Nouveau rebondissement dans l’affaire Baby-loup, devenue emblématique du débat sur le port des signes religieux sur le lieu de travail : la cour d’appel de Paris a, le 27 novembre, contredit la Cour de cassation en confirmant la légalité du licenciement pour faute grave d’une salariée de cette crèche privée associative de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), licenciement fondé notamment sur le refus de l’intéressée de retirer pendant les heures de travail le foulard islamique qu’elle avait adopté au retour d’un congé parental, en infraction avec le règlement intérieur de la structure.
S’estimant victime d’une discrimination au regard de ses convictions religieuses, la plaignante – éducatrice de jeunes enfants exerçant les fonctions de directrice adjointe – avait contesté, en vain, son licenciement devant le conseil de prud’hommes puis devant la cour d’appel de Versailles… avant d’obtenir gain de cause en mars dernier devant la Cour de cassation (1).
Dans une décision très contestée, la chambre sociale de la Haute Juridiction a, on s’en souvient, annulé le licenciement, estimant qu’en dépit de sa mission d’intérêt général, une crèche privée ne peut être considérée comme une personne privée gérant un service public. Le principe de laïcité n’étant pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public, il ne pouvait dès lors pas être invoqué pour priver ces salariés de la protection que leur assurent les dispositions du code du travail. Ce code, précisément, admet qu’un règlement intérieur puisse encadrer l’expression de la liberté religieuse, sous la réserve toutefois que les restrictions introduites dans ce cadre soient justifiées par la nature de la tâche à accomplir, proportionnées au but recherché et qu’elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante. Or, pour la Cour de cassation, la clause de laïcité et de neutralité prévue dans le règlement intérieur de la crèche, en ce qu’elle instaurait « une restriction générale et imprécise », ne répondait pas aux exigences posées par le code du travail. Le licenciement de l’ex-salariée constituait bel et bien une discrimination en raison des convictions religieuses et devait être déclaré nul. Les hauts magistrats ont en conséquence censuré l’arrêt de la cour d’appel de Versailles et renvoyé les parties devant la cour d’appel de Paris… laquelle, comme le procureur général lui a demandé, a donc choisi de « résister » à la Cour de cassation.
Pour fonder sa décision, la cour d’appel explique que, de son point de vue, une personne morale de droit privé qui assure une mission d’intérêt général « peut dans certaines circonstances constituer une entreprise de conviction » et « se doter de statuts et d’un règlement intérieur prévoyant une obligation de neutralité du personnel dans l’exercice de ses tâches » emportant notamment interdiction de porter tout signe ostentatoire de religion.
Or pour les magistrats, l’association Baby-loup – gestionnaire de la crèche – peut être qualifiée d’entreprise de conviction en mesure d’exiger la neutralité de ses employés. L’arrêt fait notamment référence aux statuts de l’association, aux termes desquels elle a pour objectif de « développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d’œuvrer pour l’insertion sociale et professionnelle des femmes […] sans distinction d’opinion politique et confessionnelle ». Pour la cour d’appel, de telles missions « peuvent être accomplies par une entreprise soucieuse d’imposer à son personnel un principe de neutralité pour transcender le multiculturalisme des personnes auxquelles elle s’adresse ».
Les juges ne trouvent, par ailleurs, rien à redire sur la façon dont l’association Baby-loup a imposé à son personnel cette obligation de neutralité. La formulation de cette obligation dans le règlement intérieur « est suffisamment précise pour qu’elle soit entendue comme étant d’application limitée aux activités d’éveil et d’accompagnement des enfants à l’intérieur et à l’extérieur des locaux professionnels ». Elle n’a donc pas la portée d’une interdiction générale « puisqu’elle exclut les activités sans contact avec les enfants, notamment celles destinées à l’insertion sociale et professionnelle des femmes du quartier qui se déroulent hors la présence des enfants confiés à la crèche ». Ainsi, pour la cour d’appel de Paris, les restrictions prévues par le règlement intérieur sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. Elles ne portent pas atteinte aux libertés fondamentales, dont la liberté religieuse, et ne présentent pas un caractère discriminatoire. Enfin, « elles répondent aussi dans le cas particulier à l’exigence professionnelle essentielle et déterminante de respecter et protéger la conscience en éveil des enfants, même si cette exigence ne résulte pas de la loi ».
Au final, en ne se conformant pas au règlement intérieur, en refusant d’ôter son voile – et, qui plus est, en faisant preuve « d’agressivité envers les membres de la direction » –, la plaignante s’est rendue coupable d’une faute grave qui, selon la cour d’appel de Paris, justifie son licenciement.
Le feuilleton juridique n’est pas clos pour autant car, comme elle l’avait annoncé, l’ex-salariée devrait de nouveau se pourvoir en cassation. Le cas échéant, la Haute Juridiction se réunira alors en séance plénière. En cas de nouvelle cassation, elle pourra décider d’apporter elle-même la solution au litige ou de renvoyer les parties devant une autre cour d’appel, qui aura cette fois obligation de suivre sa position.