Attendu, issu d’un long processus de concertation approuvé par les acteurs concernés, le projet de loi sur l’économie sociale et solidaire, qui promet d’inscrire ce secteur dans une stratégie de croissance « plus robuste, plus riche en emplois, plus durable et plus juste socialement », a été adopté le 7 novembre en première lecture au Sénat. Le texte définit les conditions d’appartenance à l’économie sociale et solidaire (ESS), le cadre institutionnel de la politique publique relative au secteur, rassemble les mesures qui concourent à son développement et contient des dispositions spécifiques aux « acteurs historiques » du secteur – les coopératives, les mutuelles, les associations et les fondations.
Si elles voient dans le texte un vecteur de reconnaissance et de soutien par le biais de dispositifs de financement supplémentaires, les associations de solidarité craignent de voir les principes fondateurs de l’ESS dilués dans un champ qui s’ouvre désormais, à certaines conditions (but poursuivi, gouvernance démocratique, utilité sociale et principes de gestion), aux entreprises commerciales. En filigrane : la crainte de la marchandisation du secteur. Elles estiment que le débat parlementaire peut encore progresser pour éviter les dérives. « Le texte n’est pas encore assez ambitieux sur les valeurs communes de l’ESS », estime Aurélien Ducloux, chargé de mission à la FNARS (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale), qui avait, avec le Coorace et Emmaüs, déposé des propositions d’amendements, notamment pour limiter davantage la part des bénéfices pouvant être utilisée par les associés de l’entreprise et pour renforcer la définition de la gouvernance démocratique. Les sénateurs n’ont que trop peu augmenté (de 15 à 20 %), à ses yeux, le taux des bénéfices dévolus à la « réserve statutaire », qui ne peut être distribuée aux actionnaires. Le CEGES (Conseil des entreprises, employeurs et groupements de l’économie sociale) estime aussi que le curseur doit encore être déplacé afin de renforcer les exigences pour les entreprises commerciales. L’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux) aurait également voulu que la notion d’utilité sociale apparaisse dès l’article 1er qui définit le champ de l’ESS, pour affirmer que l’activité économique n’est qu’un moyen au service de la finalité sociale et humaine du secteur. Une précision dans laquelle ne se retrouvaient pas forcément tous les acteurs…
La FEHAP (Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne) se satisfait néanmoins des avancées du texte, et en particulier d’avoir réussi à faire modifier la définition de l’utilité sociale. Parmi les objectifs recherchés par les entreprises qui pourront s’en prévaloir : apporter « un soutien à des personnes en situation de fragilité, soit du fait de leur situation économique et sociale, soit du fait de leur situation personnelle et particulièrement de leur état de santé ou de leurs besoins d’accompagnement social et médico-social ». Elles peuvent encore contribuer « à la préservation et au développement du lien social, à la lutte contre les exclusions et inégalités sanitaires, sociales, économiques ou au maintien et au renforcement de la cohésion sociale ». Pour David Causse, coordonnateur du « pôle santé social » de la FEHAP, « le caractère central du secteur médico-social et la place de l’usager sont ainsi reconnus ».
Pour les associations, le projet de loi instaure des dispositions visant à développer leurs fonds propres (réforme des titres associatifs, possibilité de recevoir des dons et legs) et à fixer les conditions juridiques des opérations de fusion ou de scission, dans le cadre de « l’évolution des projets associatifs ». Mais l’intérêt majeur du texte est, pour elles, la sécurisation de la subvention par sa définition légale. L’Uniopss aurait néanmoins souhaité que cette mesure permette également de sécuriser les décisions de mandat de SIEG (service d’intérêt économique général) prises par les collectivités territoriales qui ne recourent pas aux conventions pluriannuelles d’objectifs. Autre regret de l’union : la définition de l’innovation sociale telle qu’adoptée par les sénateurs pourrait, à ses yeux, mettre à l’écart certaines initiatives associatives. « Il y a une unanimité parmi nos adhérents contre le fait de définir dans la loi l’innovation sociale à partir de l’activité, explique Christèle Lafaye, conseillère technique au pôle « vie associative et Europe ». Nous serions plus favorables à une doctrine institutionnelle qui mette en valeur des bonnes pratiques. » Par ailleurs, les amendements, notamment portés par l’Assemblée des départements de France, visant à exclure certaines catégories d’établissements ou opérations de la procédure d’appels à projets, n’ont pas été retenus.
Le texte adopté par les sénateurs élargit également la composition du Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire, qu’il place auprès du Premier ministre, renforce les dispositions sur les politiques territoriales de l’économie sociale et solidaire (stratégie régionale intégrée dans le schéma régional de développement économique) et prévoit, à côté des mesures sur la promotion des achats publics socialement responsables, la possibilité de réserver des marchés publics à des structures dont plus de 30 % des travailleurs concernés sont des personnes handicapées ou défavorisées. Il inscrit également dans la loi la mission des dispositifs locaux d’accompagnement.
Le projet de loi ne devrait pas être examiné à l’Assemblée nationale avant les élections municipales de mars prochain. « Nous avons un an de retard sur le calendrier initial. Il faut maintenant aller jusqu’au bout pour essayer d’avoir le meilleur texte possible », juge Emmanuel Verny, délégué général du CEGES, d’ores et déjà satisfait de la première lecture parlementaire. Quand à l’Uniopss, qui organisait le 13 novembre une journée sur le thème « Comment faire de la loi sur l’ESS un moteur pour les acteurs non lucratifs sanitaires et sociaux ? », elle estime qu’un pilotage interministériel des politiques publiques de l’ESS serait opportun. « Il devrait prendre en compte les trois dimensions économique, sociale et de vie associative impliquées », souligne Christèle Lafaye. Une délégation interministérielle va-t-elle revoir le jour, comme le préconisaient en juillet dernier les inspections générales des affaires sociales et des finances dans le cadre de la modernisation de l’action publique ?