Gouvernance renforcée, cahier des charges révisé, efficacité évaluée, personnels en santé mentale multipliés… Dans son courrier de réponse au contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui l’alertait une fois de plus sur des dysfonctionnements au sein de centres éducatifs fermés (CEF) (voir encadré, page 6), la ministre de la Justice trace à grands traits l’action qu’elle entend mener pour réformer ces structures qui accueillent des mineurs délinquants multi-réitérants ou auteurs d’actes graves de violence (1). Elle s’est appuyée pour cela sur le rapport d’évaluation des CEF qu’elle avait commandé en 2012 à l’inspection générale des affaires sociales, à l’inspection générale des services judiciaires et à l’inspection de la protection judiciaire de la jeunesse, dans la perspective du développement du dispositif souhaité par le président de la République. Ce rapport, qui lui a été remis en janvier dernier mais que la chancellerie n’a pas encore rendu public (2), formule 16 recommandations pour « une prise en charge optimisée des mineurs délinquants » et un développement équilibré des CEF sur le territoire.
Créé par la loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation de la justice, le CEF est devenu, 11 ans plus tard, « un dispositif incontournable dans l’offre globale d’hébergement des mineurs délinquants qu’il a contribué à diversifier », estiment les trois inspections. Ainsi, dans le secteur associatif habilité (SAH), le nombre de placements en CEF a progressé entre 2007 et 2011 de 86 %, représentant 22 % de l’ensemble des placements judiciaires en 2011, contre 13 % en 2007. Quant aux mesures de placement en CEF dans le secteur public, elles ont augmenté de 151 % sur la période considérée. Les professionnels de la justice des mineurs « se sont donc progressivement appropriés ce nouvel outil » dont l’utilité est globalement reconnue, même si aucune évaluation de ses résultats et, partant, de son efficacité quant aux effets de la prise en charge des mineurs sur leur parcours à la sortie du CEF n’a été véritablement entreprise, constate le rapport.
Pour autant, le fonctionnement des CEF, qui « assurent une mission difficile », présente une grande hétérogénéité et souffre de « fragilités » : de nombreux exemples de dysfonctionnements importants et récurrents – que dénonce aussi le contrôleur général des lieux de privation de liberté –, « ainsi que des incidents parfois très graves » mettant en danger la sécurité et la santé des mineurs et des professionnels ont ainsi été portés à la connaissance des inspecteurs. Les raisons sont multiples : manque d’activités de jour proposées aux jeunes, insuffisance des effectifs encadrants et médicaux, formation des professionnels absente ou lacunaire, pilotage national et local peu lisible…
Afin d’assurer un encadrement des mineurs conforme aux missions des CEF, il convient notamment, selon le rapport d’inspection :
→ de prévoir un effectif cible de 27 équivalents temps plein (ETP), y compris le psychologue, mais hors enseignants et personnels de santé (contre une norme actuelle de 24 ETP pour 12 places) ;
→ de constituer des équipes de direction composées de trois cadres ;
→ de doter systématiquement tous les CEF (secteur public et SAH) d’environ 1,40 ETP de professionnels de santé avec 1 ETP d’infirmier, 0,20 ETP de médecin généraliste et 0,20 ETP de psychiatre au lieu de développer des CEF spécifiquement « renforcés en moyens de santé mentale ». Sur ce dernier point, la ministre de la Justice a indiqué qu’elle entendait effectivement « procéder à un renforcement de personnels en santé mentale » mais uniquement « sur l’ensemble des CEF gérés directement par la protection judiciaire de la jeunesse [PJJ] », sans plus de précision ;
→ d’organiser des temps de formation continue adaptée à la problématique des CEF pour pallier les lacunes ou les défauts d’expérience dans la prise en charge des mineurs délinquants.
En matière de prise en charge des mineurs, les rapporteurs estiment qu’il est « impératif » de consolider le cadre général de fonctionnement des CEF au sein d’un cahier des charges unique, commun au secteur public et au SAH, « garantissant une qualité de prise en charge des mineurs, un cadre d’organisation du travail adapté et des ressources humaines qualifiées, formées et en nombre suffisant ». Là aussi, ils semblent avoir été entendus par Christiane Taubira qui annonce, dans son courrier à Jean-Marie Delarue, que le cahier des charges des CEF va être revu « concernant notamment la gestion des incidents » (actes violents, fugues…). Sur ce point précis, le rapport recommande en effet d’annexer au cahier des charges un modèle-type de protocole de gestion des incidents.
