 2009, une proposition issue de travaux interministériels avait déjà été commentée par plusieurs associations, l’Assemblée des départements de France et le groupe national d’appui à la réforme de la protection de l’enfance piloté par la CNAPE (Convention nationale des associations de protection de l’enfant). Puis le sujet était retourné dans les limbes après les états généraux de l’enfance de 2010 (2).
Le décret met donc un terme au vide réglementaire et permet « une base commune pour les professionnels et les institutions », se réjouit l’ANAS (Association nationale des assistants de service social). Néanmoins, l’association réitère les critiques qu’elle avait émises en 2009 avec l’Organisation nationale des éducateurs spécialisés et le Syndicat national des médecins de PMI. La définition réglementaire retient en effet comme information préoccupante celle « pouvant laisser craindre » que la santé du mineur, sa sécurité ou sa moralité sont en danger ou en risque de l’être, ou que les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel ou social sont gravement compromises ou en risque de l’être. « La crainte fait appel au registre de l’émotion comme critère de transmission », regrette l’ANAS. Elle n’est, en outre, pas adaptée aux pratiques des professionnels qui « peuvent être amenés à transmettre une information préoccupante, non pas parce qu’ils sont inquiets, mais parce que leur évaluation de la situation leur permet de se positionner » sur le danger réel ou encouru par le mineur. Pour l’association, ce n’est qu’une fois que les travailleurs sociaux ont pu analyser les éléments recueillis, en concertation avec les autres acteurs concernés, et montré que leur intervention ne permet pas de répondre à ces difficultés, qu’il peuvent déterminer si la situation doit faire l’objet d’une information préoccupante. Une transmission pouvant entraîner la défiance de la famille ou une rupture de liens, l’ANAS appelle, pour éviter les dérives, les travailleurs sociaux à agir « dans le respect de l’article 1er de la loi du 5 mars 2007, donc dans l’intérêt de l’enfant ».
Autre réserve : la définition, dans le texte, des conditions de la transmission d’informations entre conseils généraux, dans le cas du déménagement d’une famille faisant l’objet d’une prestation d’aide sociale à l’enfance (hors aide financière), d’une mesure judiciaire ou d’une information préoccupante en cours d’évaluation ou de traitement. L’ANAS s’était déjà opposée à la loi du 5 mars 2012 relative au suivi des enfants en danger, qui a prévu ce dispositif. « L’idéologie sécuritaire et la démarche suspicieuse à l’égard des parents sont confirmées et concrètement mises en œuvre à travers ce décret », déplore-t-elle. « Dans certains départements, près de 50 % des informations préoccupantes ne sont pas avérées comme telles », d’où un risque de glissement vers le « fichage ».
L’association rappelle que d’autres moyens existent en cas de danger avéré au sein d’une famille qui quitte le département, comme la saisine du procureur de la République ou le recours à la procédure de signalement national (lesquelles sont apparues insuffisantes aux yeux du législateur). Sur le fond, souligne l’ANAS, cette transmission contrevient au fondement de la protection administrative : l’accord entre les parents et l’aide sociale à l’enfance. L’association y voit la consécration de « l’idéologie du risque zéro, préjudiciable à l’efficacité de l’intervention des différents professionnels ».
(1) Voir ASH n° 2833 du 15-11-13, p. 36.
(2) Voir ASH n° 2711 du 27-05-11, p. 24.