Matière sensible touchant directement aux droits fondamentaux des personnes, le droit des étrangers alimente un contentieux abondant, complexe et en perpétuelle évolution. Nous avons choisi de donner un coup de projecteur sur plusieurs arrêts ou avis rendus ces derniers mois par la Cour de cassation et le Conseil d’Etat et qui répondent à des problèmes de droit très divers touchant à différentes catégories d’étrangers (1) : l’étranger qui fait l’objet d’une décision de placement en rétention administrative peut-il exercer pendant la durée de son transfèrement les droits reconnus à une personne placée ? La délivrance de l’une des pièces exigées des étrangers pour ouvrir droit aux prestations familiales vaut-elle reconnaissance de la régularité du séjour de façon rétroactive ? Dans quelle mesure une association peut-elle intervenir à l’appui d’un étranger devant la Cour nationale du droit d’asile ? Un juge des référés peut-il ordonner le suivi médical d’un demandeur d’asile malade ?…
Un étranger qui fait l’objet d’une décision de placement en rétention administrative ne peut plus dorénavant exercer pendant la durée de son transfèrement les droits reconnus à une personne placée. Ce n’est qu’à compter de son arrivée sur le lieu de rétention qu’il peut les faire valoir. Tel est le sens de l’arrêt rendu le 15 mai dernier par la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 1re, 15 mai 2013, n° 12-14.566). Une décision qui tire, en fait, les conséquences de la nouvelle rédaction de l’article L. 551-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) telle qu’issue de la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité (2).
Le droit antérieur prévoyait que l’étranger était informé – dans une langue qu’il comprend et « dans les meilleurs délais » – qu’il pouvait, « pendant toute la période de la rétention », demander l’assistance d’un interprète, d’un conseil ainsi que d’un médecin. Il devait également être informé qu’il pouvait communiquer avec son consulat et avec la personne de son choix. Problème : dans un arrêt du 31 janvier 2006, la Cour de cassation a considéré que la notification du placement en rétention, l’information de la personne concernée sur ses droits et la possibilité pour celle-ci de les faire valoir devaient être simultanées. La loi du 16 juin 2011 est donc venue préciser que l’étranger est informé dans les meilleurs délais qu’il peut exercer les droits qui lui sont reconnus « à compter de son arrivée au lieu de rétention » – c’est-à-dire « un point de départ objectif et facilement mesurable », selon les mots du rapporteur (UMP) de la loi à l’Assemblée nationale, Thierry Mariani (Rap. A.N. n° 2814, septembre 2010, page 252) – et non plus « pendant toute la période de rétention ». Le législateur a, autrement dit, retardé l’accès aux droits de l’étranger à son entrée effective dans le centre de rétention. Une des conséquences de ce changement est qu’il est désormais impossible pour un étranger de faire valoir ses droits pendant le temps nécessaire à son transfert vers le centre de rétention. C’est ce qu’explique la Cour de cassation dans son arrêt du 15 mai.
Dans cette affaire, une ressortissante de nationalité turque – qui faisait l’objet d’un arrêté portant obligation de quitter le territoire français – avait été interpellée le 20 décembre 2011 et placée en garde à vue pour vol et infraction à la législation sur les étrangers, avant d’être placée le jour même en rétention administrative par le préfet de la Nièvre. Elle avait alors vu ses droits notifiés, à Nevers, à 17 h 57… mais n’avait été en mesure de les exercer qu’à son arrivée au centre de rétention de Vincennes à 20 h 30, soit 2 heures et 35 minutes plus tard.
C’est dans ces conditions qu’un juge des libertés et de la détention avait, par la suite, refusé de prolonger cette rétention. Le préfet avait alors fait appel de cette décision mais le premier président de la cour d’appel de Paris l’avait confirmée en s’appuyant sur le fait que, si la décision du préfet mentionnait bien que l’intéressée pourrait exercer ses droits à tout moment à compter de son arrivée au centre de rétention, il était constant qu’elle n’avait pas été en mesure de le faire pendant la durée de son transfèrement.
Saisie à son tour, la Cour de cassation a considéré que, en raisonnant ainsi, le juge d’appel avait violé la loi. Il ressort bien, en effet, des articles L. 551-2 et R. 551-4 du Ceseda que « c’est à compter de son arrivée au lieu de rétention que l’étranger peut demander l’assistance d’un interprète, d’un conseil ainsi que d’un médecin et qu’il peut communiquer avec son consulat et avec une personne de son choix », souligne la Haute Juridiction.