Toujours en matière de prise en charge, la mission d’inspection recommande également, pêle-mêle :
→ de ne pas figer, dans le cahier des charges, la durée des modules structurant le temps de placement pour permettre une individualisation de la prise en charge des mineurs ;
→ de développer dans chaque CEF des activités en nombre suffisant pour structurer l’emploi du temps des jeunes sur l’ensemble de la journée.
Suivant les préconisations du rapport, la garde des Sceaux a également fait savoir que « la gouvernance des CEF va être renforcée à tous les échelons territoriaux ». Les inspecteurs recommandent notamment que « le partage des champs d’intervention entre l’administration centrale et les directions interrégionales et territoriales de la PJJ soit clairement affiché et lisible ». Reviendrait à l’échelon national le soin de mettre en place un système centralisé d’informations permettant de mesurer l’efficacité du dispositif en termes de devenir des jeunes après leur passage en CEF. Ce qui rejoint la mise en œuvre d’une procédure d’évaluation de l’efficacité du dispositif annoncée par la ministre au contrôleur général des prisons. L’administration centrale aurait aussi la charge de développer, en lien avec ce système, un processus d’alerte lorsqu’un CEF connaît un nombre important d’incidents. Et devrait « mieux définir, par un cadre normatif adapté, les pratiques relatives aux droits fondamentaux des mineurs » (usage des fouilles, adaptation des régimes alimentaires…). Les directions territoriales de la PJJ devraient, quant à elles, se voir déléguer la conduite des procédures d’habilitation et de tarification de l’ensemble des établissements du SAH et doter, à cet effet, des compétences techniques nécessaires. La mission préconise également que les directions territoriales renforcent leur contrôle sur l’activité des CEF pour vérifier régulièrement leur taux d’occupation et impulsent une certaine souplesse dans la gestion des places disponibles.
Enfin, le rapport recommande la création de 13 nouveaux CEF à partir de 2013, dont un spécifiquement dédié aux jeunes filles. Il ne doit pas s’agir de transformations de structures existantes car cela risquerait d’appauvrir et de déséquilibrer la diversité de l’offre globale, préviennent les inspecteurs. Christiane Taubira, de son côté, écrit qu’elle souhaite « conduire une croissance maîtrisée du dispositif, respectant en cela les préconisations du rapport et les expressions de besoins formulées par la protection judiciaire de la jeunesse ».
LE CONTRÔLEUR DES PRISONS DÉNONCE À NOUVEAU DES DYSFONCTIONNEMENTS
Oisiveté des jeunes, absence de projet éducatif, faible formation des éducateurs… Les dysfonctionnements constatés par les services du contrôleur général des lieux de privation de liberté lors de leurs visites, en août et septembre dernier, au sein des centres éducatifs fermés (CEF) de Pionsat (Puy-de-Dôme) et d’Hendaye (Pyrénées-Atlantiques), ne manquent pas et, pour certains, ne sont pas nouveaux. Jean-Marie Delarue les avaient en effet déjà observés en 2010 dans plusieurs autres structures et avait émis des recommandations pour y remédier (3). Recommandations qu’il renouvelle aujourd’hui et qu’il a décidé de faire publier au Journal officiel « sur le fondement de l’urgence, estimant que la prise en charge des jeunes telle qu’elle est effectuée constitue une atteinte grave aux droits fondamentaux des enfants », explique-t-il dans un communiqué.
Jean-Marie Delarue insiste ainsi de nouveau auprès de la chancellerie pour que la formation initiale et continue des éducateurs exerçant en CEF soit assurée. Il rappelle en outre l’« obligation pour tous les CEF de définir un projet éducatif identifiable, connu de tous, contrôlable et contrôlé par les services territoriaux compétents et actualisable ». Dans ce cadre, le contrôleur général souligne la « nécessité pour les autorités compétentes de nommer des enseignants dans des délais compatibles avec les besoins des enfants et d’assurer une permanence éducative durant les congés d’été ». Il demande enfin qu’une « analyse complète, plurifactorielle et écrite préalable au choix des sites où doivent être ouverts des CEF » soit à l’avenir effectuée afin d’assurer la sécurité et la santé des mineurs accueillis.
Florence Tamerlo
(1) Ce courrier a été publié au Journal officiel, à la suite des recommandations du contrôleur général (J.O. du 13-11-13).
(2) Mission sur l’évaluation des centres éducatifs fermés (CEF) dans le dispositif de prise en charge des mineurs délinquants – IGAS/IGSJ/IPJJ – Janvier 2013.
(3) Recommandations du 17 octobre 2013, NOR : CPLX1326616X, J.O. du 13-11-13.