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Réforme du droit d’asile : les propositions remises à Manuel Valls après la concertation nationale

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La fixation de quotas par région pour mieux répartir les demandeurs et la création de centres dédiés aux déboutés font partie des propositions retenues par Valérie Létard et Jean-Louis Touraine. Toutes ne font pas consensus.

La sénatrice (centriste) Valérie Létard (Nord) et le député (PS) Jean-Louis Touraine (Rhône) ont remis, le 28 novembre, au ministre de l’Intérieur, leurs préconisations pour « sauver » le système de l’asile (1), aujourd’hui « à bout de souffle » en raison d’une hausse de la demande d’environ 10 % par an depuis 2007… et qui doit aussi impérativement faire sa mue afin de respecter les nouvelles normes européennes en matière d’asile (2).

En juillet dernier, Manuel Valls avait confié aux deux parlementaires le soin de piloter une vaste concertation sur le sujet avec les grands acteurs du secteur (services de l’Etat, élus, associations). L’objectif était d’aboutir à un ensemble de propositions dans lequel le ministre pourrait piocher pour élaborer un projet de loi. Pendant plusieurs semaines, des débats « riches et animés par la volonté commune de rechercher des solutions constructives » ont eu lieu, marqués parfois par des désaccords profonds entre les associations et les services de l’Etat. Les deux élus se sont appuyés sur ces discussions, divers rapports ainsi que sur des visites dans les territoires les plus exposés à la demande d’asile pour dégager ce que doivent être, à leurs yeux, les principaux axes de la réforme à venir. Toutes les propositions qu’ils ont retenues ne font pas consensus, en particulier du côté des associations (voir ce numéro, page 22). La balle est désormais dans le camp de Manuel Valls. Dans un communiqué, le ministre indique qu’il « consultera prochainement les différents groupes parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat, avant de proposer au président de la République et au Premier ministre une réforme d’ampleur » et, promet-il, « consensuelle ».

Des « quotas » par région pour mieux répartir les demandeurs d’asile

Le diagnostic est connu : un des problèmes principaux du système actuel réside dans la concentration des demandes d’asile sur certains territoires comme l’Ile-de-France (45 % des demandes), la Lorraine, l’Alsace, le Rhône ou certaines villes telles que Rennes ou Dijon, avec comme conséquence la saturation des dispositifs d’hébergement sur ces territoires. Face à cette situation, le rapport propose la mise en place d’un nouveau système d’orientation des demandeurs d’asile vers leur lieu d’hébergement, « fondé sur la solidarité nationale et le respect d’un équilibre entre les régions ». L’idée serait d’élaborer, au niveau national, un schéma de répartition fixe de l’accueil des publics par région et département, afin de rééquilibrer la répartition des hébergements. « A l’image de ce qui est mené en Allemagne, la capacité d’accueil de chaque région reposerait sur des données objectives et identifiées telles que les flux actuels, le nombre d’habitants ou le potentiel financier de ces territoires », indiquent les parlementaires.

Concrètement, le schéma d’ensemble proposé se traduirait par la fixation de quotas par région. Deux cas de figure se présenteraient pour un demandeur d’asile :

→ si le quota de demandeurs d’asile n’est pas atteint dans la région d’arrivée et que les structures d’accueil enregistrent des places vacantes en centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) ou en centre d’hébergement de type CADA, le demandeur pourrait être orienté vers un lieu d’hébergement de longue durée, soit dans le département chef-lieu, soit dans un autre département de la région en fonction des places disponibles et de l’organisation régionale adoptée ;

→ si, en revanche, le quota est atteint sur la région d’arrivée et que les structures d’accueil de la région sont saturées, le demandeur serait tout d’abord orienté vers une structure d’accueil temporaire, pour une durée maximale de 15 jours, dans l’attente qu’une place soit trouvée dans une autre région du territoire national, en fonction des quotas et des places vacantes enregistrées.

Le rapport indique que ce principe d’un accueil temporaire des demandeurs d’asile pour des périodes très courtes, dans l’attente d’une orientation vers un centre de plus long séjour éventuellement hors du département ou de la région, a été proposé lors de la concertation, sur le modèle du centre de transit géré par Forum réfugiés-Cosi dans le Rhône. Pour Valérie Létard et Jean-Louis Touraine, ce modèle devrait être étendu « sur les points d’accueil les plus tendus du territoire ».

« Pour être efficace, un tel dispositif de répartition nationale des demandeurs d’asile doit comporter une certaine part de directivité », indiquent encore les deux élus… qui proposent, dans cet esprit, qu’une seule proposition d’orientation soit faite aux demandeurs. Autrement dit, « les personnes qui refuseraient l’orientation proposée perdraient alors le droit à un hébergement dédié aux demandeurs d’asile ». Toutefois, précisent les parlementaires, « si leur situation se précarise au cours de la procédure d’examen de la demande d’asile », elles pourraient refaire une demande de prise en charge et devraient alors accepter l’orientation proposée.