Une ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant une mesure de rétention administrative est susceptible d’appel devant le premier président de la cour d’appel dans les 24 heures de son prononcé. S’il est présenté dans ce délai de recours, le mémoire complémentaire fourni après la déclaration d’appel doit être pris en compte par le juge. C’est ce qu’a indiqué la Cour de cassation dans un arrêt du 20 mars 2013 (Cass. civ. 1re, 20 mars 2013, n° 12-17.093).
En l’espèce, un étranger de nationalité guinéenne en situation irrégulière en France avait fait l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière, puis avait été placé en rétention administrative par une décision du préfet du Nord. Un juge des libertés et de la détention avait alors prolongé cette mesure de rétention. Faisant appel de cette décision de prolongation, l’intéressé avait souhaité produire un mémoire complémentaire. Celui-ci était parvenu à la cour d’appel dans le délai de recours et après une déclaration d’appel motivée. Pourtant, la cour d’appel a déclaré sa demande irrecevable, estimant que les motifs de l’appel devaient figurer dans la déclaration d’appel transmise au greffe de la cour.
La Cour de cassation a cassé et annulé cette décision. Pour la Haute Juridiction, en effet, « les moyens énoncés dans l’acte d’appel peuvent être complétés par de nouveaux moyens développés dans le délai de recours de 24 heures ».
La Cour de cassation a, dans un arrêt du 15 mai 2013 portant sur le contentieux de la rétention administrative, tiré les conséquences d’une réserve d’interprétation émise par le Conseil constitutionnel à l’égard de deux dispositions de la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité (Cass. civ. 1re, 15 mai 2013, n° 12-16.082).
Les articles visés par cette réserve d’interprétation prévoient notamment qu’un étranger visé par une mesure d’éloignement mais qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être placé en rétention par le préfet pour une durée de 5 jours (contre 48 heures auparavant) sans que le juge des libertés et de la détention (JLD) puisse intervenir. Ce dernier ne peut être saisi aux fins de prolongation de la rétention qu’au terme de ce délai. L’idée du législateur étant de permettre au juge administratif de statuer sur la légalité de la mesure administrative d’éloignement avant qu’intervienne le juge judiciaire. Le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution ce nouveau délai d’intervention du juge judiciaire. Mais a toutefois précisé que, dans l’hypothèse où le placement en rétention a été précédé d’une garde à vue (dont la durée peut être, au maximum, de 48 heures), la privation de liberté ne peut excéder 7 jours (2 + 5) sans intervention du JLD. Explication : les dispositions de la loi « ne sauraient permettre […] que l’étranger privé de sa liberté soit effectivement présenté à un magistrat du siège après l’expiration d’un délai de 7 jours à compter du début de la garde à vue ».
Dans l’affaire tranchée par la Cour de cassation le 15 mai dernier, il était question d’un ressortissant tunisien en situation irrégulière qui avait été placé en garde à vue le 19 janvier 2012 à 15 h 10. A l’issue de cette mesure, il avait été mis en rétention administrative le lendemain, le 20 janvier à 14 h 55 – soit près de 24 heures après le début de sa garde à vue – en exécution de la décision prise le jour même par le préfet. Par requête reçue le 25 janvier à 13 h 34, soit 6 jours après le début de la garde à vue, le préfet avait saisi le JLD afin qu’il prolonge la rétention.
Mais ce dernier a estimé que la requête en prolongation de la mesure lui avait été présentée trop tardivement et a donc jugé la procédure de rétention irrégulière. La cour d’appel de Bordeaux a confirmé cette position. Pour elle, la décision du Conseil constitutionnel ne donnait pas un maximum de 7 jours au préfet pour saisir le juge des libertés et de la détention. Et le délai de 48 heures indiqué par les sages constituait « un simple rappel du maximum de la durée de garde à vue prévue par la loi pour les infractions ordinaires ». Il s’en déduisait ainsi que la durée de garde à vue – qui pouvait aller jusqu’à 48 heures – devait être incluse dans le délai de 5 jours accordé au préfet pour présenter sa requête. Et donc que, en l’espèce, la requête présentée par le préfet le 25 janvier à 13 h 34 avait été tardive.
