« Jamais le contexte socio-économique n’a été aussi contraint dans le domaine de l’éducation spécialisée comme dans d’autres. L’utilité sociétale de la prévention spécialisée est questionnée, parfois mise à mal ces derniers mois. » Dans la plaquette de présentation de ses « Forums 2013 » qu’il organisait du 4 au 6 novembre à Lyon, le CNLAPS (Comité national de liaison des associations de prévention spécialisée) évoquait les difficultés rencontrées par les équipes de prévention spécialisée. En affichant clairement l’objectif de ces rencontres : « impulser un souffle politique fort » en mettant en perspective l’évolution des pratiques professsionnelles, la plus-value sociale de l’action collective et du renforcement du « pouvoir d’agir » des jeunes dans leurs espaces de vie. « La présence de plus de 1 000 participants a montré un certain élan », se félicite Bernard Heckel, délégué général du CNLAPS.
Si le comité a prévu, hors programme, un « temps de parole » sur les remous du secteur, la CGT action sociale a voulu enfoncer le clou en organisant un point presse le 5 novembre. « La prévention spécialisée vit des heures sombres et toutes les équipes ne sont pas à la fête, explique Alexandre Lebarbey, animateur du collectif national « prévention spécialisée » du syndicat. Il ne se passe pas un mois sans que nous apprenions une attaque – fermeture, suppression de postes, restructuration ou municipalisation des équipes. La tendance est aussi au recentrage sur les 12-15 ans, ce qui conduit à délaisser le travail avec les plus âgés. » Comme celui de Seine-Maritime en 2013, « le conseil général d’Eure-et-Loir a annoncé sa volonté de réduire de moitié les financements de la prévention spécialisée » l’an prochain, poursuit-il. Le conseil général du Loiret prépare un plan social pour accompagner la suppression des crédits de cette mission. Et « la liste n’est pas close ». Quand ils se désengagent, les départements évoquent un recentrage sur leur « cœur de mission », un renouvellement de leur politique à l’égard de la jeunesse ou encore la recherche de partenariats avec les communes. « Le problème est que les conseils généraux ne font pas une analyse de l’utilité sociale, mais une analyse comptable des missions de la prévention spécialisée, déplore Alexandre Lebarbey. Ils veulent de la rentabilité, de la visibilité, mais le temps éducatif n’est pas le temps politique ! Pour éviter que la prévention spécialisée soit une variable d’ajustement, nous demandons qu’elle soit une dépense obligatoire des départements, qui devraient la financer au moins à hauteur de 80 %. »
Pour Bernard Heckel, le constat mérite pourtant d’être nuancé, puisque, « dans plusieurs départements, la prévention spécialisée continue d’être très bien soutenue. Néanmoins, la vraie question est celle de son portage national. L’Assemblée des départements de France [ADF] laisse un peu seuls les conseils généraux, alors qu’elle affirmait, en 2004 dans un rapport institutionnel, que la prévention relevait de leur compétence. »
La « prev » fait-elle les frais d’une réorientation qui n’a pas officiellement dit son nom ? Selon Jean-Pierre Hardy, chef du service « politiques sociales » de l’ADF, la prévention spécialisée reste bien une mission qui relève de l’aide sociale à l’enfance, mais dans les faits elle « est passée dans la politique de la ville et la prévention de la délinquance ». Ce qui, selon lui, remettrait en cause la compétence des départements. Dans un contexte de restrictions budgétaires, il ne nie pas la recherche d’une rationalisation des coûts : « Des départements, comme l’Orne, ont internalisé la prévention spécialisée dans leurs services, ce qui leur revient moins cher en masse salariale et permet une plus grande effectivité et lisibilité des actions. »
Reste que la mission semble peu portée par le ministère des Affaires sociales, qui laisserait davantage la main à ses homologues de la Ville et de l’Intérieur. Le Conseil technique des clubs et équipes de prévention spécialisée (CTPS) n’a pas été réinstallé depuis la fin du mandat de ses membres, en 2010. A la direction générale de la cohésion sociale, on explique que son avenir fait l’objet d’une réflexion sur la coordination des acteurs, dans le cadre de l’évaluation des politiques publiques dans le champ de la protection de l’enfance.