« Familialiser » l’ATA

Une autre source d’inégalité que la réforme doit venir corriger tient aux allocations versées aux demandeurs d’asile, différentes selon que ces derniers sont hébergés en CADA ou hors CADA. En CADA, les résidents perçoivent une allocation mensuelle de subsistance (AMS) dont le barème varie selon la composition familiale. Les demandeurs d’asile hors CADA touchent quant à eux l’allocation temporaire d’attente (ATA), qui n’est versée qu’aux adultes, quel que soit le nombre d’enfants à charge, et dont la gestion est assurée par Pôle emploi. Aux yeux de Valérie Létard et Jean-Louis Touraine, à terme, ces deux aides « devraient être fusionnées ». En attendant, comme le préconise un récent rapport du sénateur (UMP) Roger Karoutchi (3), les deux parlementaires proposent de « familialiser » l’ATA, c’est-à-dire de prendre en compte la composition familiale – et notamment le nombre d’enfants à charge – dans le calcul de l’allocation. « Cette réforme, précisent-ils, impliquera sans doute une légère baisse du montant actuellement versé aux adultes qui permettra d’accorder un supplément pour chaque mineur. » Comme Roger Karoutchi, les deux élus sont par ailleurs partisans d’un transfert de la gestion de l’ATA à l’Office français de l’immigration et de l’intégration.

Enfin, ils plaident pour que, sur le modèle actuel, le versement de l’allocation reste lié à l’acceptation d’une offre d’hébergement « de façon à donner à l’objectif de réorientation toute sa portée ».

Des centres pour les déboutés

La question du traitement des personnes qui ont été déboutées de leur demande d’asile définitivement et sont donc devenues des étrangers en situation irrégulière est un des points de friction entre les acteurs de terrain et les services de l’Etat. Ces personnes, explique le rapport, restent le plus souvent dans la clandestinité, hébergées dans le dispositif d’hébergement d’urgence (inconditionnel pour les personnes en détresse) « ou parfois par des marchands de sommeil et sont pour un certain nombre exploitées dans des filières qui abusent de leur situation de précarité ». Face à cette situation et « afin de redonner au droit de l’asile sa crédibilité », les deux parlementaires estiment que les intéressés devraient, dans un premier temps, être contraints de quitter leur lieu d’hébergement « par des procédures, notamment judiciaires, plus directives et plus rapides que celles qui existent actuellement ». Sans donner plus de précisions sur la nature des modifications attendues.

Aussi et surtout, ils plaident pour la création de centres dédiés dans lesquels les déboutés de l’asile seraient assignés à résidence et dans lesquels ils pourraient bénéficier d’un accompagnement spécifique « tourné vers la perspective de retour ». Afin de les inciter à accepter une orientation vers ces structures, la possiblité de leur délivrer une aide financière serait « à envisager ».

Valérie Létard et Jean-Louis Touraine ont conscience que cette proposition ne fait pas consensus. Ils disent même prendre acte du refus de certaines associations de gérer de tels centres. Pour autant, ils considèrent que « l’idée est à retenir ». « A notre sens, il s’agit […] d’une alternative beaucoup plus favorable que les seuls centres de rétention, en particulier pour les familles avec enfants », expliquent-ils. « Ces centres permettraient en outre un suivi des personnes hébergées. » Ils estiment qu’une démarche expérimentale pourrait être engagée dès à présent dans une région particulièrement tendue comme celle de Rhône-Alpes. Et suggèrent la mise en place d’une instance de suivi, ouverte au milieu associatif.

Faciliter l’accès à la procédure

Les deux parlementaires émettent aussi un certain nombre de propositions pour répondre aux nouvelles normes européennes tout en s’efforcant de simplifier et d’accélérer l’examen de la demande d’asile par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Au détour de ce chapitre, ils évoquent la question spécifique de la procédure accélérée applicable aux étrangers originaires de pays d’origine sûrs, qui a été « longuement débattue » au cours de la concertation. Pour les deux élus, les conditions d’élaboration de cette liste devraient être revues « pour mieux garantir la transparence et le sérieux du processus d’adoption ». Des mécanismes devraient également être prévus pour permettre la suspension ou la radiation en urgence de certains pays lorsque des évolutions soudaines le justifient. Le rapport suggère même de prévoir la possibilité pour l’OFPRA de « reclasser » en procédure normale une demande orientée en procédure prioritaire en raison de l’appartenance à un pays d’origine sûr lorsque l’examen de la situation individuelle le justifie.

Notes

(1) Rapport disponible sur www.interieur.gouv.fr.

(2) Voir ASH n° 2815 du 21-06-13, p. 40.

(3) Voir ASH n° 2832 du 8-11-13, p. 12.

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