Pour la Cour de cassation, la cour d’appel a, ce faisant, fait une fausse application des textes tels qu’interprétés par le Conseil constitutionnel. La règle, c’est que l’étranger gardé à vue puis placé en rétention administrative doit être présenté au JLD dans le délai maximal de 7 jours à compter du début de la garde à vue (48 heures + 5 jours). La durée de la garde à vue, qui peut être de 48 heures au maximum, ne doit donc pas être incluse dans le délai de 5 jours accordé au préfet pour saisir le juge des libertés et de la détention.
Les dispositions de l’article R. 723-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, selon lesquelles le demandeur d’asile dispose d’un délai de 21 jours pour présenter sa requête complète à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) à compter de la remise de son autorisation provisoire de séjour sont-elles compatibles avec la directive européenne n° 2005/85/CE du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres ? Oui, a répondu le Conseil d’Etat dans un avis du 29 mai 2013 (Avis, 29 mai 2013, n° 365666).
Dans cette affaire, il s’agissait dans un premier temps de déterminer si l’article litigieux posait une obligation pour l’OFPRA de refuser d’enregistrer une demande d’asile déposée ou complétée par un ressortissant étranger au-delà du délai de 21 jours. Selon le tribunal administratif de Melun – à l’origine de la saisine du Conseil d’Etat –, l’article devait être interprété dans le sens d’une obligation, pour le directeur de l’office, de refuser cet enregistrement. La question de la compatibilité avec le droit européen se posait alors. En effet, la directive du 1er décembre 2005 ne prévoit, comme seule sanction d’un dépôt tardif d’une demande (sans motif valable), que le recours à une procédure prioritaire ou accélérée pour l’examen de la demande d’asile.
Dans sa réponse, le Conseil d’Etat commence par mettre à mal l’interprétation faite par le tribunal administratif de Melun. Pour la Haute Juridiction, il résulte de l’article litigieux que, lorsqu’un candidat à l’asile présente ou complète sa demande auprès de l’OFPRA en étant hors délai, le directeur de l’office « peut » refuser de l’enregistrer, à moins que les services préfectoraux aient omis de remettre, lors de la demande d’admission au séjour, le document d’information que la loi lui impose de fournir à l’intéressé (3).
Le refus d’enregistrer la demande de protection n’est ainsi qu’une possibilité. Cela étant posé, les sages du Palais Royal estiment par ailleurs qu’un refus d’enregistrement opposé par l’OFPRA n’interdit pas de présenter une nouvelle demande d’admission au séjour auprès des services préfectoraux.
Le Conseil d’Etat distingue à cet égard deux cas de figure pour le préfet saisi d’une telle requête :
→ soit il délivre une autorisation provisoire de séjour. La demande de protection sera alors examinée par l’OFPRA selon la procédure de droit commun, « sous réserve d’un dépôt non tardif de celle-ci » ;
→ soit, s’il estime que le dépassement du délai de 21 jours révèle le caractère manifestement dilatoire de la demande d’asile, le préfet refuse à l’intéressé l’admission au séjour. Il revient alors à l’office de statuer dans le cadre de la procédure prioritaire.
Dans ces conditions, explique la Haute Juridiction, les dispositions de l’article R. 723-1 du Ceseda ne sont pas incompatibles avec la directive européenne du 1er décembre 2005. Elles ne sont, plus précisément, incompatibles ni avec le paragraphe 1 de l’article 8 de la directive – qui impose aux Etats de veiller « à ce que l’examen d’une demande d’asile ne soit pas refusé ni exclu au seul motif que la demande n’a pas été introduite dans les plus brefs délais » –, ni avec le point « i » du paragraphe 4 de l’article 23, qui autorise les Etats membres à soumettre les demandes présentées hors délai à une procédure d’examen prioritaire ou accélérée.
Un juge des référés peut ordonner le suivi médical d’un demandeur d’asile malade. C’est en tout cas ce qui ressort d’un arrêt du Conseil d’Etat du 5 avril 2013 (Conseil d’Etat, Réf., 5 avril 2013, n° 367232).
