« Il y avait beaucoup de choses dans le troisième plan triennal. Trop de choses, trop d’annonces, trop peu de suivi et trop peu de résultats. » Un plan « resté lettre morte, faute de financement et d’engagement de chaque ministère », a regretté Najat Vallaud-Belkacem à l’occasion de la présentation, le 22 novembre, du quatrième plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes pour la période 2014-2016. Ce dernier comprend plusieurs mesures d’ores et déjà prévues dans le projet de loi pour l’égalité entre les hommes et les femmes (généralisation du téléphone grand danger, extension à six mois de l’ordonnance de protection…), en cours d’examen au Parlement (1). Le gouvernement financera le plan à hauteur de 66 millions d’euros, « c’est-à-dire le double de ce qui était programmé pour le troisième plan triennal », s’est félicitée la ministre des Droits des femmes.
Selon une étude de l’INSEE, seules 16 % des victimes de violences conjugales ont porté plainte en 2010 et 2011 (voir encadré). Pour améliorer le taux des révélations de ces faits, la ministre a indiqué qu’un protocole-cadre établi par son ministère, la chancellerie et le ministère de l’Intérieur allait organiser les conditions du recours aux mains courantes – sans conséquence sur les plans judiciaire et juridique – et aux procès-verbaux de renseignement judiciaire pour ce type d’infraction. Ce protocole réaffirmera le principe selon lequel une victime qui se présente à la police en raison de violences conjugales doit pouvoir déposer une plainte – et non une simple main courante – qui sera suivie d’une enquête judiciaire. En outre, a précisé la ministre, « toute victime ayant recours à une main courante ou à un procès-verbal de renseignement judiciaire, après avoir expressément refusé de porter plainte, sera systématiquement informée sur les conséquences de son refus, sur ses droits, sur les procédures à engager pour les faire valoir et sur l’aide dont elle peut bénéficier. Il lui sera systématiquement proposé d’être mise en relation avec une structure d’accompagnement partenaire (intervenant social, psychologue, permanence d’association…). »
Par ailleurs, le plan prévoit que la plateforme téléphonique « 3919 » deviendra, à compter du 1er janvier 2014, le numéro de référence d’accueil et d’orientation des femmes victimes de violences – et non plus seulement de violences conjugales. Un numéro qui sera gratuit pour les téléphones fixes et mobiles, accessible 7 jours/7 et assurera l’anonymat de l’appelante. Au niveau local, les préfets devront s’assurer de l’articulation de ce dispositif avec les numéros d’urgence (17, 18 et 15) et les services intégrés d’accueil et d’orientation pour traiter les demandes d’hébergement d’urgence et de logement, en lien avec les associations spécialisées.
Toujours pour assurer un meilleur accueil aux victimes de violences, le gouvernement entend doubler le nombre des intervenants sociaux en commissariats et en brigades de gendarmerie, pour atteindre les 350 postes d’ici à 2017 (2).
Au-delà de la réponse judiciaire, le gouvernement veut aussi consolider la réponse sanitaire et mieux cordonner les politiques publiques. Ainsi, les ministères des Droits des femmes, de la Santé et de la Justice signeront un protocole national pour la prévention des violences faites aux femmes, la prise en charge de leurs soins à 100 % et leur suivi. Concernant plus particulièrement les victimes de viol (75 000 par an, dont un tiers commis au sein du ménage), un « kit de constatation en urgence » sera expérimenté par les SAMU. Son objectif : « permettre d’assurer une meilleure prise en charge de la victime en assurant non seulement les soins nécessaires mais aussi la préservation des preuves nécessaires à l’enquête […] et l’orientation vers un commissariat de police en vue d’un dépôt de plainte ».
Le plan prévoit l’ouverture de 1 650 places d’hébergement d’urgence d’ici à 2017 pour la mise à l’abri des victimes de violences conjugales. Cette année, seules 260 nouvelles places ont été créées, a précisé la ministre des Droits des femmes. Une situation qui, selon elle, s’explique par la progression du nombre de demandeurs d’asile ayant fortement sollicité le dispositif d’hébergement d’urgence. Rappelons aussi que le projet de loi pour l’égalité entre les hommes et les femmes contient une disposition permettant l’éviction du conjoint violent du domicile conjugal (3).
Par ailleurs, alors que, selon Najat Vallaud-Belkacem, « l’accès au logement social constitue une perspective essentielle pour permettre aux femmes victimes de violences […] de sortir de l’urgence et de s’inscrire dans un parcours », celles-ci se heurtent à un obstacle : elles doivent en effet justifier d’une ordonnance de non-conciliation ou d’une décision du juge afin que les ressources du conjoint ne soient pas prises en compte pour l’accès à un logement social. Des démarches qui prennent du temps. Aussi une disposition du projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové autorise-t-elle ces femmes à fournir d’autres pièces justifiant que la procédure de divorce est bien enclenchée pour individualiser les ressources de la victime de violence (copie de l’acte de saisine du juge aux affaires familiales, par exemple) (4).