En l’espèce, un homme et une femme, ressortissants albanais, avaient déposé une demande d’asile à la préfecture du Rhône un mois après être entrés en France. Un récépissé leur avait été délivré et ils avaient été « pris en charge » par la plateforme d’accueil des demandeurs d’asile de Lyon. Plus précisément, le bénéfice de l’allocation temporaire d’attente et de la couverture maladie universelle leur avait été accordé… mais, concrètement, ils vivaient dans la rue. Faute de place disponible dans les structures locales d’hébergement, ils n’avaient pu en effet bénéficier d’un hébergement d’urgence et avaient été inscrits sur liste d’attente. La femme étant malade, le couple avait saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lyon pour lui demander d’enjoindre au préfet du Rhône de leur désigner un centre d’hébergement dans un délai de 48 heures. En vertu de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés « saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence » peut en effet ordonner dans ce délai « toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ».
Mais le magistrat a rejeté leur demande. Les requérants ont donc fait appel de son ordonnance devant le Conseil d’Etat. La Haute Juridiction a tout d’abord posé un principe : s’il appartient au préfet de procurer aux demandeurs d’asile les conditions matérielles d’accueil prévues par le code de l’action sociale et des familles, le juge des référés ne peut toutefois lui adresser une injonction sur la base de l’article L. 521-2 du code de justice administrative qu’en cas de méconnaissance manifeste des exigences légales et de conséquences graves pour le demandeur d’asile, « compte tenu notamment de son âge, de son état de santé ou de sa situation de famille ». Tel est le cas, comme en l’espèce, d’un candidat à l’asile dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale rapide, eu égard aux conditions de grande précarité dans lesquelles il vit, dans la rue, depuis son arrivée en France.
On notera toutefois que, dans cette affaire, la requérante n’a pas obtenu l’annulation de l’ordonnance du juge des référés dans son ensemble. Le Conseil d’Etat n’a en effet pas remis en cause le rejet du magistrat de la demande de bénéfice immédiat d’un hébergement d’urgence. « En l’état de l’instruction », l’état de santé de l’intéressée « n’apparaît pas d’une telle gravité qu’il nécessiterait un hébergement d’urgence immédiat », indique la Haute Juridiction. « Il est néanmoins suffisamment préoccupant pour ne pas laisser [la requérante] vivre dans la rue sans bénéficier d’une prise en charge médicale permettant notamment d’apprécier l’évolution de son état » depuis que le juge des référés a rendu son ordonnance « et de lui prodiguer les soins qui apparaîtraient nécessaires ». Aussi le Conseil d’Etat enjoint-il au préfet du Rhône, « eu égard à l’urgence qui s’attache au prononcé de mesures sur ce point », de veiller à ce que le directeur de la plateforme d’accueil de la région Rhône-Alpes :
→ oriente l’intéressée, dans les plus brefs délais, « vers une structure médicale appropriée » ;
→ recueille auprès des autorités médicales compétentes un avis complet et à jour sur son état de santé afin, le cas échéant, de pouvoir en tirer les conséquences qui s’imposeraient en termes d’hébergement d’urgence.
Une association de défense du droit d’asile ou des droits de l’Homme peut dorénavant présenter une intervention volontaire devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Et ainsi apporter soit son expertise sur la situation dans le pays dont est originaire l’étranger partie à l’instance, soit alimenter le débat devant la cour. Tel est le sens d’un arrêt rendu le 25 juillet dernier par le Conseil d’Etat (Conseil d’Etat, 25 juillet 2013, n° 350661).
Dans cette affaire, une ressortissante nigériane réclamait l’asile en France. Elle soutenait y avoir été contrainte à la prostitution, avait pris contact avec une association française de lutte contre la prostitution et dénoncé les proxénètes à la police. Elle redoutait d’être exposée, à son retour au Nigéria, à des violences, des menaces et des comportements discriminatoires de la part des réseaux de proxénétisme.
Dans un premier temps, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides a refusé de lui reconnaître la qualité de réfugiée. La Cour nationale du droit d’asile a toutefois annulé cette décision, considérant que les femmes victimes de réseaux de trafic d’êtres humains et ayant activement cherché à échapper à leur emprise constituent un « groupe social » au sens de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et sont donc à même d’obtenir ce statut. Au cours de l’instance, la Cimade et l’association « Les amis du bus des femmes » étaient intervenues volontairement à l’appui de l’intéressée.
La question de la recevabilité de ces interventions s’est posée par la suite devant le Conseil d’Etat. Et la Haute Juridiction les a admises. Elle considère en effet comme recevable à former une intervention, devant le juge du fond comme devant le juge de cassation, « toute personne qui justifie d’un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l’objet du litige ». Ce qui est le cas en l’espèce pour la Cimade et l’association « Les amis du bus des femmes », de par leur objet statutaire et leur action. Le Conseil d’Etat précise toutefois qu’une telle intervention présente un caractère accessoire et n’a pas pour effet de donner aux associations la qualité de parties à l’instance. Elle ne saurait donc, de ce fait, leur conférer un droit d’accès aux pièces de la procédure.
Sur le fond, tout en ayant déclaré recevables les interventions, la Haute Juridiction a toutefois annulé la décision de la CNDA. Elle considère en effet que la cour a commis une erreur de droit en ne recherchant pas si, au-delà des réseaux de proxénétisme, la société environnante ou les institutions percevaient leurs victimes comme ayant une identité propre, constitutive d’un groupe social. L’affaire a ainsi été renvoyée devant la CNDA.
Un arrêt rendu le 7 octobre dernier par le Conseil d’Etat montre que l’atteinte de la majorité d’un demandeur de visa en cours de procédure peut faire obstacle à ce qu’il soit enjoint au préfet de lui délivrer le précieux sésame (Conseil d’Etat, 7 octobre 2013, n° 360972).
Dans cette affaire, une jeune ressortissante marocaine née le 19 octobre 1993 a sollicité un visa de long séjour auprès du consul général de Fès afin de rejoindre son oncle de nationalité française, à qui elle avait été confiée par « kafala adoulaire » (4). Confrontée au refus du consul, elle a contesté cette décision devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France. Mais cette dernière a rejeté son recours le 1er décembre 2010. Retournement de situation 2 ans plus tard, alors que la jeune fille était devenue majeure depuis plusieurs mois : saisie à son tour, la cour administrative d’appel de Nantes a, le 11 mai 2012, annulé cette décision de refus en se fondant notamment sur la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE) et a enjoint au ministère de l’Intérieur de délivrer le visa demandé. Le ministère a alors attaqué cet arrêt devant le Conseil d’Etat. La Haute Juridiction lui a donné raison.
« Il appartient au juge, lorsqu’il est saisi […] de conclusions tendant à ce que soit prescrite une mesure d’exécution, de statuer sur celles-ci en tenant compte de la situation de droit ou de fait existant à la date de sa décision », indiquent les sages du Palais Royal. Or en l’espèce, la cour administrative d’appel a enjoint l’administration de délivrer à la jeune fille un visa de long séjour « sans s’interroger sur le point de savoir si la circonstance que l’intéressée était âgée de plus de 18 ans à la date de la décision était de nature à en modifier les modalités d’exécution ». Ce faisant, pour le Conseil d’Etat, elle a commis une erreur de droit et son arrêt doit donc être annulé en tant qu’il enjoint à la Place Beauvau la délivrance du visa sollicité.
La Haute Juridiction va encore plus loin en statuant au fond. Elle relève ainsi qu’aucune disposition applicable à l’intéressée n’impose au juge de l’exécution de tenir compte d’un âge autre que celui atteint à la date de sa décision. Or, à l’heure de rendre son verdict, la jeune fille est âgée de plus de 18 ans. Les stipulations de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, dont la violation fonde l’annulation du refus de visa, ne lui sont donc plus applicables. Ainsi, « l’exécution de l’arrêt attaqué n’implique plus nécessairement la délivrance du visa sollicité ». Le Conseil d’Etat enjoint simplement au ministre de l’Intérieur de réexaminer la demande de visa déposée par la requérante… laquelle n’est donc plus protégée par la CIDE comme c’était le cas au début de l’affaire.
Sous réserve des engagements internationaux et des exceptions prévues par la loi, la première délivrance d’une carte de séjour temporaire est, en principe, subordonnée à la production par l’étranger d’un visa d’une durée supérieure à 3 mois. Pour le Conseil d’Etat, il en va toutefois différemment pour l’étranger déjà admis à séjourner en France et qui sollicite le renouvellement de sa carte de séjour temporaire… même si cette demande repose sur un autre fondement (Conseil d’Etat, 10 juillet 2013, n° 356911).