En matière de ressources justement, le gouvernement entend « permettre la disjonction rapide des comptes bancaires » et réfléchir à la « désolidarisation précoce et effective des dettes » contractées par le couple. Sur ce dernier point, un groupe de travail, piloté par les ministères des Droits des femmes et des Finances, « déterminer[a] les conditions dans lesquelles l’administration fiscale, les caisses de sécurité sociale et les bailleurs sociaux pourraient assumer cette charge et accepter qu’une séparation du couple dans un contexte de violences intrafamiliales autorise une partition des dettes ».
Le gouvernement veut poursuivre le déploiement des « référents pour les femmes victimes de violences au sein du couple » – au nombre de 74 en 2013, installés dans 55 départements –, en particulier dans les territoires non couverts. Leurs missions seront en outre élargies à l’accompagnement des personnes bénéficiant du téléphone d’alerte (5).
Autre axe de travail : consolider le dispositif « accueil de jour » (6), qui consiste à mettre à la disposition des victimes une structure de proximité ouverte sans rendez-vous durant la journée pour les accueillir, les informer et les orienter. Structure qui permettra aussi de préparer, d’éviter ou d’anticiper le départ du domicile conjugal. Parallèlement, le gouvernement continuera à soutenir les 180 lieux d’accueil et d’orientation pour les victimes de violences conjugales.
Pour assurer l’efficacité de la lutte contre les violences faites aux femmes et la prise en charge des victimes, la ministre des Droits des femmes estime nécessaire de coordonner les différents acteurs. Cela passe par la création d’observatoires territoriaux des violences envers les femmes (7). Des structures qui ont vocation notamment à renforcer la connaissance quantitative et qualitative des violences, à identifier les outils existants et les bonnes pratiques et à animer le réseau de partenaires (police, justice, santé…).
La formation des professionnels est par ailleurs « indispensable pour améliorer l’implication effective des acteurs du service public dans la lutte contre les violences faites aux femmes », a rappelé Najat Vallaud-Belkacem. Une formation qu’elle juge encore « balbutiante ». Elle a donc chargé la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains d’élaborer le cahier des charges d’un plan de formation transversal et interministériel sur les violences faites aux femmes. Un cahier des charges qui sera diffusé « avant fin 2013 », a assuré la ministre. En ce qui concerne les travailleurs sociaux, ils pourront acter les dispositifs et outils pédagogiques applicables à leur secteur à l’occasion des états généraux du travail social en juin prochain (8), indique le plan.
Une récente étude de l’INSEE, portant sur les années 2010 et 2011, montre que les femmes sont trois fois plus souvent victimes de violences sexuelles que les hommes. L’agresseur est plus souvent le conjoint ou l’ex-conjoint (35 %) ou une personne connue personnellement (21 %), plus rarement un autre membre de la famille (11 %). Par ailleurs, les violences conjugales concernent tous les milieux sociaux, quel que soit le lieu de résidence de la victime. Elles sont en outre « rarement suivies de plaintes », note l’INSEE : 28 % des victimes se sont rendues à la police, 16 % d’entre elles ont porté plainte et 12 % ont enregistré une main courante ou n’ont fait aucune déclaration. L’étude relève dans ce cadre que les plaintes et le dépôt d’une main courante sont plus fréquents quand le couple est séparé. Et que « plus l’agresseur est proche de la victime, moins les faits sont suivis d’une plainte ». Les raisons du faible taux de plaintes invoquées par les victimes sont les suivantes : « le désir de trouver une autre solution », le sentiment d’inutilité d’une telle démarche ou encore le désir d’« éviter des épreuves supplémentaires, comme un témoignage ou une confrontation ».
« Femmes et hommes face à la violence » – INSEE Première n° 1473 – Novembre 2013 –
(1) Voir ASH n° 2817 du 5-07-13, p. 15.
(2) Conformément à la stratégie nationale de prévention de la délinquance (voir ASH n° 2819-2820 du 19-07-13, p. 20), la mission de ces intervenants sera élargie puisqu’ils participeront au groupe opérationnel d’évaluation et de suivi des politiques et dispositifs locaux, dans le cadre de l’élaboration du protocole d’accueil des femmes victimes.
(3) Une disposition chère à Najat Vallaud-Belkacem car, du deuxième trimestre 2006 au deuxième trimestre 2013 (inclus), sur les 244 392 affaires pour lesquelles une mesure d’interdiction du domicile du conjoint violent pouvait être prononcée, seules 29 587 mesures d’éviction ont été ordonnées (soit 12,1 %).
(4) Sur les grandes lignes de ce projet de loi, encore en cours d’examen au Parlement, voir ASH n° 2818 du 12-07-13, p. 45.
(5) Plus précisément, indique le plan, ces référents devront désormais « participer à l’amélioration de la transmission d’information entre les différents acteurs institutionnels ou associatifs afin de faciliter l’identification des femmes victimes de violences exposées à un très grand danger, recevoir et centraliser les situations potentiellement éligibles au dispositif adressées par les professionnels du département et faciliter l’attribution et la remise du téléphone d’alerte par le procureur de la République ».
(6) A ce jour, selon le ministère des Droits des femmes, il existe 97 accueils de jour répartis dans 89 départements.
(7) Le 25 novembre, Najat Vallaud-Belkacem a assisté à l’inauguration de l’Observatoire régional des violences faites aux femmes d’Ile-de-France – le premier du genre. La région Languedoc-Roussillon devrait prochainement créer le sien.
(8) Voir ASH n° 2826 du 27-09-13, p. 23.