La Haute Juridiction était confrontée, en l’espèce, à une ressortissante guinéenne entrée régulièrement en France en juin 2003, munie d’un visa de court séjour. Après s’être maintenue irrégulièrement sur le territoire français à la suite de l’expiration de ce visa, elle a déposé, en février 2004, une demande de titre de séjour auprès du préfet des Hauts-de-Seine en faisant valoir que son état de santé nécessitait une prise en charge médicale en France. Une demande rejetée par le représentant de l’Etat. Trois ans plus tard, en octobre 2007, l’intéressée a présenté une nouvelle demande devant, cette fois-ci, le préfet de la Haute-Vienne. Lequel lui a délivré une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » pour raisons médicales. A l’expiration de ce titre, la requérante a sollicité le renouvellement de sa carte, en invoquant non seulement son état de santé mais aussi sa situation personnelle et professionnelle en France. Après le rejet implicite de cette demande, elle a réitéré sa demande de titre de séjour… et essuyé le refus du préfet de la Haute-Vienne.
Saisi, le tribunal administratif de Limoges a annulé la décision de refus au motif que le préfet n’avait pas examiné la demande de l’intéressée au regard des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile relatives à la délivrance de la carte de séjour temporaire en qualité de salarié. Le préfet a ensuite rejeté la demande de l’étrangère tant en qualité de salarié que d’étranger malade. La requérante a alors formé un recours contre cette nouvelle décision mais le tribunal administratif de Limoges tout d’abord, puis la cour administrative d’appel de Bordeaux, l’ont rejeté, cette dernière ayant considéré que le préfet de la Haute-Vienne pouvait légalement refuser à l’intéressée la délivrance de la carte de séjour en qualité de salarié au seul motif qu’elle ne pouvait présenter un visa d’une durée supérieure à 3 mois.
La requérante a finalement obtenu devant le Conseil d’Etat l’annulation du refus de séjour, ainsi que du jugement de première instance et de l’arrêt de la cour administrative d’appel. Dans sa décision du 10 juillet dernier, la Haute Juridiction souligne que la requérante a séjourné régulièrement sur le territoire national en vertu d’une carte de séjour temporaire délivrée en raison de son état de santé. Or, aux yeux des sages du Palais Royal, l’étranger admis à séjourner en France et qui sollicite le renouvellement – même sur un autre fondement – de la carte de séjour temporaire dont il est titulaire, n’a pas à produire un visa de long séjour à l’appui de sa demande. Cette condition n’est opposable que pour la première délivrance de la carte de séjour temporaire.
Une décision d’expulsion a, par elle-même, pour conséquence de mettre fin au titre de séjour qui autorisait un étranger à séjourner en France jusqu’à son intervention. Pour autant, ce titre ne peut être retiré par les forces de l’ordre que si la décision d’expulsion a été notifiée à l’intéressé. C’est ce qu’indique le Conseil d’Etat dans un arrêt du 10 juillet dernier (Conseil d’Etat, 10 juillet 2013, n° 359451).
Il s’agissait, en l’espèce, du cas d’un ressortissant algérien à l’encontre duquel un arrêté d’expulsion avait été pris par le préfet des Bouches-du-Rhône le 16 janvier 2009, au motif que sa présence sur le territoire constituait une menace grave pour l’ordre public. Problème : cet arrêté ne lui avait pas été notifié. Ce sont les agents de la police de l’air et des frontières qui, le 8 février 2009, alors que l’étranger s’apprêtait à quitter volontairement le territoire français pour l’Algérie, lui ont indiqué qu’il faisait l’objet d’un arrêté d’expulsion. Et, par la même occasion, lui ont retiré le document matérialisant son certificat de résidence valable jusqu’en 2015.
L’intéressé a, par la suite, porté l’affaire devant la justice pour réclamer l’annulation de la décision de retrait, faisant valoir que l’arrêté d’expulsion ne lui avait pas été notifié préalablement au retrait de son titre. Après avoir vu sa demande ignorée par le tribunal administratif puis rejetée par la cour administrative d’appel, il a obtenu gain de cause devant le Conseil d’Etat.
En l’informant simplement, le 8 février 2009, qu’il faisait l’objet d’un arrêté d’expulsion, les services de police ne lui ont pas remis d’exemplaire de cet arrêté et n’ont donc pas, à proprement parler, procédé à sa notification, indique la Haute Juridiction. Cette notification, remarque-t-elle, n’a été faite que postérieurement, par une lettre datée du 9 février 2009, qui a été adressée à l’intéressé le 11 février 2009.
La cour administrative d’appel avait pourtant jugé, de son côté, que l’absence de notification à l’intéressé de l’arrêté d’expulsion avant le retrait de son titre de séjour par les forces de l’ordre était sans incidence sur la légalité de ce retrait. Ce faisant, elle a commis une erreur de droit aux yeux des hauts magistrats administratifs.
En effet, aux termes de l’article 8 de la loi du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal, les décisions administratives individuelles défavorables à leurs destinataires ne sont opposables à ces derniers que si elles leur ont été préalablement notifiées. Les services de police ne pouvaient donc légalement, faute de notification préalable, retenir le 8 février 2009 le document matérialisant le certificat de résidence du requérant.
( A noter ) Le Conseil d’Etat a estimé toutefois que l’arrêté prononçant l’expulsion du requérant ayant été valablement notifié après le retrait du titre, la demande de restitution du document formulée par ailleurs par l’intéressé devait être rejetée. Cette notification a, en effet, mis fin légalement au certificat de résidence dont il était titulaire avant son départ du territoire français.
Dans un arrêt du 9 avril 2013, le Conseil d’Etat a considéré que le délai de 15 jours imparti pour faire appel d’une ordonnance du juge du référé liberté court à compter de la notification régulière de cette ordonnance à l’adresse à laquelle le requérant a élu domicile, le fait que ce dernier n’en ait pas eu personnellement connaissance étant sans incidence sur son déclenchement (Conseil d’Etat, 9 avril 2013, n° 367265).
Dans cette affaire, une femme avait demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice d’enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de lui délivrer une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » en sa qualité d’étranger malade. Une demande rejetée par le magistrat par une ordonnance du 8 mars 2013 notifiée à l’intéressée par lettre recommandée à l’adresse à laquelle elle avait élu domicile. En l’occurrence, celle d’une association.
Cette notification avait été régulièrement effectuée le 9 mars 2013, comme en attestait la signature, à cette date, de l’accusé de réception de l’enveloppe contenant une copie de l’ordonnance. Mais l’intéressée n’avait eu personnellement connaissance de ce courrier que le 14 mars 2013. Elle a par la suite entrepris de faire appel de la décision du juge du premier degré devant le juge des référés du Conseil d’Etat. Son appel a été enregistré au secrétariat du contentieux de la Haute Juridiction le 28 mars 2013. Problème : pour faire appel d’une telle décision, la requérante ne disposait que d’un délai de 15 jours à compter de la notification de l’ordonnance.
Le juge des référés du Conseil d’Etat a donc rejeté sa requête, considérant son appel tardif et, par suite, irrecevable. Dès lors qu’il ressort des pièces du dossier que l’accusé de réception a été régulièrement signé par une personne qui avait qualité pour le faire au nom de l’association où la requérante avait élu domicile, « la circonstance que [l’intéressée] n’a eu personnellement connaissance de ce courrier que le 14 mars 2013 est sans incidence sur le déclenchement du délai du recours dès le 9 mars 2013 », explique le haut magistrat.
Le 26 juin dernier, la chambre criminelle de la Cour de cassation a apporté des précisions sur la protection dont bénéficie un étranger malade contre une peine d’interdiction du territoire français (Cass. crim., 26 juin 2013, n° 13-80.594).
Dans cette affaire, la cour d’appel de Colmar a condamné, pour obtention indue de document administratif, une femme de nationalité étrangère – se présentant comme malade – à 4 mois d’emprisonnement avec sursis et 10 ans d’interdiction du territoire français (ITF). Pour prononcer la peine d’ITF, elle a considéré que la requérante ne disposait pas d’un titre de séjour délivré au regard de son état de santé et pouvait trouver dans son pays d’origine les soins nécessaires à la prise en charge de sa maladie.
La Cour de cassation l’a désavouée sur ce point, lui reprochant notamment de s’être aventurée sur le terrain de l’appréciation de la gravité de l’état de santé de l’étranger et des soins qu’elle exige. Pour la Haute Juridiction, en effet, cette appréciation relève de la compétence exclusive du préfet lors de l’examen du droit au séjour. En l’espèce, souligne la cour, l’intéressée avait séjourné en France sous couvert d’une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » délivrée « pour permettre la prise en charge de son état de santé ». Son titre étant arrivé à expiration, elle a demandé – et obtenu – son renouvellement, souligne-t-elle. C’est ainsi au préfet saisi de la demande de renouvellement qu’il est revenu d’apprécier la gravité de l’état de santé de la requérante et des soins qu’il exigeait.
L’attribution des prestations familiales aux parents étrangers non ressortissants d’un Etat membre de l’Union européenne – pour les enfants dont ils ont la charge – est subordonnée à une condition de régularité de leur séjour. Pour prouver que cette condition est remplie, les intéressés doivent disposer d’un des titres de séjour ou documents listés à l’article D. 512-1 du code de la sécurité sociale. La délivrance de l’une de ces pièces vaut-elle reconnaissance de la régularité du séjour de façon rétroactive ? Confirmant sa jurisprudence antérieure, la Cour de cassation a répondu par la négative dans deux arrêts du 23 mai (Cass. civ. 2e, 23 mai 2013, n° 12-17.238 et n° 12-16.802).
Dans la première affaire, une ressortissante marocaine, qui s’était séparée de son époux français au mois d’avril 2007 alors qu’elle était enceinte, avait demandé à bénéficier des prestations familiales au titre de son enfant, né le 26 octobre 2007, dont elle avait la charge effective. Comme elle n’avait pu obtenir une carte de séjour temporaire que le 29 mai 2008 – carte de séjour délivrée en raison du fait qu’elle est mère d’un enfant français –, la caisse d’allocations familiales de la Drôme lui avait refusé le versement de ces prestations pour la période antérieure au 1er juin 2008. Contestant cette décision, l’intéressée avait donc saisi la justice. La cour d’appel lui a donné raison, condamnant la caisse à lui payer les prestations familiales à compter de la déclaration de grossesse jusqu’à la séparation des époux puis à compter de la naissance de l’enfant. Mais la Cour de cassation a cassé et annulé cette décision. La Haute Juridiction a retenu que la requérante ne justifiait pas pour la période litigieuse de l’un des titres ou documents exigés par la loi pour justifier de la régularité de son séjour. Or, pour elle, « la délivrance d’un titre de séjour par le représentant de l’Etat ne revêt pas un caractère recognitif ». Elle ne peut, autrement dit, avoir d’effet rétroactif.
Dans la seconde affaire, le litige opposait la caisse d’allocations familiales de Montpellier à un étranger à qui elle demandait le remboursement de prestations qu’elle lui avait versées entre décembre 2005 et décembre 2006, à une époque où il n’était pas titulaire d’un titre de séjour. Au cours de l’instance engagée par la caisse, l’intéressé a obtenu une carte de séjour temporaire. Et a demandé une compensation entre la créance de la caisse et les prestations dont celle-ci était redevable à son égard depuis la date à laquelle sa situation administrative avait été régularisée. Mais la cour d’appel a donné raison à la caisse, fixant la date d’ouverture des droits à prestations au 1er juillet 2009, jour où a été délivrée à l’intéressé sa carte de séjour temporaire. Saisie par le requérant, la Cour de cassation a confirmé cette décision. « Les titres de séjour délivrés par le représentant de l’Etat ne revêtent pas un caractère recognitif », a estimé la Haute Juridiction. Ayant constaté qu’une carte de séjour temporaire avait été délivrée à l’intéressé le 1er juillet 2009, « la cour d’appel en a exactement déduit que la date d’ouverture de ses droits aux prestations ne pouvait être fixée qu’à cette date ».
Rétention. Un étranger qui fait l’objet d’une décision de placement en rétention administrative ne peut pas exercer pendant la durée de son transfèrement les droits reconnus à une personne placée.
Asile. Une association de défense du droit d’asile ou des droits de l’Homme peut présenter une intervention volontaire devant la Cour nationale du droit d’asile à l’appui de l’étranger auditionné.
Droit aux prestations familiales. La délivrance d’un titre de séjour par le préfet n’a pas d’effet rétroactif. Les prestations familiales ne peuvent donc pas être attribuées pour la période antérieure à cette délivrance.
(1) Les décisions et avis présentés dans ce dossier sont disponibles sur
(3) Document rédigé dans une langue dont il est raisonnable de penser que le demandeur d’asile la comprend et portant sur ses droits et sur les obligations qu’il doit respecter, ainsi que sur les organisations qui assurent une assistance juridique spécifique et celles susceptibles de l’aider ou de l’informer sur les conditions d’accueil dont il peut bénéficier, y compris les soins médicaux.
(4) Délégation d’autorité parentale établie devant un notaire.